Billets d’avion : paie-t-on le véritable prix du carbone ?

Billets d’avion : paie-t-on le véritable prix du carbone ?

Record battu. Près de 5 milliards de personnes devraient prendre l’avion cette année, selon l’Association internationale du transport aérien. Une bonne nouvelle pour l’économie mais une mauvaise pour le climat : alors que l’avion émet 80 fois plus de CO2 que le train, ce mode de transport continue de profiter de conditions de ventes avantageuses. “Nous ne payons pas encore le vrai prix des billets, celui qui prendrait en compte toutes les ‘externalités négatives’ de ce mode de transport”, estime Arnaud Aymé, responsable transport chez Sia Partner.

Pour appuyer sa démonstration, l’expert dissèque le tarif d’un Paris-Nice opéré par Air France. Sur le prix total du billet, environ 130 euros, 25 % correspondent au coût du carburant, soit 27 euros. A cela s’ajoute la fiscalité, comme la taxe de solidarité sur les billets d’avion (TSBA), qui comprend en France une écocontribution finançant en partie les installations ferroviaires, mais aussi une taxe sur les nuisances sonores (de 0,40 euro), et plusieurs redevances à destination des aéroports ou des routes aériennes. Au total, selon Air France, 40 % du prix du billet correspond aux diverses taxes et aux redevances aéroportuaires. Mais ils ne profitent pas tous à l’environnement, et cette part chute de façon bien plus importante sur un vol international. Pour un vol Paris-New York par exemple, seulement 17 % du prix du billet (740 euros en moyenne) correspond à ces taxes.

Sur les vols internationaux, cette contribution environnementale tombe donc à zéro. “Si pour les trajets européens, le transport aérien paye le prix du carbone, ce n’est pas le cas pour les vols long-courriers “, reconnaît Laurent Timsit, le délégué général de la Fédération nationale de l’aviation et de ses métiers (Fnam), qui représente les entreprises du secteur.

Une taxe sur le kérosène ?

Contrairement aux carburants utilisés pour les véhicules roulants (camions, voitures…), le kérosène utilisé par les avions n’est, lui, pas taxé. Un écueil décrié par les ONG : “Les prix actuels des billets d’avion sont artificiellement bas, parce qu’ils bénéficient de nombreuses exonérations fiscales qui ne reflètent pas les externalités négatives de ce mode de transports sur le climat ou la pollution atmosphérique par exemple. Donc on ne paie pas le vrai prix du service rendu par l’aviation”, explique Jérôme du Boucher, responsable aviation au sein de l’ONG Transport & Environnement.

Longtemps demandée par les écologistes et les partisans d’une transformation du secteur aérien, une taxe sur le kérosène est actuellement discutée au sein de l’Union européenne, sans toutefois obtenir de consensus. Les représentants du secteur évoquent comme obstacle la concurrence internationale, tout comme la difficulté à imposer une taxation mondiale du carbone. “Si une taxe sur le kérosène ne s’appliquait qu’en Europe, les compagnies qui font aujourd’hui escale sur le continent vont s’en détourner pour aller faire leur plein de carburant ailleurs”, évoque Arnaud Aymé.

Réduire la demande

Déjà sensible depuis la crise du Covid, l’augmentation du prix du billet devrait encore se poursuivre dans les années qui viennent. Deux principaux facteurs sont actuellement à l’œuvre : d’une part, les compagnies doivent incorporer de manière graduelle d’ici 2030 de plus en plus de biocarburants dans les réservoirs de leurs avions. Ces carburants alternatifs, produits à base d’hydrogène et de carbone, mais aussi de biomasse, permettent, une fois mélangé au kérosène, de réduire les émissions de CO2 des moteurs. La réglementation européenne impose d’intégrer 2 % de carburant “durable” d’ici 2025 et 6 % au minimum d’ici 2030. Plus coûteux à produire, ces nouveaux combustibles devraient engendrer une légère hausse du prix du billet.

A partir de 2026, les compagnies aériennes européennes devront également intégrer les coûts liés à l’évolution du marché européen des quotas carbone. Alors qu’elles disposaient jusqu’à présent de quotas gratuits, ces derniers devront être achetés sur le marché pour continuer à être autorisés à émettre du CO2. Selon Air France, d’ici 2030, ces différentes mesures devraient légèrement faire grimper la facture : de l’ordre de 80 euros pour un aller-retour moyen courrier, et de 140 euros pour un aller-retour long courrier, comme un Nice-Singapour.

De quoi faire baisser le volume de trafic aérien ? “Si on met en place un renchérissement du kérosène, le prix des billets suivra inévitablement, et nous aurons moins de voyageurs”, assure Laurent Timsit. La Fnam estime ainsi que ces changements de pratiques – comme l’incorporation de biocarburants ou l’augmentation de tarifs liés à l’évolution du marché carbone – sont compatibles avec une croissance du secteur aérien d’un peu plus de 1 % par an d’ici 2050. C’est un point de moins que ce que permettrait un monde sans transition écologique. Mais cela ne devrait pas suffire à régler le problème grandissant de l’augmentation des émissions de CO2 du secteur, préviennent plusieurs experts. Le sujet n’a pas fini de créer des turbulences.