Coaching, formations : les fausses promesses du neuromanagement

Coaching, formations : les fausses promesses du neuromanagement

“Révéler son leadership”. “Encourager une communication ouverte et empathique”. “Aider les individus à surmonter les blocages mentaux qui les empêchent de réussir”. Sur le papier, les promesses du neuromanagement sont belles. Le principe ? “Utiliser le fonctionnement et les aspects clés du cerveau pour renforcer l’épanouissement des employés”, ainsi que le définit le site d’un cabinet de coaching qui compte parmi ses clients des groupes comme la SNCF ou Nespresso.

LinkedIn, cabinets de recrutement, conférences… dans le petit monde enchanté du coaching, le neuromanagement a en effet pignon sur rue. Une approche qui laisse sceptiques les scientifiques. “A partir du moment où on prétend pouvoir parfaitement expliquer et influencer un comportement sur la base de mécanismes cérébraux, on est déjà dans une fausse promesse”, pointe Audric Mazzietti, docteur en psychologie cognitive.

De là à parler de charlatanisme, il n’y a qu’un pas, qu’il ne faut pas nécessairement franchir. “En réalité, il y a deux catégories de personnes qui véhiculent ces contre-vérités”, expose cet enseignant-chercheur. D’un côté, “des personnes mal intentionnées qui surfent sur la vague du neuro pour vendre leur formation ou leur coaching. Elles partent de vrais résultats donnés par la science mais les enjolivent sciemment dans le but de prescrire un comportement”. Et de l’autre, explique-t-il, “des gens de bonne foi, mais qui n’ont pas les formations nécessaires pour interpréter et comprendre les résultats suggérés par la science”.

“On fait dire beaucoup de choses à la dopamine”

Dans les deux cas de figure, le neuromanagement a trouvé la parade pour convaincre le plus grand nombre de son sérieux : l’imagerie cérébrale. Des études ont en effet mis en évidence un biais cognitif : dès qu’on met une image de cerveau à côté d’un article de recherche, celui-ci est jugé plus fiable scientifiquement qu’un article comportant des illustrations plus banales. Telle est l’une des clés de cette Neuromania décrite par le psychologue Albert Moukheiber dans son dernier ouvrage (Allary Editions). “C’est une des raisons pour lesquelles les connaissances et hypothèses neuroscientifiques, plus ou moins approximatives, voire fausses, se répandent dans l’opinion publique et se voient instrumentalisées par les méthodes de développement personnel”, écrit ce docteur en sciences cognitives. “Contrevérités et mensonges ainsi véhiculés, poursuit-il, ouvrent la porte à toutes sortes de supercheries : nouveaux outils cognitifs qui vont vous reconnecter à vous-même, vous aider à effacer vos traumas, à mieux collaborer, à vous imposer comme un meilleur leader.”

Il y a l’imagerie cérébrale, très efficace, et puis parfois il suffit de quelques mots parés d’un vernis pseudoscientifique. Comme ce post d’une coach récemment publié sur LinkedIn et intitulé “Neuromanagement : comment les neurosciences révolutionnent le leadership”. Pour appuyer son propos, celle qui propose des formations personnalisées affirme : “Comprendre les circuits de récompense du cerveau permet aux managers de créer des systèmes d’incitation plus efficaces. Par exemple, la dopamine, le neurotransmetteur lié au plaisir et à la récompense, et la sérotonine, le neurotransmetteur lié à la confiance en soi, sont stimulés par des reconnaissances régulières et des récompenses adaptées, augmentant ainsi la motivation et l’engagement des collaborateurs.” La dopamine, neurotransmetteur de la récompense ou du plaisir ? Le propos est vendeur, la réalité moins simple. “On fait dire beaucoup de choses à la dopamine”, déplore Franck Ramus, directeur de recherches au CNRS en sciences cognitives (et chroniqueur à L’Express). Le problème, pointe-t-il, “c’est qu’en neurobiologie, la dopamine est une notion hypercompliquée. Elle est impliquée dans énormément de processus, lesquels peuvent être contradictoires selon les contextes”. Conclusion : “On ne peut pas se contenter de dire que la dopamine est la molécule d’une émotion ou d’une fonction cognitive.”

La dopamine et le management bienveillant ? Les deux faces d’une même pièce qui fait le bonheur du “neuro-coaching”. “Leur discours, c’est de dire : ‘si je sais manipuler les bons mécanismes, je vais pouvoir stimuler la sécrétion de la bonne hormone et donc stimuler le bonheur de mes salariés'”, résume Audric Mazzietti. Qui en nuance toutefois la portée : “Est-ce que l’accueil de ces pratiques est réel ? Je n’en suis pas certain. Quand on regarde ce qui se fait en entreprise ou dans les cursus des écoles de commerce, on constate que le neuromanagement n’a pas encore vraiment sa place.”

Un concept plus vendeur que la psychologie

Il trouve en revanche sa place dans certaines formations. Ainsi en va-t-il de cet organisme qui intervient auprès des établissements de santé et qui a reçu l’agrément de l’Agence nationale de la performance sanitaire et médico-sociale, elle-même rattachée au ministère de la Santé. Par exemple, le module “Les neurosciences au service du management” (1 140 euros les deux jours) se propose d’enseigner “le cerveau neuro-social et son impact sur la régulation positive du climat social”. “Le cerveau neuro-social ? Je n’avais jamais vu cette appellation, s’étonne Franck Ramus. En sciences cognitives, on parle du cerveau social. Quel est l’intérêt d’ajouter “neuro” ? Comme si le cerveau ne suffisait pas…”. Autre intitulé de cours qui laisse pantois le chercheur en sciences cognitives : “Les vertus du cerveau et ses modes opératoires (neurogénèse et plasticité neuronale)”. “C’est un discours qu’on nous sert déjà dans l’éducation. La plasticité neuronale montre que le cerveau est plastique et certains en déduisent qu’on peut donc continuer à apprendre à tout âge. Mais ça, on le savait depuis belle lurette, sans avoir besoin des neurosciences ! Simplement, ‘plasticité cérébrale’, ça fait plus chic que ‘capacité à apprendre'”, s’étrangle le scientifique.

Les chercheurs interrogés par L’Express arrivent tous à la même conclusion : dans le meilleur des cas, ces courants qui se revendiquent neuro utilisent les résultats de la psychologie qui, eux, peuvent être validés scientifiquement, tout en les enrobant dans un habillage de neurosciences pour les rendre plus crédibles. Le neuromanagement plus vendeur que la psychologie ? Affirmatif, répond Franck Ramus, “surtout en France où les gens ne connaissent de la psychologie que la psychanalyse et ignorent qu’il existe une psychologie scientifique”.

Reste une question : la pratique du neuromanagement peut-elle avoir des effets néfastes sur les managés ? Audric Mazzietti en doute : “Les ficelles cérébrales sur lesquelles va tirer le manager sont quasiment inexistantes et non documentées. Donc en réalité, il ne va rien produire.”

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