Bardella aux européennes : ce commando de l’ombre qui l’a mené à la victoire

Bardella aux européennes : ce commando de l’ombre qui l’a mené à la victoire

Jordan Bardella peut souffler. Le deal est respecté. Avec 31,5 % des voix selon les premières estimations, le président du Rassemblement national est arrivé ce dimanche en tête des élections européennes, et offre au parti d’extrême droite son meilleur score à ce scrutin depuis sa création. Pour sa deuxième candidature au Parlement européen, Marine Le Pen avait décidé de lui laisser du champ, ne lui fixant qu’un objectif : dépasser les 30 %. Sous tutelle en 2019, il avait, cette fois, les mains libres pour mener cette campagne comme il l’entendait.

C’est-à-dire entouré de ses plus proches. Dès septembre, le candidat a rassemblé une équipe restreinte de fidèles. Des amis de la première heure, du temps où ils traînaient ensemble dans les locaux du mouvement de jeunesse du Front national, ou côtoyaient les mêmes bars étudiants dans le VIe arrondissement parisien. François Paradol et Donatien Véret, ses collaborateurs de l’ombre, Alexandre Loubet, député de Moselle, et directeur de campagne, Pierre-Romain Thionnet, proche du président frontiste qui l’abreuve en fiches et conseils de lecture, Arthur Perrier, jeune directeur de cabinet proche des réseaux zemmouristes, et Victor Chabert, un rallié plus récent, ancien journaliste à Europe 1, chargé de ses relations presse depuis septembre 2022.

Les jeunes frontistes -la plupart ont la trentaine- ont rapidement trouvé le mot d’ordre de leur première campagne nationale : le verrouillage. Tous ont bien en mémoire ces fois où fuites, divisions, et critiques anonymes dans la presse ont miné des aventures électorales. On avait donc prévenu les équipes : “Vous ne parlez pas aux journalistes.” “On est en mode commando”, assurait, ravi, Alexandre Loubet à l’automne. Le bataillon a bien tenu. Pas grand-chose n’a filtré, et quasiment rien n’a réussi à entacher la campagne de leur champion. Ni le très maigre bilan de Jordan Bardella au Parlement européen, où il n’a déposé que 76 amendements, a séché 75 % de ses séances en commission et n’est l’auteur d’aucun rapport. Ni ses revirements notamment sur les prix planchers, la sortie de la France du commandement intégré de l’Otan ou la sortie du marché européen de l’électricité. Ni le comportement de ses alliés à Bruxelles, dont certains ont été mis en cause pour des affaires d’ingérence ou surpris en train de se laisser conter un plan de “remigration”. Depuis septembre, aucune des contradictions du candidat n’a eu d’impact sur les intentions de vote, et rien n’a permis d’enrayer la dynamique frontiste.

Une campagne en charentaises pour Bardella

Pendant neuf mois, Jordan Bardella a fait campagne en charentaises, dans un cocon, et avec la bénédiction de Marine Le Pen qui lui a laissé quasiment carte blanche. Quand un cadre venait quémander à la patronne une place sur la liste des élections européennes, il était immédiatement renvoyé vers son poulain à qui, disait-elle, “revenait le choix de trancher”. Trop contente, en réalité, de se délester du fardeau de la composition de la liste. La députée du Pas-de-Calais répète souvent à ses proches que 2019 fait partie de ses pires souvenirs politiques. Elle a prévenu Jordan Bardella : “Avec ces listes, tu fais 20 heureux et 200 déçus.” L’eurodéputé a choisi de régler ça à sa manière : “Il règle les conflits en faisant en sorte que tout se sache au dernier moment, et quand on l’apprend, c’est trop tard pour râler”, résume un candidat.

