“Du flicage permanent” : l’inquiétant projet du RN pour l’éducation nationale

“Du flicage permanent” : l’inquiétant projet du RN pour l’éducation nationale

Sanctionner les chefs d’établissement qui ne seraient pas suffisamment vigilants quant au devoir de neutralité des professeurs… C’est l’une des mesures envisagées par le Rassemblement national s’il arrivait au pouvoir. “Nous ne menaçons personne, nous voulons juste que la loi soit respectée”, tente de nuancer Roger Chudeau, souvent surnommé dans la presse le “Monsieur éducation du RN”. Avant d’être élu député du Loir-et-Cher en 2022, ce fin connaisseur des rouages de la rue de Grenelle, qui fut professeur agrégé, proviseur, inspecteur général puis conseiller ministériel, avait rédigé le programme éducation de Marine Le Pen lors de la dernière présidentielle.

Les grandes lignes de ce texte nous donnent quelques indices sur les priorités de l’extrême droite. Comme le “renforcement de l’exigence de neutralité absolue des membres du corps enseignant en matière politique, idéologique et religieuse vis-à-vis des élèves qui leur sont confiés”. Jusque-là, rien de vraiment nouveau puisque le devoir de neutralité est censé s’appliquer à tous les fonctionnaires. Mais le RN innove en envisageant un “accroissement du pouvoir de contrôle des corps d’inspection en la matière”, et une “obligation de signalement des cas problématiques sous peine de sanctions à l’encontre des encadrants”. Voilà les personnels de direction prévenus !

Le programme du RN daté de 2022 prévoit bien un serrage de vis idéologique vis-à-vis du corps enseignant. Outre le contrôle “accru” du devoir de neutralité, il est question de mettre fin à la “doctrine laxiste en matière disciplinaire”, d’une “reprise en main du contenu et des modalités des enseignements” ou encore de la suppression des Instituts nationaux supérieurs du professorat et de l’éducation (Inspés) qui “contribuent à diffuser une idéologie délétère”….

Flicage permanent

La méfiance de ce parti vis-à-vis du corps enseignant historiquement classé à gauche et perçu comme particulièrement hostile aux idées du RN est très ancienne. “Dans les années 1990-2000, le Front national véhiculait l’idée qu’à la suite d’une sorte de “Yalta intérieur” organisé en 1945, l’économie aurait été cédée à la droite, tandis que la gauche aurait hérité de la culture et de l’éducation”, explique Ismail Ferhat, professeur à l’Université de Nanterre et membre de la Fondation Jean-Jaurès. Une théorie complotiste puisqu’il n’y a jamais eu de discussions ni d’accord de ce type.

“Même si le discours s’est un peu adouci depuis l’arrivée de Marine Le Pen, cette volonté de reprise en main du secteur éducatif afin d’éviter tout comportement subversif est toujours très présente”, poursuit Ismail Ferhat. “Nous ne tolérerons pas, par exemple, qu’un professeur dise à des lycéens qu’il faut descendre dans la rue pour combattre le Rassemblement national. Si cela se fait, nous appliquerons la réglementation sans faillir”, prévient d’ailleurs Roger Chudeau.

Pour Alain Boissinot, ancien recteur et ex-directeur de cabinet de Luc Ferry, l’entrée éventuelle du RN au gouvernement pourrait donner lieu à un “fonctionnement beaucoup plus autoritaire qui restreindrait considérablement les marges d’appréciation des enseignants réduits au rang d’exécutants”. L’idée de renforcer le contrôle des corps d’inspection sur ce qui peut être dit en classe serait, selon lui, non seulement “fortement contestable” mais aussi “totalement irréalisable”. “L’académie de Versailles que j’ai dirigée durant plusieurs années compte des milliers de professeurs d’histoire-géographie pour seulement quelques inspecteurs. Même s’ils l’acceptaient, comment voulez-vous que ces derniers assurent un tel flicage permanent ?”, interroge le haut fonctionnaire, craignant que ce genre de mesure ne puisse être perçu comme un appel implicite à la délation du côté des parents.

