2027 en ligne de mire : comment les partis de gauche préparent l’après-européennes

2027 en ligne de mire : comment les partis de gauche préparent l’après-européennes

Une rumeur. Et si Jean-Luc Mélenchon s’annonçait candidat au soir du 9 juin ? Elle court, elle court, et refroidit le reste de la gauche. Les écolos dépriment, les socialistes se lamentent. Ah ! S’il leur vole leur moment, aux roses, alors que Raphaël Glucksmann plastronne en tête, jetant le tout petit score de la présidentielle aux oubliettes. Et lui, Glucksmann, que va-t-il faire ? Nouvelle rumeur. Il est tenté de prendre la parole et de court Olivier Faure et les appareils politiques pour “pousser le rassemblement”. Candidat lui aussi ? Mélenchon versus Glucksmann. Politique-fiction. Le deuxième ne regarde pas vers l’Elysée.

Une nouvelle étape s’ouvre à gauche. “Ça va être la guerre entre eux et nous”, résume un cadre socialiste. Ou encore Patrick Kanner, le sénateur socialiste, convaincu : “Glucksmann, c’est le premier coup d’arrêt à Mélenchon.” On dit le leader de LFI fragilisé par ses frondeurs, Clémentine Autain, Raquel Garrido, Alexis Corbière, Danielle Simonnet – ou Eric Coquerel, à plus petite voix – et concurrencé par François Ruffin. L’Insoumis de la Somme compte prendre la parole juste après le scrutin européen, une nouvelle brique à son édifice de candidat pour 2027. Un proche murmure : “Seule certitude : il n’ira pas contre Mélenchon. Il ne veut pas être Brutus.” Autain, elle, plus audacieuse, s’avancera un peu plus avec L’Emancipation, son nouveau mouvement. Deux candidats à LFI, trois si l’on compte l’envie débordante de Mélenchon, un luxe pour le parti autant qu’un piège pour le patriarche Insoumis.

Autour du fondateur, on serre les rangs, on durcit la ligne. A l’Assemblée nationale, un nouveau règlement intérieur a été entériné, déposé sur la table comme si de rien n’était un mardi matin lors de la réunion de groupe. Le texte durcit le ton, muscle les pouvoirs du “bureau”, instance composée quasi uniquement de fidèles du chef et dont les grognards ont été exclus. A ce bureau d’ailleurs l’examen des sanctions. Chez les députés LFI, on craint que le sort de Raquel Garrido, l’une des plus critiques de Mélenchon, ne soit déjà réglé : exclusion du groupe à venir, sinon pis.

Les couteaux s’aiguisent chez les Verts

Et les autres ? Les communistes cherchent la lumière, la candidature de Fabien Roussel, dixit un de ses lieutenants, “se déclencherait à la minute où Jean-Luc Mélenchon s’annonce”. Il s’agit de ne pas courir après la tortue Mélenchon, mais de préparer l’avenir, tout de même. Alors on consulte à gauche, et on fait de nouvelles rencontres. Avec Guillaume Lacroix, le président du PRG, un 29 février entre les murs de l’Assemblée nationale, à qui Roussel propose de “bosser sur le fond du programme”. Car, en conclusion de la réunion, rapporte un témoin, “il pourrait bien y avoir deux candidatures à gauche”.

Les écologistes, eux, pansent déjà les plaies d’une impossible campagne. On s’accorde pourtant à dire que Marie Toussaint, leur candidate, a fait au mieux ; les couteaux s’aiguisent surtout en direction de Marine Tondelier, la secrétaire nationale du parti, et déjà certains brandissent la menace d’un congrès extraordinaire convoqué dès la fin de l’année 2024. “Si on fait 6 %, on fait tomber Tondelier, tacle un cadre. Mais je suis incapable de donner un nom pour la remplacer.” En interne, la sénatrice Mélanie Vogel, tête de pont de la constitutionnalisation de l’IVG au Sénat en février, a les faveurs d’une partie des militants et des caciques. Un hic : les statuts du parti vert ne permettent pas à un élu national de diriger aussi le mouvement. Impossible n’est pas écolo…

