Bruno Retailleau : “Eric Ciotti tire dans le dos de ses propres troupes”

Bruno Retailleau : “Eric Ciotti tire dans le dos de ses propres troupes”

Qui l’imaginait il y a encore trois jours ? Bruno Retailleau devrait être en train de potasser ses dossiers législatifs au Sénat, au lendemain des européennes. La dissolution de l’Assemblée, conjuguée à l’alliance nouée entre Eric Ciotti et le RN, en a décidé autrement. Voilà le Vendéen engagé dans une guérilla politico-juridique contre le Niçois, exclu mardi des Républicains (LR). Il dénonce auprès de L’Express la trahison du député des Alpes-Maritimes et prévient : “Il n’y aura pas de candidats “LR-RN.”

L’Express : Eric Ciotti a été exclu mardi des Républicains. Lui conteste la régularité de cette élection et court les plateaux télévisés pour défendre un supposé accord avec le RN. Derrière l’unanimité des cadres, la situation n’est-elle pas inextricable ?

Les choses sont claires. Eric Ciotti est sorti du cadre juridique. Notre mouvement a pour principe – c’est son article 4 – d’avoir une organisation et un fonctionnement démocratique. Or, il a pris une décision contradictoire avec la ligne générale que nous avons définie. Il l’a prise seul, sans consulter nos instances collégiales. Un dirigeant n’a pas tous les droits. Nous ne sommes pas en Corée du Nord ou en Chine. Nous ne parlons pas ici d’une décision d’intendance, mais d’un choix fondamental. Par son attitude anti-démocratique, Eric Ciotti s’est mis hors des statuts et a trahi notre confiance. Cela justifie son exclusion.

Eric Ciotti ne dévie pas de ligne et annonce l’investiture de 80 candidats LR soutenus par le RN. Ne va-t-on pas tout droit vers l’affrontement de candidats LR contre des candidats LR-RN à la sauce Ciotti, quelle que soit leur appellation ?

Il y aura des candidats Rassemblement national, mais pas de candidats “LR-RN”. Cette alliance ne peut pas exister dans la mesure où seule la Commission nationale d’investiture, autonome selon nos statuts, peut attribuer le label “LR”. Sinon, nous ferons interdire le matériel de propagande. C’est-à-dire les professions de foi ou les bulletins de vote en préfecture.

Il pourrait jouer sur l’ambiguïté, en créant des bulletins de vote type “alliance des droites, “ou rassemblement des droites”… Ne pas mentionner “LR” et ainsi éviter de tomber dans l’illégalité.

Bien sûr. Dans ce cas, Eric Ciotti n’aura pas seulement trahi les siens : il aura, en plus, essayé de tromper les électeurs. C’est cette duperie que je lui reproche principalement. Il a secrètement conclu un accord avec le RN, au moment où nos candidats s’apprêtent à partir au combat après une dissolution précipitée. Le chef tire dans le dos de ses propres troupes, c’est inacceptable. Mais désormais, les choses sont claires : il n’est plus président des Républicains, et aucun de ses candidats ne peut se revendiquer de notre mouvement.

Eric Ciotti affirme être soutenu par une majorité de militants. Sous couvert d’anonymat, plusieurs cadres admettent que c’est certainement vrai. Ne fait-il pas que traduire cette volonté des adhérents ?

Je ne le crois pas. D’ailleurs, un sondage montre que 72 % des électeurs de François-Xavier Bellamy aux européennes sont contre cette alliance, et un autre publié dans la Tribune montre que 56 % des électeurs LR estiment qu’Eric Ciotti a eu tort. Je peux comprendre que certains de nos électeurs soient déçus parce que certains à droite n’ont pas toujours été à la hauteur. Mais je rappelle que pour faire l’union des droites, cela suppose que tout le monde le soit : or Marine le Pen n’est pas de droite. Le programme économique du RN est plus proche de celui de Jean-Luc Mélenchon que du nôtre.

