Aide à mourir : les cinq points clivants de la loi sur la fin de vie

Aide à mourir : les cinq points clivants de la loi sur la fin de vie

Le président de la République est quelque peu embarrassé. Ce lundi 27 mai, débute l’examen par les députés du projet de loi sur la fin de vie, approuvé le 18 mai dernier en Commission spéciale. Seulement, le texte ne ressemble plus vraiment à celui que l’exécutif a concocté des mois durant. Et pour cause, les 71 membres de la commission parlementaire ont fait sauter de nombreux verrous qu’il avait soigneusement fermés, modifiant ainsi considérablement la portée du texte.

Depuis, de nombreuses voix se sont élevées à l’encontre de cette nouvelle mouture. Dans La Tribune dimanche, l’ancien ministre de la Santé, et médecin urgentiste, François Braun a dénoncé des “choses inacceptables”. Avis partagé par plus d’une vingtaine d’associations de soignants qui ont pris la plume dans un communiqué : “Les députés […] ont davantage élargi l’accès à la mort provoquée que ne l’ont fait les deux pays les plus permissifs sur l’aide à mourir” (la Belgique et le Canada, NDLR). L’Express revient sur les cinq points qui divisent.

1 – Elargissement de l’accès de l’aide à mourir-

Dans sa version originelle, le projet de loi cantonnait le recours à l’aide médicale à mourir aux cas de patients dont le “pronostic vital (était) engagé à court ou moyen terme”. Garde-fou dont les frontières ont été quelque peu repoussées par les députés en commission spéciale. Ainsi, la version du texte qui s’apprête à être décortiquée par l’ensemble des élus du Palais Bourbon prévoit elle la possibilité de déclencher le dispositif en cas d’affection “en phase avancée ou terminale”.

Pour justifier de cette évolution, les défenseurs de l’amendement plaident l’absence d’une définition du “court ou moyen terme” par la Haute Autorité de santé”. Par ailleurs, le rapporteur général et député MoDem Olivier Falorni rappelle qu’à cette définition s’ajoutent deux autres critères : la maladie doit être à la fois “grave” et “incurable”. Or, selon lui, “grave et incurable définit que votre pronostic vital non seulement est engagé mais il est même sérieusement, très sérieusement engagé. Et la phase avancée ou terminale renforce ce dispositif”, a-t-il martelé.

Mais pour le néphrologue Bruno Dallaporta, invité au micro de RMC ce dimanche, l’élargissement de l’accès à l’aide à mourir reviendrait à “euthanasier des personnes qui ne sont absolument pas en fin de vie”. Pour illustrer, le médecin prend l’exemple de “patients atteints de pathologie en phase avancée qui pourraient avoir le droit à l’aide active à mourir alors même qu’ils pourraient encore vivre 30, 40 ou 50 ans”. Même son de cloche du côté de la présidente de la SFAP Soins palliatifs, Claire Fourcade, qui tire la sonnette d’alarme dans l’émission “Points de vue” du Figaro : “Si on transpose les chiffres du Canada, ça ferait 45 000 euthanasies par an en France, soit une toutes les dix minutes.”

2 – “Aide à mourir” et “euthanasie”, le choix laissé au malade

La question de l’administration de la substance létale au patient cristallise elle aussi les tensions. Dans la première version du texte, l’exécutif fait de l’aide à mourir – à savoir la mise à disposition d’une substance létale que le patient s’administre lui-même – le principe. Et réserve l’euthanasie – la réalisation de l’acte létale par un tiers (soignant ou proche) – aux seuls cas où la personne ne serait pas “en mesure physiquement d’y procéder”.

Mais en votant en faveur d’un amendement laissant la possibilité au patient de choisir entre l'”aide à mourir” et l’euthanasie, la Commission spéciale a déboulonné ce principe. Pour la présidente de la SFAP, une porte ouverte laissée à la généralisation de l’euthanasie. “Dans les pays qui ont légalisé ces deux modalités de fin de vie, ce sont presque exclusivement des euthanasies qui sont réalisées, car l’intervention médicale vient en quelque sorte faciliter cette décision difficile pour les patients”, a mis en garde Claire Fourcade.

