Philippe Aghion : “Mon plan pour rétablir les finances publiques”

Philippe Aghion : “Mon plan pour rétablir les finances publiques”

Pour rétablir les comptes publics qui ont sérieusement dérapé cette année, Michel Barnier a promis de la “justice fiscale”. Forcément plus consensuel et vendeur que de parler d’économies ou de rigueur budgétaire. Mais que cache exactement ce terme ? A l’Express, l’économiste Philippe Aghion, professeur au Collège de France et à l’Insead, détaille son chemin pour retrouver une forme de soutenabilité budgétaire.

Au programme : sous-indexation de certaines pensions et notamment des retraites, hausse des impôts et nettoyage de certaines niches fiscales. En premier lieu le “Pacte Dutreil”.

L’Express : Alors que le déficit public de la France pourrait atteindre 5,6 % du PIB cette année, diriez-vous que la situation des finances publiques en France est hors de contrôle ?

Philippe Aghion : Certainement pas. Tout d’abord parce que la croissance devrait repartir en 2025. Nous sommes actuellement au creux du cycle, avec des taux d’intérêt élevés pour répondre à l’inflation induite par la sortie du Covid et la hausse du prix de l’énergie depuis le déclenchement de la guerre en Ukraine. Maintenant que l’inflation a été jugulée, les taux vont se mettre à baisser, ce qui devrait relancer l’activité économique dans le courant de 2025, avec un impact positif sur les recettes fiscales.

Il n’en demeure pas moins que rétablir nos finances publiques est urgent et impératif. Non pas tant pour respecter un quelconque chiffre magique – la réduction du déficit n’est pas une fin en soi – mais pour retrouver notre crédibilité auprès des marchés et de nos partenaires européens. Tant que la France se trouvera en procédure de déficit excessif, elle n’aura aucun poids pour peser en Europe, en particulier pour convaincre nos voisins, en premier lieu l’Allemagne, de la nécessité d’investir davantage dans la transition énergétique, dans l’IA et autres innovations de rupture. C’est la doctrine Draghi : le sérieux budgétaire pour chaque Etat membre en échange d’une voix sur la scène européenne pour investir dans la croissance.

Justement pour revenir dans les clous, la marche est très haute, puisqu’il faudra trouver plus d’une vingtaine de milliards d’euros d’économies. Comment faire ?

Le plan alternatif que je propose consiste en un cocktail de mesures. Tout d’abord, réduire drastiquement les dotations aux collectivités locales tout en leur donnant le pouvoir de lever un impôt local raisonnablement plafonné. Par exemple, si l’on autorise les collectivités à lever un impôt résidentiel de 500 euros par foyer fiscal en échange d’une réduction équivalente des dotations en provenance de Bercy, et étant donné qu’il y a près de 18 millions de foyers fiscaux, on réduirait notre déficit budgétaire d’environ 9 milliards d’euros. Par ailleurs, on peut juste cette année sous-indexer les retraites supérieures à 2 500 euros : on économise près d’un milliard par point de sous-indexation. Ensuite, on peut relever la TVA sur les cafés et les restaurants, ce qui rapporterait près de 2 milliards à l’Etat.

La fiscalité sur les holdings familiales devrait aussi être ajustée en copiant le modèle américain

Mais surtout, il faut avoir le courage de s’attaquer vraiment aux niches fiscales. Je propose la suppression des niches qui permettent de déduire les dépenses de réparation et d’amélioration des revenus fonciers déclarés. Et pour répondre à la promesse de justice fiscale, pourquoi ne pas mettre à plat le “Pacte Dutreil”, qui permet de transmettre une entreprise dans des conditions fiscales très avantageuses en évitant l’impôt sur les successions : ce pacte est actuellement utilisé de façon abusive.

A plus long terme, la fiscalité sur les holdings familiales devrait aussi être ajustée en copiant le modèle américain, il est trop facile chez nous de l’utiliser pour s’affranchir de l’impôt sur le revenu, moins avantageux que simplement payer l’impôt sur les sociétés.

C’est une thérapie à court terme, mais comment faire pour poursuivre l’effort dans la durée ?

A long terme, je reste persuadé que c’est par l’augmentation du taux d’emploi – qui est toujours très inférieur en France à celui de nos voisins – et par l’élévation de notre potentiel de croissance que nous pourrons durablement rétablir nos comptes publics. D’où l’importance de réduire nos dépenses de fonctionnement pour mieux investir dans la formation, l’emploi et la croissance. Un chantier encore largement inexploré est celui du millefeuille territorial et de la duplication des niveaux de gouvernement.

Avez-vous des lignes rouges en matière de réduction des dépenses ?

L’éducation, évidemment, et l’innovation. Les deux fondamentaux pour une croissance durablement supérieure.

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