De la Floride aux montagnes italiennes : les huit livres de ce mois de juin à emporter en week-end

De la Floride aux montagnes italiennes : les huit livres de ce mois de juin à emporter en week-end

Pirate de lumière

Par Lily Brooks-Dalton, trad. de l’anglais (Etats-Unis) par Juliane Nivelt.

Gallmeister, 400 P., 24,90 €.

Le sud de la Floride, aujourd’hui, dans quelques années, puis quelques décennies. Trois temporalités, pour restituer au plus juste l’impact des chambardements climatiques sur un territoire et ceux qui l’habitent. Tout commence par un ouragan, l’un des plus violents endurés par la petite ville (fictive) de Rudder. Chacun se claquemure, et particulièrement Frida, enceinte, et les deux garçons de son compagnon, Kirby. Ce dernier est parti travailler : lignard, il est chargé de remettre en état de marche les lignes électriques. Mais la vie de la famille ne sera plus jamais la même au lendemain de cette dévastation, au cours de laquelle est née la fille de Frida et de Kirby, Wanda. Voilà pour la première partie.

Deuxième roman de Lily Brooks-Dalton (le premier, Minuit dans l’univers, a été adapté par George Clooney pour Netflix), Pirate de lumière est de ces fictions dont on sait, la dernière page achevée, qu’elles ne nous quitteront jamais tout à fait. Par son thème, sa façon d’emmener le lecteur dans un univers dystopique crédible, elle peut rappeler l’œuvre majeure de Cormac McCarthy, La Route. Pas d’errance, ici, mais une unité de lieu, et un personnage féminin, celui de Wanda, qui découvre, à sa stupéfaction, que les flots se parent d’une myriade de points lumineux à son contact. La dernière partie, située dans une Rudder submergée par l’océan et quasi-abandonnée, où seuls les déplacements de nuit, sur des radeaux de fortune, permettent d’échapper aux morsures du soleil, offre une succession d’images indélébiles. Une vision guère radieuse de l’avenir de l’humanité, mais, c’est une différence avec McCarthy, non dénuée d’une lueur d’espoir. Bertrand Bouard

Terrasses ou Notre long baiser si longtemps retardé

Par Laurent Gaudé.

Actes Sud, 142 p., 14,50 €.

La nouvelle épopée polyphonique de Laurent Gaudé

Une épopée ! Comme à son habitude, Laurent Gaudé transforme les drames du monde en épopée. “L’enjeu était de faire naître un chant des morts comme des vivants, tous abîmés par cette nuit-là”, dit-il à propos de son court roman. Mission accomplie ! Terrasses, récit retraçant les événements qui ont frappé Paris le 13 novembre 2015, résonne comme un formidable chant polyphonique : victimes, passants, secouristes, policiers, infirmiers, parents, ils sont tous là, à témoigner de cette tragédie collective. Pour composer Terrasses, l’auteur du Soleil des Scorta (Goncourt 2004) et d’Ecoutez nos défaites (2016) s’est nourri de documents journalistiques, historiques, politiques, “pour ensuite mieux les oublier” afin de trouver un souffle épique propre à évoquer le courage de certains et l’humanité restée debout.

Pourtant, la journée avait plutôt bien commencé pour la plupart des protagonistes. Nous sommes à la veille du week-end et le temps est magnifique. Alors, une jeune femme songe à la personne aimée qu’elle va retrouver le soir, une autre à sa sœur jumelle vivant à Barcelone qui vient la rejoindre en ce jour d’anniversaire, une autre à ses enfants qu’elle va pouvoir embrasser après une nuit de garde… Arrive le soir. Une voiture surgit. Elle roule trop vite… les kalachnikovs sont de sortie. “Nous resterons tristes longtemps/mais pas terrifiés. Pas terrassés.”, scandent les personnages. C’est ce souffle que reproduit le Québécois Denis Marleau sur la scène du Théâtre de la Colline (Paris), avec une quinzaine de comédiens, jusqu’au 19 juin. Un souffle qui constitue pour les générations à venir un précieux témoignage. Pour ne pas oublier… Marianne Payot

A nos amours ! Un florilège des actrices et des acteurs français

Par Gilles Jacob, Marie Colmant et Gérard Lefort.

