“Si Marion Maréchal fait moins de 5 %…” : chez Reconquête, une fin de campagne au bord de l’implosion

“Si Marion Maréchal fait moins de 5 %…” : chez Reconquête, une fin de campagne au bord de l’implosion

Il était temps que ça s’arrête. A Reconquête (le parti d’Éric Zemmour), il a fallu serrer les dents pour prendre la pose tous ensemble, sur la dernière photo de famille, ce mercredi soir à Nice. Un ultime effort pour afficher une unité de façade et clôturer cette campagne des européennes qui a ressemblé à un long chemin de croix pour Marion Maréchal, tête de liste de la jeune formation d’extrême droite.

Illustration parmi d’autres de l’ambiance qui a régné en interne pendant ces quelques mois, cette réponse d’un cadre du parti interrogé sur la dernière prestation télévisée de sa candidate : “Je n’ai même pas eu la force de l’écouter.” Un parti, deux camps, et une incertitude d’atteindre les 5 % des suffrages le 9 juin, seuil minimal pour obtenir des élus au Parlement européen. Voici, pour l’heure, le bilan de la campagne de Reconquête, qui jouait pourtant sa survie dans cette élection. A quelques minutes du début du dernier meeting, certains affichent de fausses pudeurs de gazelle mais semblent déjà avoir fait le deuil de la candidate et le font savoir. “Je ne peux pas me mettre à disséquer un être encore vivant”, sourit un zemmouriste devant plusieurs journalistes.

Un conflit sur l’attitude vis-à-vis du RN

Dire que tout avait bien commencé serait peut-être exagéré. Mais à moins de trois jours du scrutin, personne ne s’attendait à une atmosphère si délétère. Entre les proches d’Éric Zemmour et de Marion Maréchal, les relations sont quasiment rompues. Cela fait des mois que la campagne est minée par des divisions internes. Les bureaux de campagne ont cessé de se tenir depuis plusieurs semaines. En cause : un désaccord stratégique, d’abord, sur l’attitude à adopter vis-à-vis du Rassemblement national et de Jordan Bardella. Deux lignes : celle de Marion Maréchal, qui a choisi d’épargner son ancien parti et de faire de la droite et des Républicains son principal adversaire ; et celle des proches d’Éric Zemmour, persuadés que la position défendue pendant la campagne présidentielle (à savoir celle de taper comme un sourd sur Marine Le Pen et son parti et répéter que cette dernière ne pouvait pas gagner) était la plus efficace électoralement.

“C’est dingue, son parcours politique entier est basé sur une opposition à la ligne de Le Pen, elle a même quitté le parti pour ça. Elle s’opposait plus à sa tante quand elle était au FN que chez nous”, s’étrangle un cadre zemmouriste. Dans la dernière ligne droite, plus que le score à venir, ce qui préoccupe les membres de Reconquête est de se distancier d’une possible défaite. “Au départ, on s’est dit que la plus-value de Marion c’était la confiance que lui accordaient les électeurs RN et qu’elle allait élargir notre base de 7 %, mais il s’est passé tout l’inverse : elle n’a pas séduit l’électorat frontiste, et elle a fait fuir notre électorat”, fait mine de déplorer l’un d’eux.

La bataille électorale devient une bataille de récit. “La popularité de Marion Maréchal auprès de l’électorat de Marine Le Pen est de 76 %, celle d’Éric Zemmour de 50 %, rétorque un marioniste. Par ailleurs il y a une erreur d’analyse quand on dit que l’on part de 7 %, en réalité on part des 3,5 % des législatives, Marion a donc réussi à se maintenir malgré la poussée du RN.” Deux stratégies, deux discours. Y compris sur scène, à Nice, où Éric Zemmour attaque frontalement Jordan Bardella quand Marion Maréchal ne le mentionne même pas. Résultat : une communication cacophonique et désordonnée qui ne semble pas déranger les candidats.

