Un an après le massacre du 7 octobre 2023, l’atmosphère est plus tendue que jamais au Proche-Orient, alors que le conflit s’étend au Liban, à l’Iran et à l’Irak. Des manifestations ont célébré le “Déluge d’Al-Aqsa”, nom donné par le Hamas à leur opération sanglante ayant coûté la vie à 1200 Israéliens. Certains saluent une victoire de la “résistance islamique” qui a bouleversé la région, et dénoncent les crimes israéliens à Gaza. Mais d’autres voix condamnent les milices islamiques, et en particulier le Hezbollah pour avoir impliqué le Liban dans cette guerre.
Pour le journal Al-Quds Al-Arabi, financé par le Qatar, le 7 octobre “a révélé que le projet sioniste est fragile et susceptible d’être brisé et démantelé. Le système de sécurité, de l’armée et du renseignement s’est effondré face à la surprise du Déluge”. Pour la chaîne Al Jazeera, “Israël a payé un prix très élevé à cause du boycott, ainsi que sur le plan judiciaire, après la plainte déposée par l’Afrique du Sud. Sur le plan militaire, l’image de Tsahal est détruite : il a échoué à assurer la sécurité de la population israélienne”. Ces deux médias en arabe, très suivis dans la région, n’hésitent pas exalter la gloire du Hamas, qui selon eux a accru sa popularité dans le monde et a dopé les forces opposées à l’hégémonie américaine. Cette fierté s’est manifestée dans la rue lors d’un grand rassemblement à Amman, en Jordanie, où les militants ont brandi des photos de Yahia Sinouar, rendant hommage aux “martyrs” du Hamas et célébrant l’attaque du 7 octobre. À Gaza, des jeunes hommes ont également fêté la récente attaque iranienne contre Israël en allumant des feux et en répétant : “Nous referons le 7 octobre”.
La réalité est quelque peu différente de ce que dépeignent Al-Quds Al-Arabi et Al Jazeera. Depuis le 7 octobre 2023, Tsahal a éliminé de nombreux responsables du Hamas : son chef Ismaël Haniyeh, le commandant en chef adjoint des Brigades Izz al-Din al-Qassam Marwan Issa, le chef adjoint du bureau politique Saleh Al-Arouri, ainsi que des milliers d’autres combattants. L’organisation islamique, soutenue par l’Iran, semble aujourd’hui avoir des capacités militaires très limitées contre Israël. Les civils de Gaza ont eux payé un lourd tribut. Il n’existe pas de chiffres neutres en dehors de ceux déclarés par le gouvernement du Hamas, mais la situation humanitaire est catastrophique. Environ 450 000 maisons ont été entièrement ou partiellement détruites. Selon les rapports des Nations unies, “les frappes israéliennes ont transformé de vastes zones de la bande de Gaza en amas de décombres”. En Israël, environ 700 militaires ont été tués, et 80 000 habitants du nord du pays ont dû être déplacés à cause des missiles du Hezbollah. Le déficit public s’élève à 8,3 % du PIB, bien au-dessus des 6,6 % attendus.
“Le Hezbollah nous a vendu que des illusions”
Samedi 5 octobre, à Paris, une manifestation s’est déroulée de la place de la République jusqu’à la place de Clichy en soutien à “la lutte armée des Palestiniens et des Libanais contre l’Etat terroriste d’Israël”. Pour le mouvement BDS (Boycott, désinvestissement et sanctions), c’est “Israël qui a commencé ces frappes sur le Liban”. Les manifestants ont également scandé “Israël, casse-toi, le Liban n’est pas à toi”. Mais au Proche-Orient, les opinions sur la guerre au Liban sont bien plus contrastées. De nombreux militants accusent le Hezbollah d’entraîner le pays dans un conflit qui ne le concerne pas. Le Liban, déjà en proie à une grave crise économique depuis les protestations de 2019 et l’explosion du port de Beyrouth en 2020, est aujourd’hui dans une situation dramatique. Plus de 80 % de la population vit en dessous du seuil de pauvreté. Le taux de change officiel du dollar diffère considérablement de celui du marché noir, où il dépasse la barrière des 100 000 livres pour un dollar.