Calmann-Lévy/Grasset, 720 p., 25,90 €.

Ils sont près de 300 comédiens et comédiennes à être chroniqués dans A nos amours !, gros livre rouge de plus de 700 pages grand format. A la manœuvre, trois noms bien connus des cinéphiles : Gilles Jacob, ex-président du festival de Cannes et “ancien de L’Express mis à la porte par un espion”, comme il l’écrit avec humour dans sa dédicace, et les journalistes Marie Colmant et Gérard Lefort. Trois voix, donc, unies pour composer cette ode “évoquant en toute subjectivité des artistes choisis et estimés”. D’Isabelle Adjani à Roschdy Zem, ils forment une belle cohorte de têtes d’affiche, toutes générations confondues, de la naissance du film parlant à nos jours. Chacun a le droit à son portrait, à son histoire, entre prestations remarquables, coups du sort et coups d’éclat, le tout en deux ou trois pages. C’est vif, sans fioritures, comme un bon plan-séquence.

Selon ses humeurs, on lira les notices consacrées à Bourvil, Françoise Dorléac, Agnès Jaoui ou Vicky Krieps, on découvrira qui était Paul Bernard (Lumière d’été, 1943, Pattes blanches, 1949) ou Blanchette Brunoy (Claudine à l’école, 1937, Quartier latin, 1939). Enfin, on se jettera, bien sûr, sur l’entrée Gérard Depardieu. L’article, très élogieux, s’achève sur une condamnation sans appel de l’homme “nettement moins fréquentable” que l’acteur. Et si par hasard, vous souhaitez en savoir un peu plus sur le Belge Riton Liebman, vous savez, le jeune surdoué de Préparez vos mouchoirs de Blier, absent de cette anthologie, reportez-vous sur son premier livre, La Vedette du quartier (Séguier), plein de gouaille et de sincérité. M. P.

Epices & Love

Par Mark Haskell Smith, trad. de l’anglais (Etats-Unis) par Julien Guérif.

Gallmeister Totem, 322 P., 10,90 €.

Réédition d’un roman de Mark Haskell Smith, sorte de cousin américain de “San Antonio”

Partir se relaxer sur les plages de Phuket, en Thaïlande, est-il vraiment une bonne idée quand on souffre d’une addiction au sexe ? C’est en tout cas celle qu’a eue Turk Henry, superstar du rock en pleine crise de la quarantaine à la suite de la séparation de son groupe Metal Assassin. Turk parvient tant que bien mal à contrôler ses pulsions à grand renfort de bière fraîche lorsqu’on l’informe que son épouse Sheila, ex-mannequin et jet-setteuse repentie, n’est pas revenue de son excursion à dos d’éléphant. Un kidnapping, lui précisent les autorités. Turk, grand enfant “incapable de faire une lessive ou de tondre la pelouse”, décide de ne pas s’en laisser conter. C’est-à-dire de payer la rançon : 1 million de dollars. Pour lui, de la petite monnaie. Ce qu’a bien compris aussi Ben Harding, un agent spécial américain véreux et phobique des microbes, qui estime que cette somme pourrait à tout le moins lui permettre de déménager dans un “pays où l’eau est potable”.

