Alberto Alemanno : “Le discours alarmiste de Macron sur l’état de l’Europe est contre-productif”

Alberto Alemanno : “Le discours alarmiste de Macron sur l’état de l’Europe est contre-productif”

A moins de trois semaines des élections européennes, on observe dans de nombreux pays une poussée des partis politiques de droite ou d’extrême droite. Quelles conséquences pour le fonctionnement des institutions ? Pour la composition de la prochaine commission ? L’analyse d’Alberto Alemanno, professeur de droit à HEC Paris et titulaire de la Chaire Jean Monnet en droit européen.

L’Express : Partout sur le continent, les élections européennes se métamorphosent en référendum national “pour ou contre” le dirigeant du pays. Peut-on parler de dé-européanisation du scrutin ?

Alberto Alemanno : Les élections européennes n’ont pas toujours été que 27 élections nationales, organisées dans 27 pays, selon des règles électorales souvent différentes. Il n’y a jamais rien eu d’européen dans ces scrutins ! Pourtant, en 2009, nous avions assisté à une tentative de création d’un espace politique européen : le traité de Lisbonne stipule qu’il appartient au Parlement d’élire le président ou la présidente de la Commission européenne après proposition du Conseil européen. Un ballon d’essai pour créer une forme de démocratie parlementaire avec un gouvernement qui a besoin de la confiance d’un Parlement.

Cela a conduit les partis politiques européens, qui d’ailleurs sont assez invisibles aux yeux des citoyens, à désigner des candidats “chefs d’élite”, aboutissant de fait à l’élection de Jean-Claude Juncker à la présidence de la Commission européenne, en 2014. Ce processus a été interrompu en 2019. Même si c’est sa famille politique, Ursula von der Leyen n’était pas la candidate désignée par le PPE, le parti sorti vainqueur des urnes. Et elle a tout de même été élue à l’issue d’un jeu politique savant. Nous sommes donc revenus en arrière. Aujourd’hui, nous assistons à une forme d’ethnocentrisme politique : cette élection est une opportunité pour avoir une forme de référendum “pour ou contre le dirigeant actuel” dans chaque pays. La situation est très paradoxale. Car en même temps, les électeurs ont pris conscience de l’apport de l’Europe au moment du Covid avec l’accès au vaccin et depuis l’invasion de l’Ukraine. Ils savent parfaitement que l‘Europe est l’échelon parfait pour traiter des enjeux actuels.

Emmanuel Macron a un discours très alarmiste sur l’Europe, allant même jusqu’à parler de danger de mort. Comment jugez-vous cette posture et ne faudrait-il pas plutôt souligner toutes les avancées de ces dernières années ?

C’est très intéressant d’observer comment le positionnement du président de la République a changé au fil des années. Il était l’un des premiers leaders à présenter l’Europe comme une entité vivante capable de protéger les citoyens européens vis-à-vis des risques internes et externes. Et tout d’un coup, il a décidé d’adopter une attitude plutôt alarmiste, afin d’obtenir un vote un peu forcé en France. C’est une posture dangereuse qui risque de se retourner contre lui. Ce narratif électoral n’aboutira pas. C’est assez contre-intuitif et dommageable. Car l’Europe n’a jamais fait autant pendant les cinq dernières années pour les citoyens, et personne n’est vraiment là pour le rappeler. Un exemple parmi d’autres, c’est grâce au programme SURE pendant la pandémie que beaucoup de pays, notamment du sud de l’Europe, ont pu financer les mesures de chômage partiel et garantir le travail de millions de salariés européens.

Si l’on en croit les sondages, le Parlement européen issu des urnes le 9 juin prochain sera beaucoup plus à droite. Quelles conséquences ce virage peut-il avoir sur la conduite des politiques européennes ?

En réalité, il y a deux scénarios possibles. Le premier, c’est que le PPE – le parti de centre droit qui sortira sans doute encore en tête en nombre de députés – associé au groupe Renew et aux sociaux-démocrates, parvienne à construire une coalition. Nous devrions dans ce cas observer une certaine continuité des politiques suivies. Mais il y a un autre scénario, plus dangereux : celui où le PPE décide de faire alliance davantage sur sa droite, c’est-à-dire avec le groupe ECR de Giorgia Meloni. Cela donnerait lieu à des politiques profondément différentes. Dans tous les cas, et même sans aller jusqu’à ce scénario extrême, la première conséquence de ce glissement vers la droite va être un fort ralentissement dans le verdissement des politiques.

Les pans du Green Deal qui n’ont pas été encore adoptés vont probablement être abandonnés et c’est notamment le cas des réglementations sur les pesticides. En matière commerciale aussi, nous devrions observer un durcissement des mesures protectionnistes dans la foulée de ce que font les Etats-Unis : protéger le marché européen pour créer des champions européens. Enfin tout dépendra de ce qui se passera aux Etats-Unis en novembre prochain à l’issue des élections présidentielles. La droitisation de la politique européenne pourrait être beaucoup plus forte si Donald Trump est élu. Là aussi, c’est un paradoxe : les résultats des élections américaines pourraient être beaucoup plus importants pour l’Europe que les résultats des élections européennes.

Cette droitisation peut-elle avoir des conséquences sur la formation de la Commission européenne et sur le maintien de Ursula von der Leyen à sa tête ?

La composition de la prochaine Commission va prendre du temps. Il va falloir d’abord identifier les nouveaux centres névralgiques politiques du Parlement européen. Rappelez-vous que la présidence de la Commission est le résultat de deux votes. C’est d’abord le Conseil européen qui tranche en proposant un nom. Or, aujourd’hui Ursula von der Leyen n’est pas nécessairement assurée d’une majorité au Conseil.

Les gouvernements qui sont directement et entièrement liés au PPE ne sont qu’une minorité. Et rappelez-vous que même au sein de son propre parti, le PPE, elle n’a eu l’investiture que d’une courte tête. Après, elle devra gagner le vote au Parlement européen et là encore, tout dépendra des alliances et des gages donnés à tel ou tel parti. Tout cela crée une grande incertitude. D’ailleurs, le PPE a déjà demandé que l’élection du président ou de la présidente de la Commission soit reportée de juillet à septembre.

Et votre pronostic ?

Je pense qu’elle ne sera pas la prochaine présidente. Je constate à Bruxelles une volonté de changement. Les volte-faces idéologiques d’Ursula von der Leyen ont fini par agacer. Elle s’est rapprochée de la gauche ces dernières années en soutenant le Green Deal, elle vire à droite sur la politique migratoire. Et voilà que maintenant, pour de pures raisons politiques – consolider l’appui du PPE et de la droite allemande -, elle se dit prête à faire une pause dans l’adoption du paquet climat. On ne comprend pas bien quelle est finalement sa vision pour Europe, hormis garder son poste.