Israël-Hezbollah : “Nos silences, autant que nos mots de trop, ont abîmé l’image de la France”

Israël-Hezbollah : “Nos silences, autant que nos mots de trop, ont abîmé l’image de la France”

Le 27 septembre, le chef du Hezbollah, Hassan Nasrallah, trouvait la mort dans une frappe israélienne survenue sur le QG du mouvement islamiste. Un coup de tonnerre dans la région et le point de départ d’une polémique visant plusieurs titres de presse – du New York Times au Guardian, en passant par Le Monde – auxquels a été reprochée une présentation biaisée de la vie du chef du Hezbollah, omettant ses faits d’armes les plus sanguinaires.

François Zimeray, avocat de familles de victimes du 7 octobre et ancien ambassadeur de France pour les droits de l’Homme est de ceux qui s’en sont émus. Pour L’Express, ce dernier revient sobrement sur cet épisode – “il manque à notre époque ce mélange de lucidité et de clarté morale qu’on appelle le discernement” – avant d’analyser le silence d’Emmanuel Macron sur l’annonce de la mort du leader chiite. “Au regard de l’Histoire, ce sont nos silences qui, autant que nos mots de trop, ont abîmé l’image de la France, comme sur le génocide des Tutsis au Rwanda par exemple. Les propos se rectifient, mais les silences restent”, juge-t-il. Fin observateur de ce conflit, François Zimeray dresse également, à quelques jours de la commémoration de la date du 7 octobre, un douloureux bilan de cette année écoulée. “Ce qui me frappe, c’est l’illisibilité de la ligne européenne, son manque de constance”. Entretien.

L’Express : Vous vous faites d’ordinaire plutôt rare sur les réseaux sociaux. Mais après la publication d’un article du journal Le Monde concernant la mort de Hassan Nasrallah, vous avez écrit sur X : “élèves journalistes, souvenez-vous de ce papier, il fera date comme celui qui, en 1975, célébrait l’entrée des khmers rouges à Phnom Penh”. Pourquoi cette référence ?

François Zimeray : Avais-je sous les yeux un portrait ou bien un éloge ? Aux lecteurs de juger sur pièce : Le Monde brosse le parcours d’un homme “respecté” et stratège “hors-pair”, un “sayyid” [NDLR : littéralement ‘seigneur’, ‘prince’, ou ‘maître’] incarnant la “résistance” à Israël, aux “qualités exceptionnelles” qui se taille une “stature d’un chef de guerre”. Son “intégrité comme la modestie de son train de vie” sont rappelées, comme la mort de son fils “en martyr” (sic). Il est clair que l’article nous donne à voir le personnage à travers les yeux de ses soutiens et, dès lors, nous permet de mieux comprendre les ressorts de leur adhésion. Mais il manquait une dimension essentielle, la contribution centrale de Hassan Nasrallah à une entreprise de mort et de crime (la drogue), sa passion antijuive et antifrançaise, la prise en otage du Liban et, au final, de la paix.

L’avocat François Zimeray, ancien ambassadeur pour les droits de l’Homme.

Comment expliquez-vous que ces différents aspects aient manqué ?

Cela ne concerne pas seulement Le Monde. Il manque à notre époque ce mélange de lucidité et de clarté morale qu’on appelle le discernement. Ce que j’appelle clarté morale, c’est d’abord, comme disait Péguy, le courage “de voir ce que l’on voit et de dire ce que l’on voit”. Trop de gens sont prisonniers du cadre idéologique qui structure leur pensée, ils se refusent à prendre acte d’une réalité qui n’est pas conforme à l’idée qu’ils s’en font. De plus, ce conflit a quelque chose de singulier, qui m’a toujours frappé : plus on s’éloigne de son épicentre, plus il est passionnel. Il y a ici, dans le débat public, des outrances que je n’ai jamais entendues ni à Tel-Aviv, ni à Ramallah.

Au Moyen-Orient, notamment en Syrie, on a pu observer des scènes de liesse à l’annonce de sa mort. En Occident, certaines voix se sont pourtant émues de la nouvelle – à l’instar de la militante décoloniale Houria Bouteldja. Comment expliquez-vous ce décalage ?

Comme ambassadeur pour les droits de l’Homme, j’ai beaucoup parcouru la région au moment des printemps arabes, et j’y ai fait des rencontres inoubliables. Je vous assure que les femmes et les hommes qui portent avec courage la cause de la liberté et qui, depuis des décennies, subissent les conséquences de ce fanatisme religieux (parmi eux les femmes iraniennes ou les LGBT que Nasrallah recommande de “tuer dès le premier acte impur”) savent exactement à qui ils ont affaire. Si les espoirs de démocratisation ont été le plus souvent écrasés, l’aspiration à la liberté est toujours présente, et ce serait une erreur de sous-estimer la lucidité des populations quant au fanatisme religieux et à ses conséquences.

Chez nous, c’est autre chose. Notre approche de ce conflit est déterminée par plusieurs facteurs, qui tous convergent vers la réprobation d’Israël, la haine tenace de la démocratie sur fond d’un mélange de culpabilité – qu’il s’agisse de la Shoah, du passé colonial ou esclavagiste – et de bonne conscience, cette aspiration à se situer dans le camp du bien, qui est l’exact contraire de la conscience. C’est comme si nous réglions des comptes avec notre propre passé sur le dos d’Israël et des juifs.

