Aurélien Rousseau : “Je n’accepte pas que Macron m’impose ce ‘moi ou le chaos'”

Aurélien Rousseau : “Je n’accepte pas que Macron m’impose ce ‘moi ou le chaos'”

Il y a encore quelques jours, Aurélien Rousseau se préparait à quelques entretiens d’embauches. Le score du Rassemblement national aux européennes, la dissolution annoncée par Emmanuel Macron, la naissance du Nouveau Front populaire… Autant d’évènements qui ont chamboulé les plans de l’ancien ministre de la Santé d’Emmanuel Macron qui démissionnait en décembre sur fond de désaccord politique sur la loi immigration. Vendredi, alors que l’accord à gauche était sur le point d’accoucher, Raphaël Glucksmann l’a appelé pour lui proposer de se porter candidat du Nouveau Front populaire sous l’étiquette “Place Publique” dans la 7e circonscription des Yvelines, celle d’un certain Michel Rocard. Tout un symbole.

L’Express : Votre candidature sous la bannière du Nouveau Front populaire a étonné vos anciens camarades du gouvernement. Emmanuel Macron lui-même a ironisé sur votre cohérence. Que leur répondez-vous ?

Aurélien Rousseau : Dans cette campagne, mon seul adversaire, c’est le Rassemblement national. Je ne passe pas mon temps à parler des autres. C’est peut-être là une différence avec certains à Renaissance. Ce n’est jamais facile de rompre, et cela ne se fait pas à la va-vite. Cette rupture date du moment de l’adoption de la loi immigration. Je ne pouvais accepter cette loi, les termes dans laquelle elle a été adoptée, ni la majorité avec laquelle elle a été votée, c’est-à-dire avec la majorité de l’époque, une partie de LR et surtout le Rassemblement national.

J’ai quitté le gouvernement parce que je ne partageais plus son orientation droitière. Ce n’est pas moi qui change de posture ou de ligne. J’ai compris avec la loi immigration que la gauche qui est la mienne n’avait plus d’espace pour peser politiquement.

Il y a, chez vos nouveaux alliés de LFI, des candidatures qui interrogent parce que ces personnes tiennent des propos aux relents antisémites, complotistes, d’autres assument de dire “la police tue”. Ce pacte, n’est-il pas aussi un changement de ligne ?

Le président de la République, dimanche 9 juin au soir, a fait un choix politique avec la dissolution. Un choix qui repose sur un pari : il pensait que la gauche n’aurait pas le temps de se rassembler et donc n’aurait pas la possibilité de se qualifier au second tour. Il fait le pari qu’il n’y a pas d’alternative à Renaissance, qu’un social-démocrate n’aura d’autres choix que de faire barrage, donc de voter pour lui. Les électeurs de gauche auraient donc pris leurs responsabilités, comme ils l’ont fait par deux fois en 2017 et en 2022, pour lui donner une majorité. Il y a des gens autour d’Emmanuel Macron qui théorisent encore qu’il est tout à fait possible d’avoir une majorité absolue… Ne s’interrogent-ils pas ? Cette dissolution, ce n’est pas redonner la parole aux Français, mais vouloir imposer encore une fois un schéma politique binaire, moi ou le chaos.

Cela suffit-il à accepter les positions polémiques de certains LFI ou les mots d’un Jean-Luc Mélenchon, qui considère que l’antisémitisme serait “résiduel” en France ?

La lutte contre l’antisémitisme, d’où qu’il vienne, ne se négocie pas. Elle est à mes yeux fondamentale. Nous avons beaucoup échangé avec Raphaël Glucksmann, Benoît Payan et Boris Vallaud car nous ne voulions rien céder. Un accord ne pouvait exister qu’avec des principes clairs. Les engagements du Nouveau Front populaire ne tergiversent pas !

Il n’empêche, il y a encore des propos, ces jours-ci, qui sont insupportables. Quand bien même s’ils viennent d’une minorité, il faut les dénoncer. Il n’est pas question que des antisémites reçoivent des voix. J’ajoute que les motifs qui conduisent à présenter une candidate contre Jérôme Guedj en Essonne sont inacceptables. Il a tout mon soutien !