Certains en ont fait les frais : des anciens élus comme André Rougé (relégué à la peu enviable 31e place), ou Jean-Lin Lacapelle et Gilles Lebreton, priés de prendre leur retraite anticipée. C’est qu’il fallait faire de la place. Aux nouveaux ralliés, d’abord. L’essayiste Malika Sorel, ancien soutien de François Fillon qui, comme l’avait relevé Le Monde, a tendance à enjoliver son parcours ; l’ancien directeur de Frontex, Fabrice Leggeri, en troisième position sur la liste ; l’ancien commissaire, Mathieu Valet, en septième position, ou l’avocat proche des milieux de la Manif’ pour tous Alexandre Varaut en treizième position. A la jeune génération, ensuite. Plusieurs places éligibles ont été réservées aux nouveaux visages frontistes, ou aux proches du jeune chef. L’eurodéputée Mathilde Androuet, amie de Jordan Bardella a décroché la 4e place, Pierre-Romain Thionnet, jusqu’alors patron des jeunes RN, hérite de la 23e, Gaétan Dussaussaye, ancien chef du mouvement jeune, de la 29e place.

Plus qu’en 2019, Jordan Bardella a réussi à imposer une image plus personnelle. A mi-chemin entre la caricature physique du politicien de droite à l’ancienne et la star des réseaux sociaux. Et réussit à séduire un public très jeune. Fin janvier, les Jeunes avec Bardella organisent une soirée en boîte sur les Champs-Élysées, on y fait entrer le candidat sur du rap, accueilli comme une rock star par un parterre composé de jeunes d’écoles de commerce et de groupuscules radicaux. A Marseille, le 2 mars, pour le meeting de lancement de la campagne, la députée Laure Lavalette hallucine devant le flot de jeunes militants. “C’est dingue, ma fille est venue avec des copains ingénieurs, il y a des gens normaux, c’est fou mais c’était impensable quand j’étais jeune. Avant il y avait les RG dans la salle et on se planquait pour venir.”

Représentant d’un RN 2.0

L’image du parti a évolué, et Jordan Bardella est devenu le parfait représentant de cette version 2.0. Un RN plus marketing, TikTok compatible et que l’on commercialise en s’encombrant le moins possible d’idéologie. Les réseaux sociaux, ces derniers mois, ont été noyés sous un flot de vidéos de “coulisses” du candidat. Totalement dépourvus de fond, ces extraits courts où l’on aperçoit Jordan Bardella boire d’un trait du vin blanc, ou grignoter des bonbons avant un débat comptabilisent des centaines de milliers de vues. Une tendance “télé-réalité” qui agace certains cadres du parti. “Le côté visuel, oui c’est bien et on en a besoin, mais il ne faut pas que ça se fasse au détriment du fond”, pique un proche de Marine Le Pen.

Au fil de la campagne, plusieurs ont noté, aussi, les limites de Jordan Bardella sur le fond des dossiers, et incriminent parfois son entourage et son manque d’expérience. “Il s’est souvent laissé enfermer dans l’obsession d’avoir réponse à tout, quitte à se laisser piéger dans ses phrases toutes faites, il ne devrait pas rentrer dans ce jeu, mais bon, on apprend en grandissant”, lâche un élu lepéniste. D’autres, enfin, craignent que la popularité montante du jeune premier ne fasse de l’ombre à Marine Le Pen.

Cette dernière a d’ailleurs été poussée par certains proches à se faire moins discrète en fin de campagne. “Il fallait quand même montrer qu’elle était là, et que c’est elle la candidate à la présidentielle”, recadre un député. Si peu de frontistes croient que Jordan Bardella pourrait vouloir court-circuiter Marine Le Pen en 2027, beaucoup surveillent attentivement la montée de la popularité de l’eurodéputé en interne, et craignent surtout que sa victoire aux européennes ne donne des idées à son entourage. “Il y a des ambitieux autour de lui qui pourraient lui faire croire que c’est son moment”, craint un cadre. Avant de se rassurer : “Enfin, ça y est, le moment Bardella est fini, on va pouvoir souffler.”