Le Premier ministre du Canada, Justin Trudeau, a réagi à la nouvelle en rappelant qu’Hassan Nasrallah était à la tête d’une “organisation terroriste qui a attaqué et tué des civils innocents”. Joe Biden, quant à lui, a qualifié la frappe israélienne qui l’a tué de “mesure de justice”. En France, Emmanuel Macron est pour l’heure resté silencieux. Le comprenez-vous ?

Je comprends la prudence, le souci d’être entendu de tous ; les diplomates craignent toujours le faux pas, mais au regard de l’Histoire, ce sont nos silences qui, autant que nos mots de trop, ont abîmé l’image de la France, comme sur le génocide des Tutsis au Rwanda par exemple. Les propos se rectifient, mais les silences restent. Je suis toujours surpris de réaliser à quel point manque le courage élémentaire de dire les choses simplement.

Emmanuel Macron a toutefois condamné “les frappes et les agissements du Hezbollah”. Ajoutant que “le Liban ne doit pas devenir le nouveau Gaza. Israël doit cesser ses frappes et le Hezbollah sortir de sa logique de représailles”. Cela ne vous convainc pas ?

Le langage compte, que signifie par exemple les “agissements” dans la déclaration présidentielle que vous citez ? Pourquoi ne pas parler d’attentats aussi lâches que cruels, d’agression délibérée des populations civiles d’un pays ami ? Ce qui se passe à Gaza, comme ce que nous observons au Liban, est une tragédie qui révolte notre humanité. Mais en serait-on là si la communauté internationale avait martelé depuis le 7 octobre l’exigence prioritaire de libération des otages ? Cela ne fut pas le cas, ou trop timidement. Comment ne pas voir dans ce silence, si l’on se place du point de vue du Hamas, un encouragement à continuer puisque cette exigence est vite devenue secondaire, et comment ne pas y voir, côté israélien, un abandon avec comme conséquence le sentiment que seule la force paie ? Au final, notre lâcheté aura contribué au nombre trop élevé de morts civiles.

Rejoignez-vous néanmoins le président de la République, qui, le 26 septembre, jugeait qu’en refusant le cessez-le-feu proposé au Liban, Benjamin Netanyahou ferait “une faute” et “prendrait la responsabilité d’une escalade régionale” ?

L’implication du Liban dans la guerre est en effet tragique, mais elle s’enracine dans un hold-up ancien – celui du Hezbollah précisément – là encore couvert par nos silences. Nous aurions été plus crédibles et mieux entendus si nous avions dénoncé avec force et constance la prise en otage de ce pays par le Hezbollah et si nous avions condamné de façon audible chaque attaque de la population civile d’Israël à partir du Liban. Alors seulement nous aurions pu attendre que chacun accorde du crédit à nos recommandations.

Reste qu’Israël poursuit ses opérations au Liban. Certains s’inquiètent que l’Etat hébreu se trouve de plus en plus isolé sur la scène internationale en raison de sa stratégie militaire… N’est-ce pas un risque ?

On peut comprendre que les Israéliens cherchent à éliminer le risque de voir leur population à nouveau sous le feu des missiles du Hezbollah. L’isolement diplomatique d’Israël est une évidence, mais leur priorité n’est pas de plaire, c’est de défendre leur peau. On peut reprocher à Israël sa surdité aux appels du monde. Mais le monde – en tout cas occidental – serait mieux écouté et entendu si sa ligne était cohérente : nous encourageons l’Ukraine à se défendre et semblons refuser à Israël le droit de le faire.

Dans quelques jours, nous commémorerons la date des attaques terroristes du 7 octobre menées par le Hamas. Quel bilan dressez-vous de cette année écoulée ?

J’ai beaucoup observé les réactions occidentales, comme citoyen bien sûr, comme ancien parlementaire européen, comme diplomate, mais aussi comme avocat de victimes du 7 octobre. Ce qui me frappe, c’est l’illisibilité de la ligne européenne, son manque de constance. Il y eut de vrais moments de solidarité et d’empathie, comme la cérémonie aux Invalides pour les Français assassinés. Mais la cohérence en diplomatie, qui est une condition de notre crédibilité, ce n’est pas de dire à chacun ce qu’il a envie d’entendre, c’est de tenir le même langage partout.

Puisque vous me posez la question, beaucoup de choses m’ont frappé cette année. La libération d’un antisémitisme tous azimuts, l’incompréhensible agressivité de ceux que les affiches d’otages dérangeaient au point de les arracher, le pilonnage d’Israël dans la presse et son dévissage dans l’opinion mondiale, mais aussi l’incapacité d’Israël à se débarrasser d’un leadership qui a lourdement failli, notamment à Gaza où trop de civils innocents sont morts et où tant d’otages demeurent toujours. La délectation avec laquelle Israël est accusé de génocide, ce mot repris et savouré partout alors que cette accusation est juridiquement absurde et contredite par les faits. Tout cela donne le vertige, et inspire le sentiment que les faits ne comptent plus. Bref, le 7 octobre et ses suites auront servi à tourner la page du procès de Nuremberg pour ouvrir celle du procès d’Israël.

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