Une union pleine de désaccords…

C’est une unité d’action. La gauche doit se rassembler pour exister, pour être présente à l’Assemblée nationale. Le 8 juillet, il y aura plus de sociaux-démocrates au Parlement qu’il n’y en avait jusqu’à présent. Personne ne peut croire que nous sommes tombés d’accord sur tout. Mais contrairement à d’autres, la gauche partage un combat commun, une ligne rouge indépassable : le RN, ça ne s’essaie pas. On ne peut pas s’amuser, comme certains stratèges le font, à laisser penser que l’extrême droite se grillerait si elle était au pouvoir avant la présidentielle.

À gauche, beaucoup vous reprochent d’être l’artisan de la réforme des retraites qui porte l’âge de départ à 64 ans. Êtes-vous prêt à l’abroger comme le réclame le Nouveau Front populaire ?

Si le moment n’était pas si grave, quelque chose me ferait rire : certains membres du gouvernement, ou même François Bayrou, font de moi le grand penseur de ce texte, comme un laborantin avec ses éprouvettes. C’est ridicule. Cette réforme était dans le programme d’Emmanuel Macron en 2022. J’ai été directeur de cabinet d’Elisabeth Borne, pas ministre de la réforme des retraites. Ce qu’ils ne disent pas, c’est que je me suis bagarré pour essayer de trouver un accord avec les syndicats, avec Laurent Berger. Les conditions politiques et sociales n’ont pas permis cela. Je n’ai pas un tempérament de mercenaire, un pied dedans un jour, un pied dehors l’autre.

Je considère que la première des batailles sur ce sujet des retraites, c’est la sauvegarde du système par répartition. On retravaillera, on fera différemment, en ayant confiance dans la démocratie sociale, dans la discussion avec les syndicats. Je ne fais pas d’un départ à 60 ans un préalable pour des gens comme vous, journalistes, ou moi. Nous pouvons, nous, aider à sauvegarder le système en travaillant plus. Ce n’est pas vrai pour d’autres métiers, bien plus pénibles. Le programme du Nouveau Front populaire résulte d’une discussion, ce n’est pas un décalque de celui de La France insoumise. Dans cette circonscription, je discute tous les jours de santé, de logement, le pouvoir d’achat, d’éducation, d’écologie… voilà les sujets qui préoccupent le plus les Français. Voilà pourquoi nous voulons ouvrir un chemin de progrès et pourquoi nous nous battons, unis avec les militants de toute la gauche.

Vous évoquez Elisabeth Borne. Dans la 6e circonscription du Calvados, elle sera opposée à l’insoumis Noé Gauchard, candidat du Nouveau Front populaire. Qui soutenez-vous ?

Je suis engagé dans une alliance politique. J’ai beaucoup de respect pour Elisabeth Borne mais encore une fois, je ne partage pas l’orientation politique qui a été prise par le gouvernement, d’où ma démission en décembre. Il y a les aventures humaines, mais il y a aussi les idées, les engagements politiques. Cela compte. Le score du RN aux européennes, avec une participation importante, est un coup au plexus.

L’argument selon lequel il faut redonner la parole aux Français avec cette dissolution ressemble à une tentation de prendre de vitesse tout le monde, et de conduire à l’implosion de la gauche et de la droite. Il y a un autre débouché politique à proposer aux Français.

Que faudra-t-il faire le 8 juillet : recomposer la gauche ? Empêcher Mélenchon ? Imposer une cohabitation à Macron ?

Je ne sais pas à quoi ressemblera le 8 juillet. Je suis toujours en état de sidération face à la menace de l’extrême droite. Je le suis plus encore quand j’entends le président dénoncer le programme du Nouveau Front populaire qui serait soi-disant “totalement immigrationniste”. Ce sont là les mots de l’extrême droite. Quand on utilise ces termes, quand on fait une loi immigration qui va à ce point sur le terrain du RN, on lui donne de la légitimité idéologique. C’est cela, le sillon qui est tracé. C’est à se demander si Renaissance et lui ont un autre adversaire que le Nouveau Front populaire. Cette stratégie, ces prises de position où tout est mélangé et relativisé, ne font que renforcer le RN. Non, tout ne se vaut pas. Moi, je n’ai pas d’adversaires autre que le RN. Je suis un républicain et je soutiendrai les candidats républicains qui seront opposés au RN au second tour.