Réédition d’un roman de Mark Haskell Smith (paru en 2007 sous le titre Salty), Epices & Love est un livre parfait pour la gymnastique des zygomatiques. Une sorte de cousin américain de San Antonio avec une belle brochette de personnages improbables : si Turk Henry et Ben Harding rivalisent d’égoïsme et de stupidité, signalons aussi Jon Heidegger, manager qui voit dans l’affaire une belle opportunité pour relancer la carrière de son poulain, son assistante Marybeth, pas insensible aux charmes des femmes de joie thaïlandaises, le capitaine Someporn, kidnappeur romantique fasciné par son otage… Moins flamboyante que celle de Frédéric Dard, la langue de Mark Haskell Smith, placide, méthodique, réserve sa charge ironique pour la dernière phrase du paragraphe, dans un art de la chute consommé et souvent hilarant. B. B.

Nous y étions. 18 vétérans racontent heure par heure le D-Day

Par Annick Cojean.

Grasset/Le Monde, 176 p., 18,50 €.

Les livres affluent sur Omaha Beach et le Débarquement, c’est qu’on n’a pas tous les jours 80 ans. Celui de la grand reporter du Monde Annick Cojean est des plus plaisants, avec ces 18 vétérans rencontrés en… 1994. De ces conversations au long cours, entre Normandie, Etats-Unis, Canada et Allemagne, elle avait “rempli” 18 pages de son journal. Revoilà ces témoignages réunis dans Nous y étions, agrémentés d’une préface et d’informations précieuses sur ses interviewés de l’époque (tous décédés aujourd’hui). Tous réunis ici, donc, et présentés de façon chronologique, de 0 h 10, avec le planeur de l’Anglais Wally Parr descendant sur Peasus Bridge, à 20 heures, avec la première dépêche du correspondant de guerre canadien Charles Lynch.

Entre-temps, on aura “écouté” tous les hommes de cette journée événement (seule représentante du sexe féminin ici, une jeune auxiliaire employée aux transmissions dans le château de Caen) : un parachutiste américain de 20 ans sautant sur Sainte-Mère-Eglise, un résistant français de 23 ans chargé de saboter la ligne Caen-Laval, un major allemand enrageant (à 3 heures) de ne pas recevoir l’ordre de la contre-attaque, le commandant américain des dragueurs de mines sur la route d’Utah Beach, un mitrailleur allemand de 18 ans, un ranger américain escaladeur de la pointe du Hoc, un aumônier du commando Kieffer, etc…. Annick Cojean déroule les grandes heures de cette journée la plus longue. On est frappés par la jeunesse, le courage et la détermination de tous ces hommes. Passionnant ! M. P.

Le Gigot du dimanche

Scénario de Philippe Pelaez, dessins d’Espé.

Grand Angle, 74 p., 16,90 €.

Une BD aux petits oignons, sur un
scénario de Philippe Pelaez, dessins d’Espé.

Le Gigot du dimanche, comment échapper à un titre comme celui-ci, qui sent bon ses dimanches familiaux ? Et puis vous retournez cette BD et vous lisez sur la quatrième de couverture cette phrase, goûteuse : “Mémé est peut-être très vieille, mais elle a toute sa tête et surtout, un gros paquet de Louis d’or cachés dans sa maison…” Alors, vous flanchez, et vous ouvrez cet album dont le narrateur, Pilou, 11 ans, vous raconte tout de ses déjeuners dominicaux à Gaillac, dans le Tarn. Pilou, c’est bien lui, Philippe Pelaez, nous explique-t-il dans l’avant-propos, et les parents, Tino et Colette, la sœur, Nathalie, le parrain, Michel, les grands-parents maternels, les tantes, cousins, sont en effet les siens, mais sont reproduits ici dans “un joyeux amalgame de personnages avec les qualités des uns, les défauts des autres”.

Nous sommes au lendemain de l’élection de François Mitterrand du 10 mai 1981. Autant dire que les déjeuners chez Mémé sont houleux. Colette a voté pour lui, l’oncle pense que les rouges vont débarquer sur les Champs-Élysées, les injures fusent. On parle aussi de rugby, de loto, de sexe, de de Gaulle… et de Louis d’or. Où mémé a-t-elle bien pu cacher son magot ? On ne vous le dira pas (pour le savoir, il vous faut débourser un petit 16,90 euros), comme on ne vous révélera pas le scoop de la page 43. Vous l’aurez compris, il vous faut lire ce Gigot du dimanche, c’est enlevé, drôle, moqueur sans être jamais méchant, gentiment nostalgique… M. P.

