Et maintenant, quelle politique étrangère pour l’Europe ? Par Frédéric Encel

Et maintenant, quelle politique étrangère pour l’Europe ? Par Frédéric Encel

Sans réelle surprise par rapport aux principaux sondages et à l’évolution des opinions publiques ces derniers mois, le scrutin législatif européen du 9 juin a renforcé le centre droit, la droite conservatrice et l’extrême droite. Les deux premiers courants, sur les grands dossiers internationaux, représentent une tendance relativement cohérente : atlantiste bien qu’avec des nuances fortes selon les pays, assez (voire très) européiste en même temps, hostile aux régimes autoritaires et notamment à la Russie depuis son attaque de l’Ukraine, et globalement favorable à Israël sur la scène proche-orientale.

Pour sa part, l’extrême droite ne constituera toujours pas un bloc homogène tant sont profonds ses clivages et diverses ses natures, nationaliste ici, séparatiste là, fascisante ailleurs ; en matière de politique étrangère toujours, les partis d’extrême droite français, néerlandais, suédois, autrichien, italien ou encore polonais divergent souvent, en particulier sur le rapport à la Russie et au soutien à l’Ukraine.

Quant aux gauches, surtout si on y inclut les partis écologistes et les formations d’inspiration marxisante, elles apparaissent tout aussi divisées sur l’Ukraine, moins sur le Proche-Orient. On rappellera que sur le dossier israélo-palestinien, les parlementaires ne votent que rarement de façon clairement majoritaire, traduisant en cela fidèlement les votes sur les trois positions “pour”, “abstention” et “contre” des chancelleries ! L’arrivée de nouveaux députés radicaux (sinon fanatiques) ne devrait pas modifier cet état de fait.

Mais au-delà des aléas politiques, on rappellera d’abord qu’en matière d’affaires étrangères, le Conseil et la Commission disposent de leviers et de prérogatives plus considérables que ceux du Parlement. Ensuite et surtout, l’Europe du traité de Rome de 1957, qui prolongeait dans l’esprit celle de la Communauté économique du charbon et de l’acier, forte de la France, de l’Italie, de la République fédérale d’Allemagne (Allemagne de l’Ouest), et des trois pays du Benelux, entretenait une vocation essentiellement économique, industrielle, et dans une certaine mesure sociale et normative. Puis viendraient les échanges universitaires (Erasmus) et culturels, voire énergétiques mais bien plus tardivement (le choc pétrolier de 1973 n’avait pas illustré une grande solidarité entre Européens !) par temps de grave crise sur le continent géographique (Ukraine, 2020).

Ces trois menaces existencielles

Mais en tout état de cause, l’ADN de l’UE, même après l’Acte unique de 1986 et le traité de Maastricht de 1992 – et en dépit d’un article évoquant la solidarité sécuritaire – n’avait pas vocation au politique. Or nombre d’observateurs oublient fâcheusement que la dimension politique implique le militaire et la sécurité collective. Depuis 1949, c’est l’Otan, qui épouse au demeurant sans cesse davantage les contours de l’UE, qui jouait et assume encore le rôle de protecteur du continent ; depuis l’attaque russe de l’Ukraine, on jauge à quel point l’UE est extrêmement faible non seulement en tant que telle, mais aussi au niveau de chacun de ses membres, aux (imparfaites) exceptions britannique et française, sachant que le Royaume-Uni n’en est même plus membre !

Crises ukrainienne, israélo-palestinienne, taïwanaise ou encore (climato-migratoire) sahélienne : le nouveau parlement issu du scrutin 2024 n’aura-t-il pas pour mission de pousser l’exécutif à infléchir l’union vers plus d’intégration, d’action stratégique, de positionnement comme puissance ? Trois enjeux existentiels menacent l’Europe : un régime russe ayant décidé de renverser la table des relations internationales et qui adopte une posture sans cesse plus belliciste ; un régime chinois revanchiste (du siècle des humiliations), économiquement et militairement de plus en plus agressif, et une nébuleuse islamiste avec en fer de lance les fanatiques Frères musulmans alliés aux “idiots utiles” de l’extrême gauche.

Ajoutons le spectre du retour à la Maison-Blanche en 2025 d’un Trump à l’imprévisibilité déjà légendaire et que l’Europe, au mieux, indiffère, au pire, exaspère. Si elle veut pérenniser son influence et ses capacités de sauvegarde, l’UE ne peut plus se contenter du “doux commerce” et d’un modèle sociétal et institutionnel de toute façon de plus en plus décrié ; elle doit assumer la puissance politique et stratégique. Avec une majorité favorable à cette perspective salutaire, le parlement issu de ce scrutin devrait s’y atteler. C’est peut-être la dernière fenêtre d’opportunité.

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