Une start-up américaine, Heliospect Genomics et son PDG Michael Christensen, ancien trader danois, ont récemment fait les gros titres en proposant aux couples de classer leurs embryons en fonction du quotient intellectuel, de la taille adulte, du risque d’obésité ou encore du risque de maladie mentale. L’entreprise affirme avoir travaillé avec plus d’une douzaine de couples ayant recours à la fécondation in vitro. Pour 4 000 dollars, les clients peuvent tester quelques embryons, un forfait de 50 000 dollars pour une centaine d’embryons étant également proposé. Les responsables promettent que leurs méthodes produisent un gain moyen de six points de quotient intellectuel. Cette affirmation est hautement spéculative selon plusieurs scientifiques.
La polémique a été forte au Royaume-Uni car la start-up affirme que ses outils de prédiction ont été construits à partir de données fournies par UK Biobank, une banque de données de matériel génétique pilotée par le ministère de la Santé et constituée par un demi-million de bénévoles britanniques, qui vise à ne partager des données que pour des projets d’intérêt général. Le responsable scientifique de Heliospect Genomics, Jonathan Anomaly, qui se décrit comme un eugéniste libéral, a eu accès à UK Biobank dans le cadre d’un programme de recherche. La sélection d’embryons sur la base d’un quotient intellectuel plus élevé est interdite par la loi britannique mais elle est légale aux Etats-Unis.
Détecter les risques de maladies, mais pas seulement
Une étude publiée dans Nature en mai 2024 révélait que trois quarts des Américains sondés étaient favorables à l’analyse des embryons pour mesurer la probabilité de maladies liées à l’expression de plusieurs gènes. Nuance importante car la recherche de maladies issue de l’altération d’un gène, comme le syndrome de Down ou la mutation BRCA responsable de cancers virulents, est déjà largement répandue. Mais plus intéressant encore, un tiers des répondants approuvaient l’usage de cette technologie pour la recherche de traits non liés à la maladie.
En Asie, de nombreux pays voient également émerger des pratiques de sélection embryonnaire. En Corée du Sud, où la pression sociale pour la réussite académique est intense, certaines cliniques proposent des tests génétiques préimplantatoires pour détecter non seulement des maladies héréditaires, mais aussi pour choisir le sexe ou d’autres traits souhaités, malgré les restrictions légales. En Inde, avec le marché florissant de la fertilité estimé à 4 milliards de dollars, la sélection embryonnaire est en hausse, alimentée par une réglementation laxiste. Près de 1 clinique de fertilité sur 3 en Inde offre désormais des services de dépistage génétique, signalant une tendance à la normalisation de ces pratiques. Les taux de succès de l’implantation d’embryons monteraient à 70 % avec cette sélection contre 40 à 50 % sans.
Effets de contagion
La propagation de la sélection embryonnaire s’explique par les avancées technologiques qui rendent les procédures telles que le test d’hybridation génomique comparative plus précises et, progressivement, moins coûteuses. Mais elle surfe aussi sur le développement de la fécondation in vitro. Autrefois réservée aux couples présentant des difficultés de procréation, celle-ci se répand sous l’effet du décalage de l’âge de la mise en couple et de la constitution d’une famille, l’âge limite de la maternité pouvant être reculé grâce à la congélation des ovocytes. 5 millions de bébés sont nés de la fécondation in vitro et celle-ci représente entre 1 et 5 % des naissances dans les pays développés.
En dépit des lois bioéthiques, la sélection des embryons en vue de la prédiction de caractéristiques indépendantes des maladies va se répandre. Comme beaucoup de technologies, elle aura des forts effets de contagion. Des couples, pourtant hostiles à l’idée, pouvant s’y résoudre afin de ne pas laisser leurs enfants génétiquement défavorisés. En outre, la sélection pré-embryonnaire ouvre la voie à d’autres méthodes eugénistes. Coïncidence, il y a quelques jours, He Jiankui, un scientifique chinois qui avait, en 2018, créé les premiers bébés génétiquement modifiés en utilisant CRISPR-Cas9 pour rendre des jumelles résistantes au VIH, a annoncé l’ouverture de son nouveau laboratoire à Beijing, après avoir purgé une condamnation de trois ans de prison.