Arnaud Rousseau (FNSEA) : “Nous lançons un ultimatum à l’exécutif sur les aides de la PAC pour le bio”

Arnaud Rousseau (FNSEA) : “Nous lançons un ultimatum à l’exécutif sur les aides de la PAC pour le bio”

Comme une kyrielle de textes législatifs, le projet de loi d’orientation “pour la souveraineté en matière agricole et le renouvellement des générations en agriculture” a été emporté par le tsunami de la dissolution. Un texte censé répondre à la fronde des campagnes de janvier dernier, qu’Arnaud Rousseau trouvait lacunaire mais qui, selon lui, “avait le mérite d’exister”. Le président de la FNSEA, premier syndicat agricole, appelle le prochain gouvernement, quel qu’il soit, à remettre l’ouvrage sur le métier. Et lance un ultimatum à l’exécutif sur les aides à l’agriculture bio.

L’Express : Comment analysez-vous la victoire très nette du Rassemblement national dans le monde rural ?

Arnaud Rousseau : 93 % des territoires ruraux ont placé Jordan Bardella et le Rassemblement national en tête, du jamais vu. Ce résultat s’explique évidemment par une conjonction de facteurs. Mais à la racine, il y a ce sentiment de déclassement, l’idée selon laquelle les territoires ruraux sont une espèce de “sous France”. Une seconde zone dont la voix ne porte pas, qui n’est pas entendue par l’élite des villes sur des sujets comme la place de la voiture par exemple. S’ajoute un discours “agriculteur égal pollueur” que le monde agricole ressent comme vexatoire. Le résultat, c’est un vote différent, sur l’air du “Après tout, on ne les a pas essayés”. Je pense que l’insécurité et le sujet migratoire sont, en réalité, mineurs dans ce choix.

Dans le programme du RN figure la sortie des accords de libre-échange. Soutenez-vous cette proposition ?

Pas du tout ! Nous avons besoin de commerce international pour exporter notre blé, nos vins, nos spiritueux, nos fromages… Le sujet, c’est la réciprocité, le décalage entre ce qui est imposé aux agriculteurs européens et ce qui entre sur le marché en provenance de pays non européens. Nous importons en Europe des produits qui ne respectent aucune de nos normes, aucun de nos standards et qui ne font pas l’objet de contrôles suffisamment fréquents et poussés. Cela n’est ni acceptable, ni supportable. Dans les négociations internationales, l’agriculture fait souvent figure de variable d’ajustement. Donc, sur cette question du libre-échange, et face au protectionnisme ravageur pour notre agriculture, je réponds clauses miroir, réciprocité et contrôles.

Le 28 mai, l’Assemblée nationale avait adopté en première lecture le projet de loi sur la souveraineté agricole. Où en sommes-nous ?

Comme tous les projets de loi en cours, il est aujourd’hui suspendu. Et si le prochain gouvernement, quelle que soit sa couleur politique, ne décide pas qu’il doit poursuivre son chemin législatif, alors il disparaîtra. Quelles seront les réponses apportées, en complément de ce qui a déjà été fait ? C’est la vraie question.

A la FNSEA, nos revendications et notre projet pour tous les agriculteurs restent les mêmes. A commencer par le versement des aides de la PAC pour l’agriculture biologique, promises depuis des mois, et qui font toujours défaut. Les agriculteurs bio, qui traversent une crise majeure, attendent cet argent et maintenant, on nous explique que, pour une sombre histoire de logiciel, on ne peut pas les payer ! Seuls 50 % d’entre eux ont reçu ces aides. C’est un scandale, qui représente des sommes considérables, plusieurs centaines de millions d’euros. Nous lançons un ultimatum au gouvernement : si le 15 juin, elles ne sont pas versées, nous lancerons des actions dès le lundi 17 juin.

Iriez-vous jusqu’à bloquer la France pendant les Jeux olympiques ?

Non, nous ne prendrons pas les JO en otage. C’est un rendez-vous de la France avec le monde, donc nous allons gérer nos problèmes franco-français de manière intelligente. Quand il faut y aller, on n’hésite pas. Mais on prend aussi nos responsabilités quand il faut se retirer du terrain.

Si le prochain gouvernement reprend une grande partie du texte de loi déjà voté à l’Assemblée, serez-vous satisfait ?

