Dans L’Age global, paru voilà quelques années, l’historien britannique Ian Kershaw – par ailleurs auteur d’une biographie de Hitler qui fait référence – expliquait que le XXIe siècle commencerait réellement autour de l’année 2020 (en raison des bouleversements de la tech et l’émergence de nouveaux pays), et non pas à partir du 11 septembre 2001 comme il est souvent dit. L’invasion de l’Ukraine par la Russie lui a donné raison. Depuis le 24 février 2022, un nouvel ordre mondial – ou plutôt un désordre – se dessine, avec une cascade d’effets incalculables en Europe, au Moyen-Orient, en Asie. L’élection 2024 est donc la première présidentielle américaine du XXIe siècle.
Le scrutin et la période de transition qui durera jusqu’au 20 janvier se déroulent dans une ère entièrement nouvelle, avec beaucoup d’incertitudes, de nouveaux acteurs et des réseaux sociaux qui – comme le sait Elon Musk, le propriétaire de X – modifient nos perceptions. Le tout, sur fond de recul du leadership des Etats-Unis. Le soft power américain a encore été écorné par le lamentable spectacle de la campagne 2024. D’un côté, lors d’un de ses derniers meetings, Donald Trump a terminé sa campagne en utilisant son micro pour mimer une fellation ; de l’autre, Kamala Harris, fragile candidate de dernière minute, n’a présenté ni vision ni programme autre que sa volonté de tourner la page Trump. “We are not going back !” (Nous ne retournerons pas en arrière), assure son slogan principal.
Le match est frontal
Les dépenses des deux campagnes cumulées dépassent… 2,5 milliards de dollars ! Le match est frontal, voire brutal. “Autrefois, il y avait deux Amériques qui se détestaient en se côtoyant, remarque l’analyste franco-américain Jeremy Ghez, professeur d’économie et d’affaires internationales à HEC. Aujourd’hui, ces deux Amériques ne se parlent même plus et ne se connaissent pas.” De son côté, Françoise Coste, auteure de Reagan et spécialiste du parti républicain, ajoute : “Quand la démocratie américaine est malade, c’est tout le modèle occidental qui est touché.” Or ce modèle démocratique qui avait remporté la guerre froide – victoire morale, avant tout – faisait autorité. C’est fini. Les Nord-Coréens sont en Russie ; les Iraniens au Venezuela ; les Russes en Afrique et les Chinois partout.
Fasciné par les dictateurs (Vladimir Poutine) ou les dirigeants illibéraux (Viktor Orban), Donald Trump foule aux pieds les idées d’exceptionnalisme américain et de prééminence du “monde libre”. Kamala Harris de son côté semble manquer d’imprégnation historique. Californienne née de parents indien et jamaïcain, sans aïeux ayant connu les guerres mondiales, elle méconnaît la vieille Europe autant que Barack Obama qui, en son temps, s’agaçait de devoir parler à 27 interlocuteurs différents en arrivant sur le Vieux continent. Pour la première fois, la relation transatlantique semble réellement affaiblie – par la faute, aussi, des mauvais payeurs de l’Otan. Quant à l’ONU, discréditée par son secrétaire général Antonio Guterres, lequel fait des courbettes devant le criminel de guerre Vladimir Poutine, elle pèse désormais aussi peu que l’ancienne Société des nations. Commencée en 1945 avec la création des institutions internationales et achevée avec l’invasion de l’Ukraine, l’ère de la pax americana a vécu.
Une élection pleine d’incertitudes
Le premier président américain du “XXIe siècle” débarquera dans un monde nouveau, complètement différent de 2016 (élection de Donald Trump) ou 2020 (élection de Joe Biden). L’élection elle-même présente des caractéristiques inédites ou presque. Si Donald Trump est élu, il aura la particularité de servir deux mandats non consécutifs en tant que président des États-Unis. Ce n’est arrivé qu’une seule fois, à la fin du XIXe siècle, avec le démocrate Grover Cleveland qui fut à la fois le 22e et le 24e président des États-Unis. Un cas unique dans l’histoire présidentielle. Donald Trump, qui serait ainsi le 45e et le 47e président, est aussi le premier candidat de l’Histoire à se présenter après avoir été condamné par la justice (dans l’affaire “Stormy Daniels”). La justice prononcera la durée de sa peine après l’élection. Elu, il deviendrait le premier condamné de l’Histoire à accéder à la Maison Blanche. Par ailleurs, Trump a été la victime de deux tentatives d’assassinats durant la campagne, ce qui est également inédit.
En cas de victoire de Kamala Harris, celle-ci serait la première femme et la première femme d’origine indienne à accéder à la Maison-Blanche. Son processus de désignation comme candidate a en outre suivi un processus extrêmement rare. Elle a été choisie par Joe Biden et les dirigeants démocrates sans être passée par le processus des élections primaires au sein du parti. Ce n’est arrivé qu’une seule fois par le passé, en 1968 lorsque l’impopulaire président sortant Lyndon B. Johnson s’était – comme Joe Biden, également impopulaire – retiré de la course tardivement. Le démocrate aussi avait désigné son vice-président : Hubert Humphrey. Quelques mois plus tard, était battu (de peu) par le républicain Richard Nixon qui avait obtenu 500 000 voix de plus que son adversaire.