Ce qui se cache derrière l’Académie du climat d’Anne Hidalgo

Ce qui se cache derrière l’Académie du climat d’Anne Hidalgo

Ici et là, les lieux ont gardé trace de leur ancienne vocation. Les minuscules carreaux tachetés du rez-de-chaussée, les boiseries de la salle des mariages à l’étage, la façade de pierre. Mais depuis 2021, la mairie du IVe arrondissement de Paris s’est transformée en “Académie du climat”. Désormais, on y avale un parmentier veggie à 10 euros en discutant cinéma engagé ou pièce de théâtre sur les sorcières, on y boit de la chicorée parce que “le thé et le café, ça vient de loin et c’est moins bien”, on y assiste à une conférence sur “les JO et le climat”. Anne Hidalgo ambitionne d’y sensibiliser les Parisiens aux enjeux climatiques et environnementaux. Ses adversaires n’y voient, eux, qu’un objet politique destiné à soigner une part très militante de sa majorité. Le flou sur la gouvernance et les finances, la programmation aux allures de grand fourre-tout alimente les critiques sur ce tiers-lieu, directement piloté par l’Hôtel de ville.

L’histoire démarre en 2020 lorsque les quatre premiers arrondissements de Paris fusionnent. Il n’y a plus suffisamment d’habitants pour justifier d’un découpage hérité du XIXe siècle. Mais que faire des bâtiments inutilisés ? Une Maison de la jeunesse, dans le Ier, une “Fabrique de la Solidarité”, sise – ça ne s’invente pas – rue de la Banque dans le IIe. Pour l’ancienne mairie du IVe, le débat est plus vif. Les habitants plaident pour des services de proximité, un conservatoire peut-être, ou un lieu dédié à la vie culturelle et associative. Mais la présidentielle se profile. En mai 2021, Anne Hidalgo, Serge Orru, un de ses conseillers, et Patrick Bloche, son adjoint à l’Education, participent à la Marche des jeunes pour le climat. Ils tranchent : le bâtiment sera “un lieu de débat et de mobilisation pour les jeunes” dédié “aux enjeux de biodiversité et de climat”.

L’Académie, inaugurée en septembre 2021, a très vite ses détracteurs. Aurélien Véron, conseiller LR et porte-parole du groupe Changer Paris, dirigé alors par Rachida Dati, s’en fait le porte-voix. Il aimerait que l’on parle différemment du climat, plus “éolienne, énergie solaire, captation de CO2” que “réparation de vélo et recyclage de vêtements”, que l’on fasse de “la sensibilisation et non de la propagande”. “Anne Hidalgo veut rester comme la première femme à avoir transformé la ville et pour cela, il lui fallait un lieu pour l’incarner”, résume-t-il. Régulièrement au Conseil de Paris, il pose des questions, interpelle, demande des explications. De son côté, un collectif de riverains s’agace du bruit des soirées organisées aux beaux jours dans la cour. Ils se chamaillent avec la ville à coups d’expertises gardées secrètes, de médiations refusées, de rendez-vous ratés.

Du côté de la mairie, on balaie d’un revers de la main cette coalition de râleurs d’opposition et de privilégiés soucieux, selon elle, de défendre leur patrimoine immobilier. On vante la vitalité du lieu et sa capacité à fédérer. “On a créé un nouveau service public sur le modèle des universités populaires”, défend Sarah Alby, la responsable qui fut auparavant la directrice de cabinet de Christophe Girard à la mairie. Le bilan chiffré avancé pour la seule année 2023 est impressionnant : 3 500 événements proposés, 380 000 visiteurs accueillis, 23 000 enfants parisiens et 400 éco délégués accompagnés. Seul problème : derrière ces chiffres globaux se cache une offre disparate, mélange d’ateliers bon enfant, esprit centre de loisirs, de très sérieuses conférences et de débats à visée politique.

La ville met volontiers en avant les activités les plus consensuelles qui concernent les jeunes et les scolaires. Des appels d’offres ont été passés avec une douzaine d’associations qui proposent des modules de 2h30 à 3 heures pour les élèves à partir de 9 ans, sur l’alimentation, la prise de parole… Celui organisé par l’Ecole comestible, entre jeu de sensibilisation, connaissance théorique et mise en pratique avec la préparation d’une “bolo champignons-lentilles” ou d’une pizza veggie est le plus demandé. Ceux de la compagnie artistique La Relève bariolée, installée à Maisons-Alfort, qui forme à la prise de parole et à la création d’un collectif autour d’un projet comme la végétalisation d’un espace, se déploient aussi plusieurs fois par mois. Enfin, l’école Tumo, qui forme aux outils numériques appliqués aux enjeux climatiques, émanation d’une structure installée au Forum des images, atteint des publics de décrocheurs, via des associations spécialisées. Tous prennent soin de ne pas se faire militants. “Nous ouvrons une fenêtre sur d’autres manières de cuisiner, mais on ne rentre pas dans les oppositions viande/végétal, nous ne sommes pas une association vegan”, précise Adrien, intervenant pour l’Ecole comestible.

