Attal – Wauquiez : après la lune de miel, déjà les premières disputes

Attal – Wauquiez : après la lune de miel, déjà les premières disputes

Ils se connaissent peu… mais se détestent déjà. Le mariage de raison conclu entre Les Républicains (LR) et le bloc central bat de l’aile. Il a suffi, ce mercredi 9 octobre, d’un obscur vote interne à l’Assemblée nationale pour que l’attelage connaisse sa première grosse secousse. La gauche a ravi la présidence de la Commission des affaires économiques, vacante après l’entrée d’Antoine Armand au gouvernement, en raison d’un désaccord entre la Macronie et les troupes de Laurent Wauquiez. D’apparence anecdotique, l’épisode illustre le gouffre séparant les partis de la coalition.

A première vue, tout était cousu de fil blanc. Trois présidences de commission étaient soumises aux votes, après l’entrée de leurs chefs dans l’exécutif de Michel Barnier. Toutes étaient occupées par des membres du bloc central, au terme d’un accord noué cet été entre l’ex-majorité et le patron du groupe Droite Républicaine (LR) Laurent Wauquiez. A l’époque, ils s’étaient entendus à merveille. Mais l’esprit JO n’a pas duré.

La nomination du Savoyard à Matignon a aiguisé l’appétit de l’ex-ministre sarkozyste. Puisque la droite est de retour aux affaires, n’est-il pas légitime qu’elle récupère une commission ? Et qu’importe si le groupe DR ne compte que 47 députés. Ce week-end, Laurent Wauquiez échange avec son homologue Ensemble pour la République (EPR) Gabriel Attal. Il se heurte à l’intransigeance de l’ancien Premier ministre. Et bien, jouons alors. La droite a laissé mercredi l’insoumise Aurélie Trouvé succéder à Antoine Armand, n’apportant pas ses précieux suffrages à Stéphane Travert. Un proche de Laurent Wauquiez revendique une leçon de modestie infligée au bloc central. “En l’absence d’accord, chacun est ramené est à son juste poids. Et la gauche passe.”

“Les LR ne sont pas réglos…”

L’ex-majorité s’épargnerait bien ce cours d’arithmétique. Sitôt le scrutin scellé, l’indignation gagne la boucle Telegram des députés EPR. “C’est grave ce qui s’est passé”, “Les LR ne sont pas réglos…” “Inadmissible […] Le caillou dans la chaussure de Barnier ce n’est pas nous mais sa propre famille politique.” Le député Eric Bothorel promet sur X de voter “la prochaine motion de censure qui sera déposée”, photo de fusil chargée à l’appui. “On se calme. C’est quoi ce tweet avec un fusil, Eric ?”, lâche alors un collègue sur Telegram.

A 11h28, Gabriel Attal s’adresse à ses ouailles. Il dénonce un “chantage” de Laurent Wauquiez et convoque “l’accord scellé au mois de juillet”. “Nous avons refusé de rentrer dans les pressions et combines d’appareil”, salue-t-il. Le 19 septembre, Gabriel Attal avait soulevé ce sujet sensible au terme d’une réunion avec les ténors de la coalition et Michel Barnier. “Des présidents de commission vont entrer au gouvernement. Le deal tient toujours ?” Personne ne répond non. Sentiment de “trahison” contre adaptation à la nouvelle donne politique : dialogue de sourds.

Le Premier ministre, lui, constate les dégâts. Contraint, impuissant, d’exprimer “sa préoccupation concernant la solidarité des différentes entités du socle commun qui n’a finalement pas été au rendez-vous”. Il l’a fait savoir à Gabriel Attal lors d’un échange téléphonique. De son côté, Laurent Wauquiez lui a fait passer un message pour expliquer sa démarche. Un fidèle d’Emmanuel Macron a préféré manier l’ironie dans un message adressé au chef de l’Etat. “Dommage qu’il n’y ait pas de ministre aux Relations avec le Parlement !”

“Personne chez nous ne veut vraiment de ce mariage forcé”

L’union n’a pas été consommée, le divorce guette. A cette coalition de circonstances, il faudra bientôt ajouter des guillemets. Trop de rivalités, si peu de proximité. Aucun intergroupe n’a été créé pour réunir les trois présidents de groupe du bloc central et Laurent Wauquiez. Autour de l’homme fort de la droite, on promet déjà de présenter des candidats LR aux élections législatives partielles dans les Hauts-de-Seine et les Ardennes. Le candidat putatif pour 2027, soucieux d’incarner l’alternance, craint par-dessus tout de se fondre dans le macronisme. On travaille ensemble, mais on ne mourra pas ensemble ! Cela tombe bien, Gabriel Attal souhaite aussi mettre en lumière ses divergences avec la droite. Et ne compte être comptable que des projets qu’il soutiendra. Le dépassement des clivages ne saurait se marier avec une allégeance à un parti conservateur. “Je crois que personne chez nous ne veut vraiment de ce mariage forcé”, analyse un député EPR.

Pouvait-il en être autrement ? Trop de cadavres hantent les placards de cette étrange colocation. Un mot de travers, et ils surgissent de la pénombre. Le mardi 8 octobre, Michel Barnier vient à la rencontre des députés EPR. Il évoque alors la niche parlementaire RN du 30 octobre, durant laquelle sera mise au vote la suppression de la réforme des retraites. “Je compte sur votre présence”, lance-t-il à ses troupes. La remarque passe mal. Les rois de l’absentéisme, ce ne sont pas plutôt les 47 députés LR, ces élus plus à l’aise dans leur circonscription que dans l’hémicycle ? Ces autoentrepreneurs, qui ont lâché l’exécutif sur les retraites en 2023 au mépris de leur ADN idéologique ? Voilà Michel Barnier une nouvelle fois accusé de cibler ses nouveaux amis au détriment de sa famille historique. Un mot vous échappe, et la rancœur sort de la rivière. Cette dernière est réciproque. La droite n’a pas oublié la morgue du macronisme triomphant de 2017. “Vous avez été longtemps humiliés”, a récemment confié un leader Modem à la députée LR Annie Genevard, devenue depuis ministre de l’Agriculture.

Inventaire en temps réel

Ce mariage forcé a un vice originel. Il unit des familles politiques prêtes à s’affronter en 2027. Ainsi, la droite érige son action politique en exercice d’inventaire du macronisme. L’ex-majorité, du genre susceptible, fulmine contre ces leçons de gouvernance d’un parti tombé à 5 % des suffrages. La preuve par la sécurité. Quand Bruno Retailleau promet de “rétablir l’ordre”, elle entend que Gérald Darmanin a causé le désordre.

La preuve par le budget. Le bloc central raille les leçons de finances publiques professées par LR, formation guère avare en amendements dispendieux lors des précédentes lois de finances. Chacun pose un regard biaisé sur cette relation. “Barnier donne parfois l’impression qu’on n’a fait que des erreurs depuis sept ans. Cela n’aide pas nos députés à vouloir bosser ensemble”, note une ancienne ministre. Un député LR assume, lui, cette coexistence rugueuse. “On ne peut pas assumer la douleur des économies budgétaires si on n’est pas capable de dire que c’est la faute de ceux qui étaient là avant.” LR a créé le droit d’inventaire en temps réel. Son allié préfère attendre 2027 pour régler ses comptes. Les ambitions de demain, cause des conflits d’aujourd’hui.

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