Fabrice Bonnifet : “La RSE est une question de survie pour les entreprises”

Fabrice Bonnifet : “La RSE est une question de survie pour les entreprises”

Du Greenwashing à une vraie politique de responsabilité sociétale des entreprises (RSE) : où en est-on vraiment ? Depuis la mise en place de la Directive européenne sur les publications des données extra-financières (CSRD), les sociétés de plus de 500 salariés doivent analyser les risques financiers auxquelles elles sont exposées mais aussi les conséquences environnementales de leurs activités (quantité de CO2 émis, atteinte aux milieux naturels, etc.). Ce rapport de durabilité rendra compte de la réalité de leur politique en matière de RSE. Or dans l’application de cette directive européenne, le France est plutôt en avance. Peu à peu, tout un mouvement se développe, avec d’un côté les contraintes de la loi, et de l’autre, le poids des salariés convaincus du rôle social et environnemental des entreprises. Au point d’en faire un choix pour leur carrière et de venir peser au sein des organes de direction. Silencieuse, la révolution RSE est inéluctable. Fabrice Bonnifet analyse cette tendance.

L’ère de la fin de l’abondance a sonné. La responsabilité sociétale des entreprises est devenue incontournable. Si elle a longtemps été un peu gadget, jamais transformative, elle l’est devenue aujourd’hui, estime Fabrice Bonnifet, président du Collège des directeurs du développement durable (C3D) et responsable Développement durable chez Bouygues.

L’Express : Longtemps la responsabilité sociétale des entreprises (RSE) a été ternie par le terme de greenwashing. Diriez-vous qu’elles prennent enfin le sujet à bras-le-corps ?

Fabrice Bonnifet : On n’y est pas encore. La RSE a longtemps été la plus importante des choses secondaires. Elle devient aujourd’hui un sujet plus stratégique, car l’étau des contraintes se resserre. Nous sommes encore loin d’une transformation en profondeur des modèles d’affaires pour les aligner avec les limites planétaires. C’est pourtant ce vers quoi nous devons tendre.

Pourquoi, selon vous, y a-t-il urgence ?

Croire que l’on va pouvoir encore longtemps dépasser la biocapacité de la planète sans conséquence sur l’économie relève de l’inconscience. Si nous ne consentons pas à reconfigurer drastiquement nos modèles de production et de consommation, en intégrant plus de sobriété dans l’utilisation des ressources primaires et en réduisant nos émissions de dioxyde de carbone (CO2), la nature va se charger elle-même du réajustement.

Pour éviter un changement brutal, de quelle façon l’économie doit-elle évoluer ?

Elle va changer de nature : nous devons passer à une économie d’usage. Concrètement, cela veut dire fabriquer des produits utiles ultra-durables et réparables, puis de commercialiser leur usage. Avec leurs initiatives “We Play Circular” pour Décathlon et “Mobilize” pour Renault, ces deux sociétés ont démontré la possibilité de ne plus faire payer un produit, mais l’utilisation qu’on en fait. Une fois utilisés, ils sont ramenés aux producteurs. Le tout dans une logique circulaire.

Et comment les entreprises doivent-elles s’y prendre pour s’engager dans ce changement de modèle ?

L’idée, c’est de tout repenser. Au C3D, on apporte une méthodologie basée sur les réussites des entreprises pionnières. Changer le mode de rémunération, le design, le marketing, le produit parfois. Le tout pour diminuer la pression sur les écosystèmes et la nature. Cela demande des investissements colossaux, à la rentabilité pas forcément immédiate. C’est un changement de paradigme majeur.

Mais, en adoptant ces nouveaux modèles, les entreprises peuvent-elles toujours atteindre la croissance ?

Bien sûr ! Faire croître l’intensité d’usage des produits améliorera leur rentabilité, car elles n’auront plus à acheter toujours plus de matières premières et émettre toujours plus de CO2 pour les fabriquer. Avec les tensions sur les ressources qui s’annoncent, l’économie de la fonctionnalité n’est plus une option pour les entreprises, c’est une condition de survie.

Cela ne signifie-t-il pas la mort de certains secteurs d’activité ?

Diviser par trois l’empreinte carbone de l’humanité en vingt-cinq ans va nécessiter de faire des choix, et le régulateur, à savoir le pouvoir politique, doit prendre ses responsabilités. Seule certitude : les modèles d’affaires régénératifs peuvent s’appliquer pour tous les secteurs d’activité, et ils se révéleront générateurs d’emplois qui ont du sens.

Qu’est-ce qui empêche une révolution plus radicale ?

Il y a un élément dont on ne parle pas assez : le déficit chronique de formations RSE. Les gens se forment sur le tas, souvent les plus jeunes, mais on manque d’enseignements académiques sur ce sujet pour mener une révolution d’ampleur. Nous, on réclame que des cycles entiers de la RSE soient intégrés aux grandes écoles, dans toutes les matières. Et pas uniquement des modules quelques semaines dans l’année.

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