Allemagne : la stratégie de l’AfD pour séduire les jeunes sur TikTok

Allemagne : la stratégie de l’AfD pour séduire les jeunes sur TikTok

La stabilité avant tout. Aux antipodes des soixante-huitards, les nouvelles générations d’Allemands ne votent plus écolos et n’aspirent plus à une révolution de gauche. “Elles rêvent d’une maison au vert et d’une relation stable”, résume Stephan Grünewald, cofondateur de l’Institut Rheingold, spécialisé dans les études de marché. Est-ce la peur de ne pas pouvoir accéder à cet idéal qui pousse de plus en plus de jeunes vers le camp conservateur, voire réactionnaire ? D’après la dernière étude sur la jeunesse allemande, publiée par l’économiste Simon Schnetzer en avril dernier, l’adhésion aux idées de l’extrême droite parmi les jeunes de 14 à 29 ans a progressé de 9 % à 22 % entre 2022 et 2024. “Les gens qui se sentent menacés sont plus susceptibles de voter AfD“, analyse Kilian Hampel, le co-auteur de cette étude publiée annuellement depuis 2020.

Les élections européennes ont confirmé ces tendances. Près de 16 % des 16 à 24 ans ont accordé leur voix à l’AfD (Alternative für Deutschland), en progression de 11 points par rapport au scrutin de 2019, selon les sondages de l’institut Infratest-dimap. L’expression d’un mécontentement diffus ou d’un rejet du gouvernement pour certains, mais pas seulement. Plus de 50 % ont choisi l’extrême droite “par conviction”. Le glissement vers la droite est général : 17 % de jeunes ont également voté pour l’Union chrétienne-démocrate (CDU/CSU).

Après la crise sanitaire et la guerre en Ukraine, la jeunesse a perdu confiance en l’avenir. “Le Covid-19 a fondamentalement changé la façon de voir les choses”, conclut l’étude. La lutte pour le climat n’est plus un thème mobilisateur comme en 2019, lorsque les écologistes allemands avaient réalisé un score historique de 20 % grâce aux jeunes générations. Aux européennes, les Verts se sont effondrés avec 11 % des voix chez les moins de 25 ans, contre 35 % en 2019.

“L’AfD a le monopole de l’information sur TikTok”

Les questions économiques et sociales dominent désormais l’agenda. La politique migratoire est devenue un thème majeur pour cette génération. Seulement un quart des adolescents sont favorables à l’accueil des migrants (contre 60 % en 2019), persuadés que l’Etat favorise les réfugiés aux dépens d’autres personnes défavorisées.

Futur incertain, inflation, vie chère… Les motifs d’anxiété sont nombreux. Exploités ad nauseam par l’AfD sur le réseau social préféré des jeunes : TikTok. La moitié de cette génération est active sur cette plateforme, où l’extrême droite a été omniprésente pendant la campagne. “Imaginez un parti politique invité sur toutes les chaînes de télévision et partout dans la presse écrite. Vous me demanderez : mais dans quel pays vit-on ? Eh bien c’est l’Allemagne. L’AfD a le monopole de l’information sur TikTok”, analyse Thorsten Faas, politologue à l’Université libre de Berlin (FU).

Le parti populiste d’extrême droite, qui a des liens avec les milieux néonazis, cartonne sur ce réseau : ses contenus sont vus par trois fois plus de jeunes que ceux de tous les autres partis du Bundestag réunis. Les extraits de discours anti-migrants devant l’Assemblée y tournent en boucle. Quid des révélations sur les plans de déportation de l’extrême droite ? Les rapports douteux des candidats avec la Russie et la Chine ? L’arrestation d’un espion chinois dans les bureaux de la tête de liste ou la mise sous observation de leur parti par les services de “protection de la constitution” (Verfassungsschutz) ? Tout cela est passé sous silence sur TikTok, ou interprété par l’AfD comme du “dénigrement”.

Alors que l’Allemagne a ouvert le vote dès 16 ans pour la première fois aux européennes, la très controversée tête de liste de l’AfD, Maximilian Krah (exclu, après le scrutin, du groupe d’eurodéputés de l’AfD) a fait campagne sur la plateforme sans le moindre débat contradictoire, s’adressant à des millions de jeunes. “Pour t’informer, ne crois pas le service public”, haranguait l’élu visé par deux enquêtes préliminaires pour des paiements présumés provenant de sources russes et chinoises. “Choisis les bonnes sources, mon fil TikTok”, lançait-il encore, incitant les jeunes à s’inscrire aux “Jeunesses AfD” (JA), une organisation d’extrémistes sous surveillance des services du renseignement pour ses positions antidémocratiques. Et Maximilian Krah d’appeler sans ambages à la révolte : “N’aie pas peur de tes profs de gauche. Ils veulent t’interdire de parler alors que c’est toi qui détiens la vérité. […] Lève-toi et exprime ton opinion. Ils finiront pas plier”.

Face à cette déferlante, les autres partis ont allumé en catastrophe un contre-feu en s’inscrivant sur TikTok, qu’ils n’avaient cessé de critiquer pour son manque d’éthique. Olaf Scholz s’est lui-même lancé en avril. Face caméra, le chancelier présente au public la vieille serviette en cuir élimée qu’il trimbale ostensiblement depuis plus de 30 ans. Une première vidéo devenue en quelques heures la risée de tous les réseaux sociaux.

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