Les Règles du Mikado

par Erri De Luca, trad. de l’italien par Danièle Valin.

Gallimard, 160 p., 18 €

C’est un livre bref et dense, comme à son habitude, un roman sans graisse, comme son auteur, le Napolitain Erri De Luca, maître dans l’art de la métaphore et roi de la vie en montagne. Matrice de sa fable, le jeu du mikado, dont on rappellera qu’il consiste à se saisir successivement des 41 bâtonnets sans faire bouger l’ensemble, soit “agir sans rien faire bouger”. L’ouvrage s’ouvre sur un long dialogue entre un vieil horloger solitaire campant dans la montagne et une adolescente tsigane fuyant son père alors qu’elle s’est échappée à la veille d’un mariage forcé. A l’instar de nombre de migrants, elle a traversé la frontière entre la Slovénie et l’Italie et est venue se réfugier sous la tente de l’ermite, joueur de mikado.

Petit à petit, les deux s’apprivoisent, se dévoilent, légèrement, déjouent les dangers (le père, des malfrats) et rejoignent les côtes de l’Adriatique, loin des terrains de prédilection du peuple des gitans. Au fil des conversations, les personnages (sans prénom) s’affinent, on s’amuse de leur caractère bien trempé, de leurs joutes quasi philosophiques et de leur vivacité, sur fond de XXe siècle en proie au doute et aux guerres. Le temps a passé, la jeune tsigane a tout appris : l’alphabet, la pêche en eaux profondes et l’amour. Tout cela, on en prend connaissance dans une deuxième partie composée de lettres. Puis vient le temps des révélations, sous forme de pieds-de-nez orchestrés par un Erri De Luca qui sait se jouer à merveille des années qui passent, des siennes (il a 74 ans) comme de celles de ses personnages. M. P.

Carat

Par Marie Charvet

Grasset, 288 p., 22 €.

Si vous aimez les bijoux, admirez la haute-joaillerie et ne vous lassez pas de la beauté de la place Vendôme, ce roman est pour vous. Comme il fut une évidence, semble-t-il, pour Marie Charvet, son auteure, qui fait bon usage de ses passions et engagements professionnels. En 2019, cette ancienne élève du Conservatoire de musique de Strasbourg publiait L’Ame du violon, qui retraçait le parcours mouvementé d’un violon d’exception, du XVIe siècle à nos jours. Aujourd’hui, avec ce 2eroman, elle met à profit sa connaissance des coulisses de Maison Van Cleef & Arpels pour laquelle elle travaille depuis 2012.

Tout commence chez le notaire. Agathe, célibataire de 34 ans, vient de perdre sa mère, dont elle s’était éloignée depuis trois ans. Egoïste, superficielle, frivole, volage, dépensière… Agathe n’a pas de mots trop durs pour qualifier la belle Aimée, sa copie (physique) quasi conforme, qui ne lui a jamais révélé l’identité de son père. Et voilà qu’elle apprend qu’Aimée a vendu son appartement en viager ! Pas de quoi pour autant faire pleurer dans les chaumières, il reste à sa fille unique, commissaire-priseur de chez Tajan, deux studios (à Antibes et à La Baule) et des rivières de bijoux. Ce sont ceux-là qu’elle va faire estimer chez Van Cleef, et c’est là qu’elle va faire la rencontre de l’énigmatique et séduisant Sing Dhoni. Au fil des estimations des bijoux offerts par les différents prétendants de la défunte comme de ses rencontres avec Sing, Agathe va en apprendre un peu plus sur sa mère et baisser ses méfiances naturelles. Moralité : tenter de comprendre les êtres tant qu’ils sont vivants… M. P.

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