Anne Hidalgo a fait de l’environnement une de ses priorités. Ici, en juin 2015, avec Michael Bloomberg, envoyé spécial de l’ONU pour les villes et le changement climatique.

Pour le reste, la programmation manque de lisibilité. Dans l’agenda, se mêlent un “premier festival autour des arts du fil” organisé par Les Effilochés, un atelier DIY (Do it yourself ou faites-le vous-même) pour apprendre à réparer un grille-pain, mais est-il précisé, “sans apporter d’appareil, ce n’est pas un atelier de réparation” et une conférence de Fatima Ouassak, la controversée cofondatrice de Front de mères et de la Maison de l’écologie populaire à Bagnolet (93). Ici, on peut jouer à des jeux de société en accès libre à la buvette, dont ce “Kapital”, coincé entre un Roi Lion et un Winnie L’Ourson, inspiré des travaux des sociologues Pinçon-Charlot qui permet “de comprendre, d’appréhender et même d’expérimenter les mécanismes sociologiques de la domination” et dont l’objectif est de “tenter de gagner… la guerre des classes”. Ou applaudir des jeunes qui s’essaient au stand-up sur le thème de l’écologie même si leurs sketchs sur “le houmous que leurs potes ne trouvent pas assez viril” ou l’antispécisme sont à drôlerie variable.

Les choix sont parfois plus (d)étonnants. Si les fresques (du climat, de la rénovation, des océans…) sont désormais des classiques, que penser de cette “conférence gesticulée” intitulée “Désenvoûtement ou le néolibéralisme va-t-il mourir et comment faire pour que ça aille plus vite ?” et de son intitulé : “Dans cet atelier donné par l’association Allumeuses. bzz (qui accompagne les collectifs pour sortir de l’épuisement), on explore en petits groupes les facteurs d’épuisement, qui mènent parfois à des burn out militants ou des traumas par ricochet (ou vicariants) avec des outils d’éducation populaire (dont la roue du burn out)” ? Quelques jours plus tard, un atelier de trois heures “d’initiation au travail qui relie” est proposé : “Le processus du Travail qui relie de l’écophilosophe états-unienne Joanna Macy, est une dynamique en groupe pour prendre conscience, expérimenter des temps de reliance, verbaliser nos émotions et se mettre en action. Elle est particulièrement adaptée pour prendre en charge notre éco-anxiété afin de la composter et de la transformer en une énergie d’action singulière individuelle et collective.”

A l’Académie du climat, royaume du point médian et de l’inclusif, le militantisme n’est jamais loin. L’organisation bicéphale de la structure en favorise l’implantation. D’un côté, l’équipe permanente de l’Académie a deux missions : développer les activités à destination des scolaires et des professionnels ; répondre aux demandes d’espaces pour des événements comme les 31 mai et 1er juin le Forum international de la météo et du climat, sur la base de critères mêlant sérieux scientifique, recherche de solutions et financements transparents. De l’autre, les associations de jeunes ont totale liberté d’organisation. Dès la création du lieu, en effet, la mairie de Paris a voulu leur donner un accès privilégié. “Elles sont cofondatrices du projet, elles s’autogèrent, l’Académie du climat leur donne un lieu, un cadre, de la stabilité”, résume Patrick Bloche.

Mais il n’y a pas de liste permanente, référencée, de ces associations qui concentrent le plus de critiques. Parmi elles, des structures comme Extinction Rebellion ou Riposte alimentaire, ce collectif qui a arrosé de soupe La Joconde à Paris et un tableau de Monet à Lyon. Discrètement, sans toujours apparaître dans le programme officiel, elles organisent ici les premiers contacts avec les Parisiens qui veulent les rejoindre. Une présence qui n’est pas du goût de tous, y compris parmi des élus de la majorité municipale : “A l’Académie du climat, 95 % de la promesse est tenue. Mais ça me gêne d’avoir des gens qui organisent des actions qui entraînent un préjudice d’image pour la ville et des dégradations de l’espace public. Ce n’est pas le deal, je veux un lieu ouvert aux gens qui jouent le jeu”, regrette l’un d’eux.

Les réunions menées par des collectifs comme Riposte alimentaire prônant la désobéissance civile suscitent des interrogations.

