Budget 2025 : ces trouvailles originales de Matignon pour ne pas fâcher les riches (et Bruxelles)

Budget 2025 : ces trouvailles originales de Matignon pour ne pas fâcher les riches (et Bruxelles)

De ses allers-retours entre Londres et Bruxelles durant quatre intenses années, en tant que négociateur en chef du Brexit pour l’Union européenne, Michel Barnier semble avoir conservé quelques anglicismes dans ses bagages. Dans les prochaines semaines, les parlementaires entendront les proches du Premier ministre et certains membres du gouvernement s’exprimer à coups de front loading et de sunset clause. En particulier lors de l’examen du projet de loi de finances (PLF) pour 2025, présenté en Conseil des ministres ce jeudi 10 octobre.

Inconnus des néophytes, ces mécanismes doivent permettre de mener à bien la mission périlleuse que s’est fixée le locataire de Matignon : redresser les comptes publics. La sunset clause, appelée plus communément clause d’extinction, a pour fonction première de rassurer les ménages aisés. Donc, de les dissuader de fuir à l’étranger si le projet de taux minimal d’imposition sur les hauts revenus est adopté. En l’assortissant d’une clause de cet ordre dans le PLF 2025, l’exécutif prévoit explicitement de mettre un terme à cette contribution “exceptionnelle” sous 3 ans. La surtaxe de l’impôt sur les sociétés serait elle aussi concernée, mais sur 2 ans.

“Dans d’autres démocraties, les impôts temporaires sont assez fréquents et accompagnés de ce type de clause”, expose Pierre Boyer, économiste à l’Ecole Polytechnique et auteur de Peut-on être heureux de payer des impôts ? (PUF). Ce fut par exemple le cas aux Etats-Unis avec le Tax Cuts and Jobs Act, une loi signée par Donald Trump en 2017 qui comprenait notamment une réduction du taux d’imposition des sociétés. La majorité de ces dispositions doit expirer à la fin de l’année 2025. En cas de retour au pouvoir du milliardaire américain, elles pourraient néanmoins être prolongées. Il faudrait alors un vote du Congrès.

Selon Pierre Boyer, le recours à ce type de mécanisme constituerait “un changement de conception des politiques publiques”. Le ministre délégué à l’Industrie, Marc Ferracci, est un ardent défenseur du principe. Pour rompre avec les fausses promesses du passé ? Qu’il s’agisse de la contribution sociale généralisée (CSG) en 1991, la contribution pour le remboursement de la dette sociale (CRDS) en 1996, ou plus récemment la taxe sur les transactions financières en 2012, plusieurs hausses d’impôts, présentées jadis comme temporaires, ont finalement été pérennisées. “La CSG avait été mise en place car la base de l’impôt sur le revenu était mitée. C’est rapidement devenu une taxe rentable et efficace, avec un taux faible et une base large”, rappelle Pierre Boyer. A Matignon, on parle cette fois-ci d’effort “très spécifique, inscrit dans le temps et dans les textes.”

Il n’empêche : ce qu’une loi a fait, une autre pourra le défaire… “Si ces hausses temporaires sont déguisées, il y a un risque d’entamer la confiance des contribuables, pointe Pierre Boyer. Or, dans la période actuelle, l’une des raisons pour lesquelles on nous prête de l’argent est que les investisseurs sont convaincus de la capacité de l’Etat français à lever l’impôt. C’est pour cela que la confiance est importante.”

Rassurer Bruxelles, vraiment ?

A côté de ces sunset clause, le front loading, lui, s’adresse directement à Bruxelles. Il s’agit d’une notion, bien connue du côté de la capitale belge, qui consiste à accentuer l’effort dès les premières années d’un plan de redressement des finances publiques. Elle s’oppose au back loading, lorsque le plus dur est renvoyé à la fin de la période. L’équipe de Michel Barnier entend envoyer un message clair à la Commission européenne : ramener le déficit à 5 % du PIB dès l’an prochain, contre 7 % en 2024 si aucune mesure n’était prise, avec comme horizon 3 % en 2029. Pour cela, l’exécutif prévoit de faire 60 milliards d’euros d’économies en 2025, avec 40 milliards de dépenses en moins et 20 milliards de recettes en plus.

“Il n’y a pas de doctrine spécifique sur le sujet à la Commission européenne, assure toutefois une source au sein de l’institution. C’est la rhétorique du gouvernement français.” Si le règlement du nouveau cadre de gouvernance économique de l’UE, entré en vigueur en avril dernier, parle bien de front loading, cet aspect ne concerne que les réformes et investissements que la France devra présenter dans la trajectoire financière qui doit être envoyée à Bruxelles d’ici au 31 octobre. “La logique est claire : si vous avez des réformes en vue, autant les faire voter le plus tôt possible. En revanche, l’effort budgétaire doit en principe être linéaire, et surtout, ne pas être concentré sur la fin”, poursuit cette même source.

Pendant la crise de la zone euro, la Commission européenne avait imposé à la Grèce du front loading. “L’objectif était de convaincre les marchés financiers que la stratégie de redressement des finances publiques était bien mise en œuvre, afin de produire des effets sur les taux d’intérêt”, précise Jérôme Creel, économiste à l’OFCE et spécialiste de ces questions. Une stratégie pas vraiment payante. Car pour s’imposer une première marche plus haute que les suivantes, il faut s’assurer que les conditions macroéconomiques soient réunies. “Si vous le faites dans une phase où la croissance ralentit, vous prenez le risque de la freiner encore plus, voire de provoquer une récession”, prévient Jérôme Creel.

Une menace qui guette la France ? Dans un avis publié ce jeudi 10 octobre, quelques heures avant la présentation du budget, le Haut conseil des finances publiques considère que “la prévision de croissance pour 2025 (1,1 %) est un peu élevée compte tenu de l’orientation restrictive du scénario de finances publiques associé, qui se traduit par des mesures de hausse des prélèvements obligatoires atteignant un point de PIB et par un repli de la demande publique.” Autrement dit, l’effet front loading revendiqué par Matignon pourrait affecter la croissance française. Les services du Premier ministre le reconnaissent mais assurent que leur hypothèse de croissance à 1,1 %, “raisonnablement sérieuse”, intègre déjà cette pénalité, qu’ils estiment entre 0,1 % et 0,2 % de PIB. Entre vitesse et précipitation, la frontière est ténue.

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