“Il a voulu être au milieu et s’est retrouvé nulle part”

Le poids des rumeurs, aussi, pèse sur la campagne interne. Celle, persistante, d’un retour au bercail de Marion Maréchal, soupçonnée, malgré plusieurs démentis publics, de vouloir quitter Reconquête pour le RN. Interrogée par Éric Zemmour à ce sujet, la tête de liste a nié en bloc, mais justifié sa réticence à attaquer son ancien parti par son appartenance au “clan Le Pen”. A Reconquête, un désaccord anecdotique chasse quotidiennement l’autre. Un matin la gestion de la presse taxée d’amateure par les zemmouristes, un après-midi la chasse aux off dans la presse, jugés puérils par les marionistes, le jour suivant la place à accorder à Eric Zemmour dans la campagne par rapport à Marion Maréchal.

La succession de conflits picrocholins parvient même à agacer certains cadres. “Il n’y a aucun vrai sujet de discorde, ce sont de petites difficultés de travail entre des gens un peu en compétition…”, assure l’eurodéputé Nicolas Bay, visiblement lassé de devoir commenter. D’autres ont choisi de s’éloigner un peu. Contrairement à son habitude, Guillaume Peltier, le numéro 2 de la liste, s’est fait bien discret ces dernières semaines, peu désireux de choisir un camp. Mais les absents ont toujours tort et sa neutralité apparente ne l’exonère pas de quelques tirs de mortier en interne. “Son problème c’est qu’il a voulu être au milieu et s’est retrouvé nulle part.” Les oreilles de l’ex numéro 2 des Républicains ont dû siffler depuis Saint-Malo, où il s’était réfugié pour un meeting loin du tumulte niçois. D’autant que tous s’accordent : ils sont d’accord sur le fond. A savoir : la défense d’une vision civilisationnelle de l’Europe, la même détestation de l’Islam, la mise en garde contre le “grand remplacement”, (la théorie raciste et complotiste popularisée par Renaud Camus), la nécessité de lutter contre “la propagande LGBT”.

“Si Marion Maréchal fait moins de 5 %, va-t-elle faire son mea culpa ?”

Pourtant tout au long de la campagne, ce consensus idéologique se sera effacé derrière des querelles humaines. Il reste encore quelques jours, mais certains semblent avoir déjà enjambé le scrutin, et l’hypothèse de la défaite est dans toutes les têtes. Côté zemmouriste, on affûte ses couteaux en rêvant du moment du bilan. “Si Marion Maréchal fait moins de 5 %, la question est va-t-elle faire son mea culpa ?, fait mine d’interroger un dirigeant. Ce qui est sûr c’est qu’on va convoquer un bureau de campagne. Enfin, ce sera plutôt une garde à vue.” “Manifestement on n’a pas les mêmes préoccupations à quelques heures de la fin de la campagne”, répond Philippe Vardon, directeur de campagne de Marion Maréchal.

Certains tentent tout de même de se faire entendre : ils sont tous dans le même bateau. “Si on ne fait pas 5 %, ce sera difficile pour Marion, mais ce ne sera pas plus facile pour les autres contrairement à l’illusion qu’ils ont”, alerte un candidat, qui prédit un avenir sombre à la formation d’extrême droite si elle n’obtient aucun élu à Bruxelles. “On avait tout pour réussir, fait mine de déplorer un cadre. Et Marion s’est enfermée dans une campagne solitaire.” “Nous, il nous reste quelques heures pour faire campagne, et nous allons les passer avec les Français, pas les journalistes”, rétorquent les équipes de la candidate. Qu’on se rassure, le calvaire est presque terminé. Il a même été abrégé : Marion Maréchal qui devait déambuler sur un marché avec Eric Zemmour, ce vendredi, a préféré annuler à la dernière minute. Plus que trois jours avant l’élection, et chacun sera libre, selon les résultats, de convoquer la presse ou de se féliciter. Seul problème : en cas d’élus au Parlement européen, il faudra tout de même cohabiter.

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