Nouvelle-Calédonie : quand Marine Le Pen veut revenir à la méthode “des accords de Nouméa”

Nouvelle-Calédonie : quand Marine Le Pen veut revenir à la méthode “des accords de Nouméa”

Au Rassemblement national, c’est “son” sujet. Celui où, en dehors d’elle, personne ne prend vraiment la parole au sein du parti, assure-t-on. Le 16 mai, en pleine crise en Nouvelle-Calédonie, Marine Le Pen avait surpris en s’interrogeant sur le plateau de France 2 : “Peut-être faut-il un référendum de plus en Nouvelle-Calédonie ?” Plaidant pour une “pacification” sur le temps long, elle ouvrait la possibilité d’un référendum “dans quarante ans”. La déclaration surprend : en 2021, lors du dernier référendum prévu par les accords de Matignon et de Nouméa, signés en 1998, celle qui était alors la présidente du Rassemblement national estimait que les Calédoniens s’exprimaient “de façon définitive”.

Marine Le Pen joue désormais la carte de la négociation. “Rétablissons l’ordre et reprenons la technique éprouvée des accords de Nouméa, indique-t-elle à L’Express. A côté de ça, on discute des perspectives économiques et des investissements nécessaires.” La cheffe de file de l’extrême droite ne parle plus désormais d’une problématique lointaine, dont elle devrait potentiellement se préoccuper dans la perspective de 2027. Si, dans le cadre des législatives anticipées des 30 juin et 7 juillet, le RN était en position d’accéder à Matignon, le dossier brûlant de la Nouvelle-Calédonie arrivera très vite sur le bureau de Jordan Bardella, pressenti Premier ministre.

Situation inflammable

Car, à Nouméa, la situation est loin d’être réglée. Dans une lettre adressée ce 18 juin aux Calédoniens, Emmanuel Macron a déclaré “ne pas réunir le Congrès” nécessaire à l’adoption de la réforme constitutionnelle, après avoir annoncé, six jours plus tôt, “suspendre” le projet de réforme constitutionnelle de dégel du corps électoral, à l’origine des violences sur l’archipel. Signe des tensions, le 43ᵉ congrès du Front de libération nationale kanak et socialiste (FLNKS), initialement prévu ce 15 juin, a été renvoyé à une date ultérieure. En face, divisé entre radicaux et modérés, le parti loyaliste est tout aussi morcelé. Le calme revient peu à peu, mais reste très fragile : dans son courrier, le chef de l’Etat a ainsi réclamé “la levée ferme et définitive de tous les barrages [et] la condamnation des violences sans faux-semblants”. “J’ai confiance en notre capacité à trouver ensemble le chemin du respect, de l’ambition partagée, de l’avenir”, écrit le chef de l’Etat.

Après l’explosion des émeutes en Nouvelle-Calédonie, le Rassemblement national avait gardé le silence, Marine Le Pen ne s’exprimant que pour appeler au calme, le 14 mai, sur BFMTV : “Il ne faut rien faire qui puisse entraver la capacité de dialogue de demain, dont les habitants de Nouvelle-Calédonie, qu’ils soient kanaks ou loyalistes, sont parfaitement capables.” A l’Assemblée nationale, le RN avait voté la veille en faveur du projet de loi constitutionnelle sur le dégel électoral. “J’ai toujours dit que je voterai le dégel parce que je suis pour. Mais nous n’aurions pas dû le voter maintenant”, explique-t-elle, évoquant à la fois l’échéance des Jeux olympiques et la crise économique à laquelle est confronté l’archipel. “Il faut reprendre les discussions et le corps électoral doit en faire partie”, estime-t-elle aujourd’hui.

“Intégrer la jeunesse kanak”

Marine Le Pen réalise depuis un mois un départ net de la position du parti cofondé par son père, traditionnellement très lié aux loyalistes. “Nous étions contre les accords de Nouméa et contre le gel du corps électoral total. On était contre de manière virulente toute idée d’indépendance car les dirigeants du Front national de l’époque avaient en tête l’Algérie française, admet Marine Le Pen. C’est aussi une histoire de générations, et celle d’aujourd’hui ne répond pas aux mêmes réflexes.”