Il faut que jeunesse s’exprime

Dans l’entourage d’Anne Hidalgo, on défend l’idée qu’il faut bien que jeunesse s’exprime et qu’il vaut mieux qu’elle le fasse là plutôt que dans des ailleurs hors de contrôle. “Ces jeunes ont leur mode d’action propre. Face à un sentiment d’injustice, la désobéissance civile leur apparaît comme un passage obligé pour défendre leur cause. Mais on n’accueille pas d’association interdite, nous avons été vigilants au moment des débats autour des Soulèvements de la Terre”, appuie Patrick Bloche. En novembre 2023, Anne Hidalgo avait elle-même répondu à la critique après un reportage filmé en caméra cachée et titré “Ces écologistes qui se radicalisent” diffusé sur France 2 : “Paris sera toujours le haut lieu de l’accompagnement de cette expression, dans le respect des règles, mais je n’admettrai pas qu’on vienne faire de mauvais procès parce que ça arrangerait ceux qui voudraient que la rente des énergies fossiles continue peu importe l’avenir de l’humanité” ; avant d’ajouter : “Nous sommes à un moment où nos démocraties sont en grand danger. Nous, on a été élevés aux grands récits de la Résistance, en ce qui me concerne au No Pasaran, autant vous dire qu’on va continuer.”

Les critiques contre le lieu se nourrissent aussi du fait qu’il n’aurait d’académie que le nom. Sarah Alby, la directrice, met en avant les nombreuses institutions publiques et parapubliques qui viennent se former place Baudoyer, les universités qui y présentent leur programme ou la sollicitent, les organismes qui y organisent des événements, mais le lieu ne dispose pas de direction scientifique à proprement parler. Il est fréquemment question d’un conseil d’orientation que présiderait Serge Orru, proche de la première édile socialiste. Mais ce conseil n’a servi qu’au lancement de l’Académie, lorsqu’il a fallu mener une mission de préfiguration. Il n’a plus d’existence et personne d’autre que l’ancien directeur général du WWF ne s’en déclare membre.

Un coût difficile à évaluer

Difficile également de savoir combien coûte le lieu à la ville. Un temps envisagé sous forme d’association, il a finalement pris la forme d’une régie municipale, ce qui éparpille les dépenses dans plusieurs documents et exonère de l’obligation de rendre public un rapport d’activité. Le budget de fonctionnement a été de 1,1 million d’euros en 2023, intégralement pris en charge par les finances municipales, puisque les activités proposées sont gratuites, de même que les prêts de salles. A cette somme, s’ajoute le financement des ateliers dédiés aux scolaires, soit 459 707 euros répartis entre les 12 prestataires, et les 140 000 euros versés à Tumo, l’école numérique.

Autre inconnue : le montant de la masse salariale des 40 agents détachés à l’Académie, non détaillée puisque fondue dans celle de la ville. Ou le montant du soutien accordé au collectif d’origine marseillaise Yes we camp, chargé de la buvette et de l’animation. Le contrat de concession prévoit une subvention de 26 000 euros par an, contre une redevance versée à la ville de 6 000 euros par an. Mais en 2022, une subvention de 90 000 euros a été accordée à cette même association “pour la pérennisation de la gestion du tiers-lieu Académie du climat”. Bien malin qui pourra s’y retrouver. Et loin d’être anodin : des commerçants locaux ou des structures plus éloignées se plaignent de cette concurrence déloyale. Dans le nord de Paris, La Recyclerie, tiers-lieu au concept proche mais non subventionné, a vu sa fréquentation baisser après l’ouverture de l’Académie du climat et a dû se réorienter vers la location aux professionnels.

Dernière incongruité, la présence dans les locaux de la Fondation Edgar Morin, sur laquelle la ville préfère rester discrète. Certes, une convention temporaire d’occupation a été conclue, moyennant une redevance annuelle de 2 300 euros pour 130 mètres carrés, mais le sociologue en a bénéficié, de l’aveu même de Patrick Bloche, en raison de sa proximité avec la maire de Paris, aucune autre association n’y a de locaux permanents.

A l’Hôtel de ville, on défend bec et ongles l’Académie du climat, tellement dans l’air du temps et si bien perçue des plus jeunes. Tant pis pour les grincheux. Tant pis, aussi, pour les Parisiens plus âgés ou moins militants qui ne se reconnaissent pas dans un lieu qui se prétend pourtant familial. On veut croire que, quoi qu’il se passe lors des élections municipales de 2026, il perdurera. “Fermer l’Académie du climat, à notre époque, ce serait un drôle de message, non ?” feint de s’interroger Patrick Bloche.

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