Je trouve ce projet de loi plutôt étriqué, même si les mesures sur l’installation et la transmission des exploitations vont dans le bon sens. Dans le volet sur la compétitivité, en revanche, le compte n’y est pas. L’actuel gouvernement nous assurait que cette loi serait complétée plus tard par un nouveau texte Egalim [NDLR : régissant les relations commerciales avec la grande distribution]. De même, une loi sur les phytosanitaires devait être présentée, sans que l’on en connaisse les contours. Enfin, il n’y avait pas de mesures fiscales. Il n’est donc pas abouti. Et pas à la hauteur de la colère qui s’est exprimée dans le monde agricole.

Regardez l’article premier : l’agriculture est reconnue comme étant “d’intérêt général majeur”. C’est une définition complexe. En faire l’explication sur le terrain est très difficile. Les agriculteurs ne veulent pas une dissertation juridique. Ils veulent savoir en quoi ce texte peut changer leur vie au quotidien. La question du quantum des peines pour atteinte à l’environnement est un exemple très concret. Chaque année, des exploitants se retrouvent devant les tribunaux parce qu’ils ont détruit un mètre de haies avec leur tracteur. L’Office français de la biodiversité, la police de l’environnement, réalise environ 3 000 contrôles annuels dans les fermes. Peu d’entre eux donnent lieu à des suites pénales, c’est vrai, mais ces contrôles sont ressentis comme étant extrêmement intrusifs. Il y a une sorte de présomption de culpabilité. Nous ne demandons pas un blanc-seing pour faire n’importe quoi. Simplement de rétablir une forme de bon sens qui a été très largement perdu.

Quand on compare les exploitations françaises avec leurs concurrentes allemandes ou néerlandaises, leur déficit de compétitivité saute aux yeux. Pourquoi ce sujet est-il tabou en France ?

Il n’est pas tabou, encore moins pour moi. La réussite d’un agriculteur, ce n’est pas que de la compétitivité, mais on ne peut pas se départir de cette question. Aujourd’hui, un agriculteur, c’est un entrepreneur, un entrepreneur du vivant, qui fait des choix, qui connaît son marché, qui interagit avec l’extérieur. En 1950, avec 20 vaches, vous viviez correctement. Aujourd’hui, c’est impossible, il faut, notamment en lait, des troupeaux plus importants. Donc, plusieurs collaborateurs ou associés pour se relayer les week-ends. Eleveur laitier, c’est matin et soir, tous les jours de l’année. Le consentement d’un fils ou d’une fille d’éleveur à reprendre un métier aussi chronophage, il n’existe quasiment plus. Il faut des mesures fortes d’accompagnement.

Et puis en face, vous avez les conditions de marché. Prenez le bio, c’est un segment où les contraintes de production font que le produit est globalement plus cher. Sauf que le consentement du consommateur n’est plus là et l’ensemble de la filière est en crise. L’Etat a versé des millions de subventions pour inciter les agriculteurs à passer en bio mais le marché ne suit pas. Certains agriculteurs font machine arrière désormais. Un chiffre : 1 % de perte de surface en bio en France, c’est 280 millions d’euros d’argent public partis en fumée. Pas parce que les agriculteurs sont incompétents. Parce que la demande n’est pas là. L’agriculture française sera, demain, ce que le consommateur en fera à travers son acte d’achat.

L’adhésion de l’Ukraine à l’Union européenne constitue-t-elle une menace à ce fragile équilibre ?

Intégrer l’Ukraine, dans les conditions dans lesquelles on veut nous l’imposer aujourd’hui, serait une catastrophe. La plus grande ferme ukrainienne, avec laquelle on est en concurrence, fait 700 000 hectares. La moyenne des fermes françaises, c’est moins de 70 hectares. Quand la France touche environ 9 milliards d’euros par an au titre de la PAC, l’Ukraine en toucherait deux fois plus. Qui va payer ? Avant la guerre, l’Europe importait 20 000 tonnes de sucre ukrainien. En 2023, il en est rentré 700 000 tonnes. Quant à la volatilité sur les cours du blé, elle a bondi depuis un an et demi. Ce sont des réalités économiques qu’on ne peut pas ignorer. Là encore, comprenons-nous bien : les Ukrainiens se battent pour leur liberté, qui est aussi la nôtre, et il faut évidemment les aider militairement. Mais l’agriculture européenne, et française, ne peut pas être la variable d’ajustement de ce soutien.