Comment les ingérences étrangères infiltrent le débat politique

Comment les ingérences étrangères infiltrent le débat politique

Ce simple détail a fait tiquer la délégation française. Ce 27 mai, Emmanuel Macron prononce à Dresde un grand discours à l’occasion d’une visite d’Etat outre-Rhin. Place du Neumarkt, le chef de l’Etat livre un réquisitoire contre l’extrême droite et la “fascination pour les régimes autoritaires”. Dans la foule, flotte un drapeau bleu, rouge et vert. Celui du Front de libération nationale kanak et socialiste (FLNKS), mouvement indépendantiste calédonien. Que fait cet emblème à plus de 15 000 kilomètres de l’archipel ? Qui le brandit, en pleine crise ? L’exécutif s’interroge. Y décèle la main d’une puissance étrangère. Deux mois plus tôt, les services français avaient repéré la présence d’un agent des services azerbaïdjanais au côté de membres du FLNKS, à l’occasion d’une réunion du Comité spécial de la décolonisation des Nations unies, à Caracas (Venezuela).

La France n’a pas attendu l’explosion de la crise calédonienne pour identifier les ingérences étrangères sur l’île. Outre le régime de Bakou, on guette les signaux faibles en provenance de Russie ou de Chine. Mais l’Elysée fait passer la consigne : prière de ne pas évoquer le sujet publiquement. “Discours ferme sur l’Azerbaïdjan, mais pas de publicité”, glisse un membre du gouvernement. “Cela donnerait l’impression de faire de la politique. Il ne faut pas en faire un argumentaire”, ajoute un ministre de premier plan. Et donner le sentiment que l’existence même d’ingérences jette l’opprobre sur des revendications locales. Alors, quand le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin accuse le 16 mai l’Azerbaïdjan d’ingérence, certains tiquent. “Moi, je suis discipliné”, lâche un collègue investi sur ces sujets.

Commissions d’enquête

Eloigner le fléau des ingérences étrangères du tumulte médiatique. Le confiner à la diplomatie, loin du débat politique. Un vœu pieux, tant le sujet irrigue le débat public. Les Macronleaks, piratage des courriers des équipes d’En marche ! en 2017 soupçonnés d’avoir été orchestrés en Russie, ont vampirisé la fin de campagne présidentielle d’Emmanuel Macron.

Le Parlement se saisit du sujet. Les sénateurs socialistes ont lancé en février 2024 une commission d’enquête sur les ingérences étrangères. Lors de son audition, Gérald Darmanin a égrené le 28 mai quelques tentatives de déstabilisation récentes, comme ces tags de mains rouges apposés sur le mémorial de la Shoah ou ces étoiles de David bleues découvertes fin octobre 2023 sur plusieurs murs de la capitale, œuvres de citoyens bulgares et moldaves.

Le RN en toile de fond

A l’Assemblée, le Rassemblement national a pris les devants. Il a lancé sa propre commission d’enquête dès 2022 pour se laver des accusations d’accointance avec la Russie de Poutine. Las, en s’arrogeant la présidence de l’instance, la formation d’extrême droite a laissé le soin à la députée Renaissance Constance Le Grip, rapporteure, d’écrire un rapport au vitriol contre le RN. Les dénégations frontistes n’y changent rien. L’ombre du RN plane sur chaque tentative hexagonale de lutter contre les ingérences étrangères. Le député Renaissance Sacha Houlié a porté au printemps une proposition de loi (PPL) visant à “prévenir” ce phénomène. Le texte impose aux représentants d’intérêts étrangers qui font du lobbying en France de s’inscrire sur un registre national public et prévoit la possibilité de geler des avoirs financiers de personnes ou d’entités se livrant à des activités d’ingérence.

Autre innovation : l’élargissement d’un dispositif de surveillance algorithmique, aujourd’hui circonscrit à la lutte antiterroriste. La majorité se réjouissait que l’examen du texte percute la campagne des européennes et affaiblisse le RN. Marine Le Pen a elle-même demandé en février à la présidente de l’Assemblée nationale Yaël Braun-Pivet de saisir le Conseil d’Etat pour qu’il rende un avis sur le texte. Et ainsi retarder son examen au Parlement. Cette dernière n’avait pas donné suite. Mais l’adoption de la loi est passée sous les radars. “L’espace médiatique est saturé par d’autres choses, constate un cadre Renaissance. Et ce sujet des ingérences glisse sur les plumes des électeurs RN.” Comme si le souverainisme du parti servait de rempart à toute suspicion de dépendance envers l’étranger.

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