Lors d’une réunion stratégique au Sénat, Eric Ciotti avait réaffirmé lundi une ligne d’indépendance de LR d’ici au premier “tour” des législatives. Vous avez dénoncé son “mensonge”. Quelle lecture personnelle faite vous de cela ?

Visiblement, je connais mal Eric Ciotti, car je n’avais pas anticipé cette trahison. Son choix est choquant sur un plan politique comme humain. Il est déloyal de négocier secrètement, alors que nous nous accordions encore lundi sur une ligne d’indépendance. Nous traversons une crise démocratique car les Français reprochent aux politiques de pas respecter des valeurs élémentaires : la franchise, l’honnêteté, le sens de la parole donnée. La droite, c’est aussi la droiture.

Lors de la campagne interne pour la présidence de LR, Eric Ciotti aimait rappeler que vous êtes plus à droite que lui, vous qui avez été proche de Philippe de Villiers. Vous voilà chiraquien, défenseur du cordon sanitaire avec l’extrême droite ?

Je suis cohérent et constant. Marine Le Pen n’est pas de droite. Elle est une démagogue, qui a changé d’avis sur à peu près tout. Sur l’Europe ou l’immigration. Je me souviens de la loi immigration : le représentant du RN combattait les mesures que notre texte proposait en Commission mixte paritaire (CMP) pour finir par les voter en séance. Même changement de pied sur le nucléaire. Marine Le Pen est une girouette, elle chevauche les idées du moment. Elle a un programme économique de gauche. Elle s’est opposée aux 15 heures de contreparties au RSA, que nous avions votées au Sénat. Nous avons assumé la réforme des retraites, elle s’y est opposée. Elle a d’ailleurs toujours revendiqué qu’elle n’était “ni de droite ni de gauche”, en miroir inversé du “en même temps”.

Vous insistez sur vos divergences économiques avec le RN. Ce parti est pourtant d’une plasticité idéologique absolue. Les divergences que vous évoquez ne sont-elles pas appelées à disparaître au vu de ses évolutions récentes ? Jordan Bardella assume un discours plus libéral…

C’est le problème de la démagogie. Si demain le RN obtient une majorité à l’Assemblée, il sera soumis à un choix cornélien. Soit il assume ses engagements, et alors il condamne la France à la ruine et les Français les plus faibles à l’appauvrissement. Soit il ne les respecte pas, et il trahit ses électeurs.

Vous n’opposez pas à ce parti des arguments moraux. Estimez-vous qu’ils sont inaudibles ou ne les partagez-vous pas sur le fond ?

Ces arguments ne marchent pas. Depuis 40 ans, on combat le FN avec de la moraline. C’est un échec. On ne doit pas le combattre pour ce qu’il n’est pas – je ne pense pas que ce soit un parti néofasciste – mais pour ce qu’il est : un parti démagogue qui entraînerait la France à la faillite.

Ce parti a une histoire. Cela ne joue pas dans votre jugement ?

Ses origines sont clairement d’extrême droite. Je donne crédit à Marine Le Pen d’avoir assumé, y compris dans sa propre famille, un tournant vis-à-vis de ce passé. Mais cela ne fait pas du RN une solution pour la France. Son accès au pouvoir fracturera les Français en hystérisant le paysage politique français, qui l’est déjà suffisamment.

LR a droitisé son discours sur les questions régaliennes. Eric Ciotti défendait la préférence nationale en 2021, quand vos propositions sur l’immigration se rapprochent de celles du RN. Vous condamnez la décision d’Eric Ciotti, mais ne vous plaignez-vous par d’un événement dont vous avez chéri les causes ?

C’est l’inverse. La droite a longtemps vécu sous l’hégémonie idéologique de la gauche, qui lui interdisait de parler d’immigration. Nous avons perdu nos électeurs car nous n’avons pas assez agi. Ce mécanisme s’observe partout en Europe. Quand des partis de gouvernement tétanisés par le politiquement correct cèdent, alors les populistes emportent la mise. Cela se voit en France. En 2002, Jean-Marie Le Pen obtient 11,8 % des voix face à Jacques Chirac au second tour à Mayotte. En 2022, Marine Le Pen a obtenu près de 60 %, dans ce territoire où règne le chaos migratoire.