3 – L’ouverture aux directives anticipées

Nombreux se sont également dressés contre l’arrivée de l’aide à mourir dans les directives anticipées. Depuis la première loi sur la fin de vie en 2005, dite Leonetti, il est possible de consigner en amont ses volontés en cas d’incapacité à s’exprimer dans un document baptisé “directives anticipées”.

Jusqu’à présent, les patients peuvent seulement ordonner de “poursuivre, limiter, arrêter ou refuser des traitements ou actes médicaux”, précise le ministère de la Santé. Il est par exemple possible d’indiquer le refus d’une alimentation et d’une hydratation artificielle à la suite d’un coma ou en cas de troubles cognitifs profonds.

Mais en cas de vote et de promulgation de la mouture adoptée en Commission spéciale, il sera désormais autorisé de réclamer l’administration d’une substance létale, ce qui reviendrait ainsi à avoir recours à l’euthanasie. “Se retrouver dans une situation où l’on ne peut plus s’exprimer, où une personne de confiance fait valoir une euthanasie parce qu’il y a trois ou quatre ans on l’aurait écrit sur un papier, balaye d’un coup l’idée que l’on aurait pu changer d’avis”, met en garde Alexis Burnod, chef de soins palliatifs à l’institut Curie auprès de nos confrères d’Europe 1.

4 – La création d’un délit d’entrave au suicide assisté

Autre fruit de la Commission parlementaire, la création d’un délit d’entrave au suicide assisté à l’image de celui qui existe déjà pour l’interruption volontaire de grossesse (IVG). L’amendement, déposé par l’Insoumise Caroline Fiat prévoit une sanction d’un an de prison et de 15 000 euros d’amende pour celui qui “empêcherait ou tenterait d’empêcher de pratiquer ou de s’informer sur l’aide à mourir par tout moyen”. L’opération d’une “confusion entre prévention et promotion”, résume le néphrologue Bruno Dallaporta sur RMC.

Plusieurs députés ont notamment déposé une série d’amendements visant à interdire toute incitation ou promotion de l’aide à mourir. Le frontiste Christophe Bentz a par exemple proposé de sanctionner “la propagande ou la publicité en faveur de l’aide à mourir”. De leur côté, les associations de soignants, réunies dans un texte commun, ont fustigé “la coercition” imposée par le texte aux “pharmaciens”, “personnels d’établissements sanitaires et médicaux sociaux qui seraient tenus d’organiser la procédure mortelle en leurs murs”.

5 – Les soins palliatifs, grands oubliés du projet

Plus généralement, depuis la présentation du projet de loi, de nombreuses associations de médecins déplorent la faiblesse des réponses apportées aux problèmes rencontrés par les services de soins palliatifs. Alors qu’une vingtaine de départements en sont dépourvus, et que la Cour des comptes a appelé en juillet dernier à “renforcer” les moyens palliatifs au domicile et dans les maisons de retraite, le texte ne prévoit le dégel que d’un 1,1 milliard d’euros sur… dix ans.

Une enveloppe jugée bien trop insuffisante. “Seul un Français sur deux qui a besoin de soins palliatifs y a véritablement accès […] Si l’on veut que chacun puisse avoir accès aux soins palliatifs, il faudrait en théorie doubler” les capacités, avait ainsi lancé le député LR et médecin Philippe Juvin à Catherine Vautrin, lors des questions au gouvernement le 19 mars dernier.

En outre, les détracteurs du projet de loi agitent le spectre d’une automatisation du recours à l’aide à mourir au détriment des soins palliatifs. “Il pourrait être plus facile d’obtenir une réponse à une demande de mort qu’à des soins dignes d’une démocratie quand il faut aujourd’hui parfois plus de six mois pour obtenir un rendez-vous en centre anti-douleur”, alertent les soignants.

Des inquiétudes que la ministre de la Santé, Catherine Vautrin, invitée de BFMTV ce lundi matin, a tenté d’apaiser, en s’engageant à ce que “personne en France ne doit être conduit à demander à bénéficier de l’aide à mourir parce qu’il n’aurait pas eu de soins palliatifs”.