La candidate trois fois déçue à la présidentielle estime qu’il faut “désormais convaincre”. “A-t-on vraiment tout fait pour intégrer la jeunesse kanak à l’économie ?” s’interroge-t-elle. Si l’accord de Nouméa a permis des progrès, les inégalités entre les communautés et les territoires sont loin d’avoir été réduites à néant. D’après un bilan commandé par l’Etat et publié en mai 2023, le pourcentage de cadres au sein de la communauté “européenne” est de 11,5 %, quand elle est à seulement 1,3 % chez les Kanaks. Trois ans plus tôt, une étude de l’Institut national de la statistique et des études économiques (Insee) indiquait que fractures sociales et ethniques se mêlaient en Nouvelle-Calédonie, un territoire où 71 % des pauvres sont kanaks. Le Rassemblement national entend donc “intégrer la jeunesse kanak dans le tissu économique de l’île”. Pour y parvenir, Marine Le Pen préconise de “faire appel à des personnalités neutres et incontournables” pour relancer le processus “en donnant un calendrier, comme cela avait été fait à Nouméa”. Avec qui ? Elle ne le dira pas, mais explique avoir des idées de personnes “en dehors de [sa] famille politique”.

Le risque d’une “situation hautement instable”

A entendre Marine Le Pen, son parti réussirait donc là où plus de trente ans de négociations ont calé. “Elle est venue plusieurs fois en Nouvelle-Calédonie, une fois avec son père dans les années 1980-1990, et une fois en 2013, explique un fonctionnaire expérimenté connaissant bien le dossier. Elle est entourée notamment par André Rougé, qui connaît bien les outre-mer. Elle dispose d’experts et de personnes qui sont capables d’entrer en dialogue avec les indépendantistes.” Sur place, l’ancienne présidente du RN est cependant entourée par des soldats handicapants, comme le délégué départemental du parti, Guy-Olivier Cuénot, qui, sur X, reprend notamment la théorie raciste et complotiste du grand remplacement. “Hormis son délégué départemental, le RN n’a aucun représentant en Nouvelle-Calédonie, pointe Patrick Roger, auteur de Nouvelle-Calédonie. La tragédie. Il n’a aucune influence sur place.” En cas d’échec, Marine Le Pen n’hésite pas à déjà préparer le terrain. “N’oubliez pas que nous parlons dans le cadre d’une cohabitation, tout cela ne peut pas se faire sans l’accord du président, parce que ces discussions impliquent une potentielle réforme constitutionnelle, souffle-t-elle. Donc si Emmanuel Macron décide de bloquer le processus…”

En cas de gestion compliquée du dossier calédonien, le RN n’hésitera donc probablement pas à brandir la carte des “contraintes institutionnelles”, comme il le suggère déjà à propos de plusieurs promesses phares de son programme. “En Nouvelle-Calédonie, on parle donc d’un enterrement du dégel du corps électoral, estime Jean-Jacques Urvoas, ministre de la Justice de 2016 à 2017, sous François Hollande, rapporteur en 2015 de la mission d’information permanente sur l’avenir institutionnel de la Nouvelle-Calédonie. A compter du moment où le RN n’est pas partisan du projet de réforme constitutionnelle maintenant, et que l’on peut imaginer que le parti soit un peu plus renforcé en juillet, le président de la République ne pourra pas de toute façon convoquer un Congrès pour atteindre les trois cinquièmes dans cet espace.”

Dans l’hypothèse où le RN arriverait à Matignon à l’issue des prochaines législatives, l’ex-garde des Sceaux est encore plus pessimiste quant à l’avenir de la Nouvelle-Calédonie. “Le jour où Jordan Bardella devient Premier ministre, les indépendantistes ne négocient plus du tout avec le gouvernement”, estime-t-il. Le 8 juin, Daniel Goa, président de l’Union calédonienne – une composante du FLNKS –, a réclamé une souveraineté “non négociable” qu’il entendait voir proclamée “le 24 septembre”. “Les émeutes, qui ont été circonscrites au grand Nouméa ces dernières semaines, pourraient s’étendre. Nous avons 30 unités de forces mobiles dans l’île, il faudrait doubler les effectifs”, poursuit Jean-Jacques Urvoas, qui reste très pessimiste sur la capacité du RN à gérer une telle crise : “Comme ces gens ne sont pas modérés, ils pourraient proclamer l’Etat de siège avec l’article 36 de la Constitution, soit le pouvoir aux militaires. La situation en Nouvelle-Calédonie en serait d’autant plus instable.”

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