Après l’âge d’or du Covid, l’heure est grave pour Uber Eats et consorts

Après l’âge d’or du Covid, l’heure est grave pour Uber Eats et consorts

Quel secteur illustre mieux les égarements de l’ère Covid que la livraison de nourriture à domicile ? Si on inclut la division Eats du géant Uber, les principaux groupes de ce secteur en Europe et aux États-Unis ont accumulé plus de 20 milliards de dollars de pertes d’exploitation depuis leurs introductions en Bourse, alors même qu’ils ont achevé la concentration du marché. L’allemand Delivery Hero, qui exploite des marques populaires telles que Glovo, Foodora et Foodpanda, est coté depuis 2017. Le hollandais Takeaway l’avait précédé en 2016, avant de racheter en 2020 le n° 4 mondial, le britannique Just Eat. En décembre de la même année, l’américain DoorDash entrait en Bourse avant que le britannique Deliveroo ne l’imite en avril 2021.

Les actions de ces quatre sociétés se négocient désormais bien en dessous de leurs sommets : – 89 % pour Just Eat Takeaway, – 72 % pour Delivery Hero, – 65 % pour Deliveroo, – 55 % pour DoorDash. Les investisseurs scrutent leurs modèles économiques et attendent désormais qu’elles fassent preuve d’une croissance durable et rentable.

La période de croissance alimentée par le confinement a pris fin et les comportements sont revenus à ce qu’ils étaient avant la pandémie. Pas de monde d’après. Les perspectives de développement sont plus limitées. La croissance annuelle du secteur est attendue à 8 %, contre 15 % il y a trois ans.

L’attention s’est portée sur les coûts. Pendant des années, les fonds de capital-risque ont investi de l’argent dans ces entreprises qui subventionnaient les livraisons afin d’attirer les clients avec des prix bas, et de gagner ainsi des parts de marché. Mais, avec la hausse des taux d’intérêt, il a fallu donner une rentabilité à chaque course et ne plus espérer amortir les coûts fixes sur un nombre plus important de courses.

Le “quick commerce” à la peine

Cette recherche de la rentabilité a eu raison des spécialistes de la livraison des courses à domicile, avec les faillites et acquisitions successives de Gorillas, Flink et Getir. Pour la livraison de repas, les prix du service ont dû être sensiblement augmentés car les coûts ont été dynamiques, avec une pression constante des régulateurs et des groupes syndicaux sur les droits des travailleurs.

La demande s’est révélée étonnamment résiliente face à cette augmentation des prix. De nouveaux produits sont apparus sur ce canal, comme les produits de beauté du distributeur Ulta avec lequel DoorDash a signé un partenariat global sur les Etats-Unis. Par ailleurs, la publicité est devenue une source de revenus importante, avec une marge plus élevée. La concentration du marché a laissé place au partage du marché, les acteurs quittant les pays où ils n’étaient pas numéro 1 ou 2.

Les territoires desservis ont été également revus, avec une attention particulière sur les zones urbaines qui comptent plus de restaurants et de clients, et qui permettent aux livreurs d’effectuer des trajets plus courts et d’optimiser les courses. Dans le même registre, en janvier, Delivery Hero a cédé sa participation minoritaire dans la société Deliveroo. Finalement, les trois acteurs européens ont relevé leurs prévisions. Le secteur se valorise à 6,8 fois le revenu opérationnel 2025, pas si loin du multiple de 6 fois des détaillants alimentaires européens comme Tesco et Carrefour.

Mais au-delà d’une performance opérationnelle redressée, c’est sur leur capacité à générer réellement de la trésorerie que ces groupes sont attendus. L’américain Doordash, qui contrôle 66 % de son marché domestique – le second, Uber, en détient 25 % -, l’a annoncé en 2023. Les trois acteurs européens l’espèrent pour cette année. Ils doivent encore digérer les dépréciations de leurs acquisitions, parfois chèrement payées, et les généreux mécanismes d’incitation des salariés sous forme de stock-options. Ce n’est qu’à cette condition que les cours de Bourse se redresseront et laisseront l’espoir aux investisseurs de retrouver leur mise. Amazon, qui avait investi 575 millions de dollars dans Deliveroo en 2020, a récemment profité de la remontée du cours pour se délester d’une partie de sa position.

Robin Rivaton est directeur général de Stonal et membre du conseil scientifique de la Fondation pour l’innovation politique.