Depuis l’explosion des bipeurs le 17 septembre, suivie du discours de Nasrallah insistant sur la poursuite des tirs de missiles vers Israël, la situation s’est aggravée. Tsahal a éliminé des centaines de membres du groupe islamiste, jusqu’à son chef. En Syrie, et notamment à Idlib, ville libérée du régime de Bachar al-Assad, de nombreuses personnes ont célébré l’élimination de Nasrallah, distribuant des baklavas dans les rues. Mais pour les civils du Liban, les conséquences de ces frappes sont graves : environ 350 000 personnes ont dû se déplacer, soit vers la Syrie, soit vers l’intérieur du pays. Plusieurs figures chiites n’ont pas hésité à condamner le Hezbollah. Mohammad Ali al-Housseini, secrétaire général du Conseil arabo-islamique, a accusé le mouvement de suivre un agenda iranien qui ruine le peuple libanais. Le chef du mouvement Chiite Libre, Muhammad al-Hajj Hassan, a déclaré : “Le Hezbollah ne nous a vendu que des illusions. Ceux qui l’ont soutenu doivent payer aujourd’hui. Son armée ne nous a pas protégés, elle nous a détruits”.
Sur les réseaux sociaux, des affrontements notables ont éclaté entre les partisans restants du Hezbollah et ceux qui le considèrent comme un mal absolu, surtout après l’annonce de l’Iran affirmant qu’”aucun soldat iranien ne participera à la guerre contre Israël au Liban”. Cette déclaration a profondément déçu de nombreux Libanais.
Le silence de la Syrie
Depuis le 7 octobre 2023, Israël a frappé plusieurs bases militaires iraniennes en Syrie, y compris son ambassade. Le régime d’Assad, se présentant comme résistant contre l’Etat hébreu, a condamné ces attaques sans réagir. Suite à l’élimination de Nasrallah, le régime semble vivre dans la peur. À Damas, les soldats aux checkpoints obligent ceux qui collent des photos de Nasrallah sur leurs voitures à les retirer. A la frontière syrienne avec le Liban, le 30 septembre, Israël a bombardé une ville appartenant à Maher al-Assad, frère de Bachar et chef de la 4ème division blindée. Israël soupçonnait la présence d’un officier iranien. Selon Rami Abdelrahman, directeur de l’Observatoire syrien des droits de l’homme, Israël a envoyé un message diplomatique à Assad : s’il participe à cette guerre, Tsahal occupera le sud de la Syrie jusqu’à Sayyida Zainab, une commune chiite au sud de Damas. La Syrie se retrouve aujourd’hui incapable de participer à un conflit avec Israël. La guerre civile a détruit ses infrastructures et considérablement détérioré sa situation économique. La livre syrienne a perdu plus de 99 % de sa valeur par rapport à la période d’avant-guerre.
En Irak, le gouvernement a exprimé une position favorable à la cause palestinienne, sans déclarer de soutien direct au Hamas, préférant se concentrer sur les appels à protéger les civils à Gaza. Mais après l’assassinat de Nasrallah, la “résistance islamique en Irak”, rassemblant plusieurs milices chiites soutenues par l’Iran, a lancé deux drones vers le Golan, au nord d’Israël. Tsahal a annoncé que deux de ses soldats avaient été tués et plus de 20 autres blessés. Entre le 7 octobre 2023 et janvier 2024, 179 opérations militaires ont été menées par ces milices contre des bases militaires américaines ou israéliennes. Le pays, où les chiites représentent environ 60 % de la population, est pris en otage par l’Iran. Le risque que le conflit s’étende dans ce territoire de 40 millions d’habitants est réel si l’Iran continue à utiliser les milices chiites.
À l’heure actuelle, une centaine d’Israéliens sont toujours officiellement enlevés. Mais au Proche-Orient, parmi les partisans de la “résistance islamique” comme chez leurs opposants, ces otages sont les grands absents des débats politiques, à l’exception bien sûr d’Israël, où les familles continuent à organiser des manifestations pour leur libération. Ces otages, majoritairement civils, ont déjà passé un an dans les tunnels du Hamas. Tant qu’ils ne seront pas libérés et que le Hamas est toujours présent, difficile d’imaginer une fin à ce conflit.
* Ecrivain et poète né à Damas, Omar Youssef Souleimane a participé aux manifestations contre le régime de Bachar el-Assad, mais, traqué par les services secrets, a dû fuir la Syrie en 2012. Réfugié en France, il a publié chez Flammarion Le Petit Terroriste, Le Dernier Syrien, Une chambre en exil, et récemment Etre Français.