Primaire, confédération, mouvement commun… Les idées ne manquent pas, mais les conditions sont, de l’avis d’un député PS, loin d’être réunies. Comment provoquer l’union ? Des dizaines de notes circulent dans les mains des caciques de tout bord, dont l’une, intitulée “Viser la lune” et rédigée par l’ancienne tête pensante de Yannick Jadot, Alexis Braud, s’est égarée sur le bureau de L’Express. Le tube d’Amel Bent que chantait à tue-tête Cécile Duflot dans sa voiture en 2012. Autre époque, autres gauches. Puisque la Nupes n’est plus, il faut imaginer un autre format de coalition. L’auteur appelle les caciques à s’inspirer de feu l’UDF. Un son de cloche que partage Patrick Kanner. “Il faut réfléchir à une dynamique confédérale. C’est le premier stade qui peut mener vers autre chose, vers un grand parti social, démocrate et écologiste, un grand mouvement avec des structures libres qui acceptent de regarder ensemble vers un horizon nouveau. C’est plus que la Nupes, et moins que le parti unique. Ça suppose du compromis et un projet politique qui ne saurait être obtenu avec le couteau sous la gorge en quinze jours.”

Huis clos stratégiques sur l’avenir

D’autres encore concoctent un scénario avec “la gauche hors les murs”, rassemblant ONG, auteurs, syndicalistes, etc. Plusieurs signatures pourraient apparaître, et non des moindres, comme l’a révélé Libération : Erik Orsenna, Benoît Hamon, Camille Etienne, Pierre Rosanvallon, Marylise Léon, Sophie Binet ou encore Annie Ernaux, hier soutien de Jean-Luc Mélenchon. Laurent Berger et Philippe Martinez, les deux visages de la dernière union syndicale contre la réforme des retraites, pourraient parapher. Le texte appellera au rassemblement, réclamera un processus de désignation, et dira sans le dire que l’homme de la situation ne saurait être Jean-Luc Mélenchon. Dans la foulée, des socialistes, communistes, écologistes et Insoumis “unitaires” répondraient d’une même voix. Début juillet, dans le cloître du Festival des idées à la Charité-sur-Loire, ce raout estival où toute la gauche se presse pour deviser du fond, se tiendront aussi quelques huis clos stratégiques sur l’avenir.

Un canevas fragile tant les municipales seront le terreau de nouvelles divisions entre les partis. Les écologistes lorgnent sur deux bastions socialistes, Lille et Paris, et hésitent à s’acoquiner avec les Insoumis dans le premier pour récupérer le trône de Martine Aubry. Chacun s’accorde à dire que les appareils politiques, aussi faibles soient-ils, ankylosent les conditions du rassemblement. “Regardez ce que le dernier congrès du PS a provoqué dans la Nupes, alors que leur candidate n’était qu’à 1,7 %…”, soupire un Insoumis. Le prochain, qui promet d’être aussi tendu, doit se tenir à la fin de l’année 2024, mais Olivier Faure préfère le mois de mars 2025. Fragilisé en interne, y compris dans sa majorité, le premier secrétaire pourrait bien passer la main. Le nom de Boris Vallaud semble faire l’unanimité autant chez les soutiens de Faure que chez ses opposants. “Boris a les qualités d’un chef. Il n’y aura pas d’affrontement entre lui et Olivier Faure”, affirme un soutien du député des Landes.

Sans oublier François Hollande, toujours en embuscade. Il a récemment petit-déjeuné avec le député Arthur Delaporte, l’une des figures du PS d’aujourd’hui. La nouvelle génération à la table de celle d’hier. Au menu de la conversation, la Nouvelle-Calédonie surtout, mais on a aussi parlé “du reste”, doux euphémisme pour la politique. L’ancien président considère qu’il faut réaffirmer la force du socialisme dans le cadre des municipales, prérequis à tout rassemblement des gauches. Mais que l’on ne s’inquiète pas de son retour éventuel : il n’est là que pour aider.