Macron sur l’Allemagne : ces deux données qui minent notre crédibilité, par Nicolas Bouzou

Macron sur l’Allemagne : ces deux données qui minent notre crédibilité, par Nicolas Bouzou

Dans son entretien à L’Express, le président de la République souligne à juste titre les difficultés économiques de l’Allemagne. Il y a en effet quelque chose d’anachronique dans le modèle industriel allemand. Pendant longtemps, notre voisin a tiré sa prospérité d’une industrie exportatrice, tournée vers la Chine, s’approvisionnant en énergie carbonée russe. L’avantage concurrentiel de ses entreprises émanait de coûts salariaux maîtrisés et d’une capacité, apparemment sans limite, à améliorer les process : l’innovation incrémentale plutôt que l’innovation radicale.

Du point de vue géopolitique, son pacifisme conduisait l’Allemagne à adopter une posture neutre, “à la Suisse”, et à faire assurer sa protection par les Etats-Unis, quitte à préférer leur matériel militaire aux équipements européens. Si l’on regarde rationnellement chacun des termes de ce qui précède, plus rien ne va. Comme l’explique l’essayiste David Baverez (Bienvenue en économie de guerre !, Novice, 2024), le cycle de la mondialisation heureuse et pacifique ouvert en 1989 avec la chute du mur de Berlin, auquel l’Allemagne s’était remarquablement adapté, s’est clos en 2022 avec l’invasion de l’Ukraine par la Russie mais aussi, point capital et souvent oublié, le XXe congrès du Parti communiste chinois qui a vu se refermer sur le pays – et son économie – la main d’acier de Xi Jinping. De fait, le secteur privé chinois ne progresse plus mais l’industrie chinoise moyenne gamme est plus compétitive que jamais.

Face à la nécessité de construire une défense européenne, de décarboner son économie ou d’investir dans l’intelligence artificielle et l’informatique quantique, le discours économique et géopolitique allemand des années 1990-2000 est en grande partie à côté du sujet, là où le volontarisme et la créativité française semblent d’un coup plus adaptés aux événements.

Le discours français face à l’Allemagne est donc le bon. Mais notre pays est-il crédible pour le tenir et embarquer ses voisins dans ce qui est souvent passé en Europe pour de l’aventurisme romantique ? C’est là tout le sujet. L’intellectualisme et l’art oratoire, deux qualités françaises indéniables, ne sont pas suffisants pour prendre une position d’influence centrale en Europe, et pour inciter nos partenaires à construire une industrie de défense européenne capable de subvenir à nos propres besoins militaires. Si on analyse le fonctionnement économique de la France et de l’Allemagne, deux différences majeures, qui sont à l’avantage de cette dernière, sautent aux yeux et minent notre crédibilité : l’emploi et les finances publiques.

Un taux d’activité bien supérieur outre-Rhin

Il est notoire que le taux de chômage a beaucoup baissé en France depuis 2016, passant de 10,5 % à 7,5 % de la population active. Dans le même temps, le taux de chômage des jeunes a baissé de 24,5 % à 17,5 %. L’amélioration est importante. Notons néanmoins qu’outre-Rhin, ces deux chiffres s’établissent respectivement à 3 % et 5,5 %. Les différences les plus significatives concernent les taux d’emploi. En France, 66,6 % de la population adulte travaille. Ce ratio est de 77,8 % en Allemagne, 10 points de plus. La différence est colossale et s’explique en grande partie par l’écart dans le taux d’emploi des 55-64 ans. Ils sont 57,5 % à travailler en France contre 75 % en Allemagne, un écart de près de 20 points !

Cette sous-performance française relative explique le mauvais chiffre comparé de nos finances publiques : une dette publique de 110 % du PIB ici, 63,5 % là-bas. Avec un tel taux d’emploi des séniors, l’Allemagne évite le sous-financement de sa retraite par répartition et augmente en même temps son potentiel de croissance, et donc ses recettes sociales et fiscales.

Le président de la République plaide pour un doublement de la capacité budgétaire européenne pour investir, notamment en augmentant notre endettement commun. L’idée peut se défendre, même s’il existe d’autres moyens de dynamiser notre économie que de s’endetter un peu plus. Les parlementaires européens et la Commission pourraient par exemple essayer de modérer leur passion normative, un vrai frein à l’innovation au moment où les entreprises américaines appuient à fond sur l’accélérateur.

Quoi qu’il en soit, les Allemands seront réticents à mutualiser leur endettement avec le nôtre tant que nous n’aurons pas fait preuve d’un peu de sérieux en matière de finances publiques. Et autant, sur certains sujets, la France avance, autant sur celui-ci, nous restons mauvais et peu crédibles.

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