En cas de second tour opposant aux législatives un candidat RN à un candidat du Front populaire, pour qui voteriez-vous ?

Nous verrons après le premier tour, pour l’instant je me bats pour nos candidats. Mais une chose est certaine : jamais, je ne donnerai ma voix au “Front populaire”. La présence de LFI contamine l’ensemble de cette alliance de gauche. Le premier danger vis-à-vis de la République est LFI. Le nouveau front de la gauche est le front de la honte. Le parti qui menace nos institutions, souhaite envoyer la Ve République à l’échafaud, hystérise l’Assemblée, manifeste aux côtés des islamistes, diffuse le poison de l’antisémitisme, c’est le mouvement de Jean-Luc Mélenchon. Le grand danger est là.

Eric Ciotti, par son choix, sème le trouble sur l’identité politique de LR. L’aile droite de la majorité lance en conséquence des appels à certains LR. Le mal n’est-il pas déjà fait ?

Les macronistes sont les premiers responsables de cette situation. Car Emmanuel Macron a tout fait pour qu’il n’y ait plus rien entre lui et le RN. Eric Ciotti prête donc la main à cette opération destructrice pour notre démocratie, dont nous voyons les résultats cataclysmiques. Il ne s’allie d’ailleurs pas au RN : il s’y soumet, sans conditions.

Vous offrez une image collective proche du Vaudeville. Craignez-vous que cette image vous affaiblisse le 30 juin ?

Cette pensée m’obsède. Ce spectacle qu’on offre malgré nous est destructeur. Mais faut-il refuser de se battre pour nos convictions ? Faut-il accepter l’inacceptable ? Je me bats pour qu’on réponde à un homme qui prend en otage une famille politique. J’entends encore Eric Ciotti, pas plus tard que la semaine dernière, lors du dernier meeting de François Xavier Bellamy, dénoncer le “chaos” qu’entraînerait le RN au pouvoir. Oui, ce spectacle est désolant, mais c’est le prix à payer pour la défense de nos convictions et surtout si nous voulons conserver un avenir.

Comment voyez-vous l’avenir de LR au lendemain des législatives ?

Lors de l’élection interne de LR, j’avais proposé une refondation profonde pour créer un nouveau parti. Cette crise révèle aussi l’immobilisme dans lequel s’est engluée notre famille politique depuis trop d’années. Cela appelle à un nouveau départ. La France a besoin de nos solutions. Il faudra tourner la page d’un parti en bout de course. Il faudra refonder un mouvement, changer de marque et redéfinir un logiciel. C’est à ce prix que nous pourrons retrouver la confiance des Français.

Vous parlez d’idéal. La politique obéit aussi à un principe de réalité. La tripartition de la vie politique ne vous condamne pas ?

La tripartition est la création d’Emmanuel Macron et on voit quel champ de ruines politiques elle a créé. C’est un poison pour la démocratie, car elle donne le monopole de l’alternance à la radicalité. Seul le clivage droite-gauche peut nous ramener à une conversation civique apaisée et à la possibilité d’une majorité stable et responsable pour la France.

Le RN est aux portes du pouvoir. Quelle responsabilité porte Emmanuel Macron dans cette situation ?

Emmanuel Macron a été le pire président de la Ve République. Il a tout dynamité, tout détruit mais rien construit, puisque son bilan est un échec sur tous les plans. Il a réalisé sa promesse de mettre à terre l’ancien monde, au-delà de ce qu’il pensait puisqu’il est désormais la première victime de ce dégagisme. Aujourd’hui, aucun parti n’est en mesure de diriger la France, à part les démagogues et les idéologues. Malheureusement, les législatives pourraient bien être le dernier feu d’artifice de cette politique d’apprenti-sorcier.