Le terrorisme tchétchène toujours aussi vivace en France, un an après l’attentat d’Arras

Le terrorisme tchétchène toujours aussi vivace en France, un an après l’attentat d’Arras

Le 13 octobre 2023, Dominique Bernard, professeur de Français dans un collège à Arras, est assassiné à coups de couteau. Le profil de l’auteur présumé de l’attaque, Mohammed Mogouchkov, interpelle. Le jeune homme, qui a prêté allégeance à l’Etat islamique, est d’origine ingouche, une région jouxtant la Tchétchénie. Trois ans plus tôt, le 16 octobre, Abdoullakh Anzorov, 18 ans, russe d’origine tchétchène, décapitait le professeur d’histoire Samuel Paty près de son collège de Conflans-Sainte-Honorine. Le 12 mai 2018, Khamzat Azimov, 20 ans, agressait des passants au couteau à Paris, dans le quartier de l’Opéra. Un mort et quatre blessés à déplorer. Cet été, enfin, un attentat déjoué a occupé un temps la Une des médias. Un jeune homme de 18 ans, originaire de Tchétchénie, a été interpellé le vendredi 31 mai. Il envisageait une attaque aux alentours du stade Geoffroy-Guichard de Saint-Etienne (Loire), pendant les Jeux olympiques. Le suspect a été mis en examen pour association de malfaiteurs terroristes et incarcéré.

Entre 2018 et 2023, au moins six projets d’attentats fomentés au moins en partie par des Nord-Caucasiens ont été déjoués par les services de renseignement. Plus de 180 membres de cette communauté seraient considérés comme radicalisés. Pire : d’après les informations de L’Express, entre 2012 et 2023, 17 procédures antiterroristes ont impliqué des individus de la communauté nord-caucasienne en France, une quarantaine de personnes en tout. Parmi eux, certains sont partis en zone djihadiste, notamment en Syrie. D’autres projetaient des attentats. D’autres, encore, sont soupçonnés d’avoir aidé au financement du terrorisme. Olivier Christen, procureur de la lutte contre le terrorisme, indique à L’Express suivre actuellement “une dizaine de procédures en lien direct ou indirect avec le Nord Caucase”. Peu comparé aux “532 procédures en lien avec le terrorisme djihadiste”, mais une tendance notable, pour une population ultra-minoritaire en France. D’après les services de renseignement, la diaspora serait aujourd’hui constituée de “20 000 à 40 000 individus”.

Sur les radars

Le risque est depuis longtemps considéré par l’antiterrorisme français. Peu après l’attentat d’Arras, selon un décompte du ministre de l’Intérieur de l’époque, Gérald Darmanin, le nombre de fichés S de nationalité russe s’élevait le 14 octobre 2023 à “une petite soixantaine”. Dans une note d’octobre 2020, la DGSI s’alarmait de l’émergence d’une “nouvelle génération tchétchène” – les enfants des réfugiés des guerres des années 1990 et 2000 qui avaient marqué la région. Insérés dans la société, ces individus développent un “discours antifrançais, aligné sur celui des acteurs de la mouvance (djihadiste) endogène”. En février 2016, interrogé par la commission des Affaires étrangères, de la Défense et des Forces armées du Sénat, Patrick Calvar, alors directeur de la DGSI, avait expliqué “qu’entre 7 à 8 % des personnes souhaitant quitter la France pour la Syrie ou en revenir sont des Tchétchènes”. D’après les statistiques avancées par les services de renseignement, environ 150 individus nord-caucasiens se trouvaient en 2023 dans les filières djihadistes en Irak et en Syrie.

Dans cette population, le renseignement et la justice dénombrent de plus en plus de membres de “la seconde génération”, élevée en France, dans des familles souvent marquées par la guerre. “Leur environnement conduit à un engagement extrêmement dur. Dans cette communauté, on peut noter une grande aptitude à la violence avec un entraînement physique, une glorification du combat, de l’usage des armes”, explique un magistrat spécialiste du terrorisme. Dès 2002, une filière tchétchène projetant de s’en prendre à l’ambassade de Russie à Paris avait été démantelée. Neuf individus appartenant au même “groupe opérationnel”, selon les déclarations du ministère de l’Intérieur de l’époque, entendaient “frapper en France des cibles russes pour venger l’élimination des membres du commando tchétchène auteur d’une prise d’otage dans le théâtre de Moscou”, en octobre 2002. Déjà, à l’époque, des combattants allaient s’entraîner en Géorgie, pays voisin de la Tchétchénie, dans une région où l’influence de l’islam salafiste devenait de plus en plus importante.

“Un combat profond de valeurs”

A la différence de leurs aînés, les jeunes radicalisés issus de la diaspora troquent souvent le nationalisme contre la religion. “Prenez le cas de Mohammed Mogouchkov, suspect dans l’assassinat de Dominique Bernard, poursuit le magistrat antiterroriste. Dans la profession de foi qu’il enregistre peu avant de passer à l’acte, il présente un refus de la somme des valeurs qui sont les nôtres : laïcité, mixité, égalité homme-femme, démocratie. Il ne s’agit pas d’une simple allégeance à Daech, ce garçon a une vraie réflexion djihadiste, un combat profond de valeurs.”

Certains de ces Russes sont en lien avec des membres de l’Etat islamique au Khorasan, une branche de l’EI active dans le Caucase et en Asie centrale. Cette section afghane de Daech a par exemple revendiqué l’attentat en Russie du 22 mars 2024. Des individus en tenue de camouflage avaient fait irruption dans une salle de concert située en banlieue de Moscou, à Krasnogorsk, dans une attaque qui avait fait 140 morts et 300 blessés. “La propagande diffusée par l’Etat islamique au Khorassan est très professionnelle, elle cible notamment les jeunes en utilisant les moyens et les termes de la communication à laquelle ils sont plus sensibles. Elle appelle de la part de l’ensemble des services antiterroristes français, mais également de nos partenaires, une attention particulière”, souligne Olivier Christen. Le procureur relève que si la “radicalisation ne concerne que certains éléments de la diaspora du Nord-Caucase et se fait de manière classique”, la propagande “diffusée par l’Etat islamique au Khorassan joue un rôle spécifique, très important par ailleurs, en ce que certains de ses vecteurs ciblent plus spécifiquement la communauté nord-caucasienne”.

A l’inverse de la Syrie, aucun individu originaire du Nord-Caucase visé par une procédure judiciaire liée au terrorisme en France ne semble toutefois s’être rendu dans la région. “Plus que des questions de générations, il ne faut pas sous-estimer l’importance des aires géographiques, pointe un ancien haut responsable des services de renseignement. Certaines diasporas sont plus concernées que d’autres, pour la simple raison que la barrière de la langue n’est pas là, parce que les gens se connaissent, qu’ils ont tendance à se suivre”.

Bien que repérée depuis longtemps, surveiller la radicalisation de la jeunesse nord-caucasienne s’avère complexe. Communauté opaque, très endogame, la diaspora reste difficile à pénétrer. D’autant qu’existe la barrière de la langue : seuls huit traducteurs officiels sont listés dans l’annuaire des traducteurs assermentés de France. A cela s’ajoute la question des moyens des services de renseignement. “A un moment, tout est une question de moyens et de priorités, poursuit l’ancien du renseignement. Nous étions submergés par des gens qui partaient en Syrie. Ces individus étaient suivis, mais nous ne leur donnions pas forcément la priorité par rapport à ceux qui voulaient passer à l’action.” Les attentats de ces dernières années auront fait bouger la focale de l’antiterrorisme.

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