Même s’il reconnaît qu’aujourd’hui certains enseignants peuvent afficher des convictions politiques personnelles et donc enfreindre leur devoir de neutralité devant leurs élèves, ce qui leur vaut d’être parfois rappelés à l’ordre, Iannis Roder, professeur d’histoire-géographie et directeur de l’Observatoire de l’éducation à la Fondation Jean-Jaurès, estime également qu’il serait illusoire de vouloir aller plus loin en termes de contrôle. “L’Education nationale fonctionne sur la confiance, la cohésion et la cohérence. Les principaux et les proviseurs ne veulent pas se vivre comme des petits chefs et le fait de vouloir caporaliser le système aurait pour seul effet de braquer tout le monde et de créer un climat délétère”, estime-t-il.

“La violence scolaire a été sous-estimée par les autres partis”

Autre thème central du Rassemblement national sur le plan éducatif : le retour à l’ordre et à l’autorité. “Beaucoup de personnels de direction, pour ne pas attirer l’attention sur leur établissement ou par crainte qu’on les considère comme incompétents, ne font pas remonter la totalité des incidents ou atteintes à la laïcité”, avance Roger Chudeau qui souhaite en faire une “obligation réglementaire” et prévoit des sanctions contre les chefs d’établissement qui dérogeraient à la loi. Idem s’ils refusent d’appliquer les “sanctions plancher” – le programme ne précise pas lesquelles – qui seront instaurées pour les élèves convoqués en conseil de discipline. Le thème de la sécurité, investi par le RN, résonne avec le mouvement “pas de vagues”, qui a mis en évidence la solitude des enseignants et le manque de soutien de leur hiérarchie face aux phénomènes de violence.

Mais ce volet punitif pourrait en rebuter plus d’un, d’autant que les enseignants, au sein de la fonction publique, restent les plus hostiles aux thèses défendues par l’extrême droite. A noter, toutefois, que le parti de Jordan Bardella ne cesse de grignoter du terrain. 15 % d’entre eux auraient choisi le RN aux dernières élections européennes. Et cet universitaire, spécialiste du monde éducatif, de confier en “off” : “Le RN a compris l’intérêt de s’emparer du sujet de la violence scolaire, sous-estimé par les autres partis, et notamment par la gauche. Il se pose en défenseur des profs tout en prévenant qu’ils seront sanctionnés à la moindre incartade idéologique ou perçue comme telle.”

L’un des paragraphes du programme présidentiel du RN en 2022 était également consacré à une “reprise en main du contenu et des modalités d’enseignement”. L’une des propositions étant que “le détail des programmes et les labels validant les manuels scolaires relèveront du ministre de l’Education nationale”. Une mesure “totalement démagogique” pour Alain Boissinot qui s’exclame : “En quoi est-ce une nouveauté ? Les programmes font déjà l’objet de textes officiels et d’arrêtés validés par le ministre aujourd’hui ! Tout cela n’est pas sérieux et donne l’impression que c’est un sujet sur lequel le Rassemblement national n’a pas énormément travaillé.”

Autre mesure avancée il y a deux ans et toujours d’actualité pour le RN aujourd’hui : la disparition des Inspés, cps en 2019, jugés “inefficaces” et “contribuant à diffuser une idéologie délétère dans l’institution scolaire”. “Le courant pédagogiste peut se targuer d’avoir déconstruit l’école en introduisant une espèce de doxa laissant croire, par exemple, que les élèves sont capables de construire leurs propres apprentissages. Ces billevesées n’ont plus rien à faire à l’école !”, s’exclame Roger Chudeau. La dénonciation de certaines lubies dites “pédagogistes” n’est pas nouvelle. Le débat traverse d’ailleurs aujourd’hui aussi bien la droite qu’une partie de la gauche.

Mais que propose le RN en matière de formation en lieu et place des Inspés ? “Une fois admis au Capes et à l’agrégation, les futurs enseignants seront alors directement formés par des pairs expérimentés dûment rémunérés en contrepartie, au sein des établissements scolaires” dit le programme de 2022. Même s’il considère que la formation des enseignants, aujourd’hui confiée à l’université, doit réintégrer le giron de l’Education nationale, Iannis Roder estime qu’une simple “formation sur le tas” n’est pas envisageable. “C’est quand même très léger”, assène le professeur d’histoire-géographie. Et Roger Chudeau de tenter de rectifier le tir en précisant l’éventuelle création “d’écoles académiques de formation” sans en dire davantage. “Nous sommes en train de finaliser notre programme gouvernemental actuellement sous presse. Tout en sachant que Jordan, s’il accède à Matignon, n’aura pas les coudées franches sur tout”, confie Roger Chudeau, pressenti comme potentiel ministre de l’Education nationale.

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