Comment le RN et le Nouveau Front populaire sont devenus le seul atout de la Macronie

C’est l’oracle du dimanche soir. Le 9 juin, après avoir déclenché la foudre de la dissolution, Emmanuel Macron pariait sur les divisions de la gauche – qui allait s’unir en 24 heures. Une semaine plus tard, devant certaines oreilles ministérielles ahuries, le président affirme : “La majorité absolue est à portée de main.” La charité commande de ne pas s’appesantir sur le pronostic réalisé par le chef de L’Etat quelques jours avant les européennes. Il imaginait encore Valérie Hayer tutoyer les 20 %. Loupé. Mais qui écoute encore le président de la République ? Emmanuel Macron, Cassandre qui se trompe.

Et pourtant… Ne parlons pas d’optimisme. Ni même d’espoir. Mais plutôt d’espérance. Elle tient à si peu de choses. Quand les courants vous emportent, le moindre morceau de bois est un don du ciel. Alors, le camp présidentiel guette les signaux faibles à quelques jours du premier tour des législatives. Ici, des sondages en hausse. Là, l’augmentation attendue de la participation et l’explosion des procurations. Les Français avaient délaissé la politique. Elle les habite à nouveau. S’immisce dans les conversations quotidiennes, monopolise les dîners en famille. Eclipse tout, même l’Euro 2024 de football.

Ce regain d’intérêt se nourrit d’un éternel ressort électoral : la peur. “C’est le mot qui revient le plus, note un ministre. Les gens en veulent beaucoup à Macron mais observent que les extrêmes sont proches du pouvoir.”

“La crainte du nouveau Front populaire est très forte”

“Les” extrêmes. Les candidats de la majorité observent le rejet équivalent suscité par le Rassemblement national (RN) et La France insoumise (LFI), force dominante de l’alliance à gauche. “La crainte du Nouveau Front populaire est très forte, note Pierre Cazeneuve, candidat dans les Hauts-de-Seine. Les retraités sont terrifiés, sur le plan économique comme celui des valeurs.”

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Une ministre constatait ce jeudi les craintes des chefs d’entreprise, quand une candidate Renaissance a été apostrophée lors d’une réunion d’appartement : “Comment fait-on parler cette majorité silencieuse qui refuse d’être prise en otage par le RN et LFI ?” L’Elysée se pose la même question : “La participation peut dépasser les 70 %. Existe-t-il une majorité silencieuse raisonnable ?”

Il n’est pas interdit d’être calculateur. C’est même conseillé en campagne électorale. L’exécutif chevauche l’inquiétude d’une partie de la population pour retrouver de l’oxygène politique. Le front républicain était à l’origine réservé au second tour. Le voici installé dès le premier.

Républicains de tous horizons, rejoignez-nous ! Et tant pis pour quelques raccourcis intellectuels. De l’alliance des gauches, les macronistes retiennent davantage la figure répulsive de Jean-Luc Mélenchon que ses composantes plus modérées. La victoire vaut bien un brin de mauvaise foi. Une ministre résume : “Il y a longtemps que le premier tour n’a pas été aussi important dans une élection. Ma stratégie est claire : ‘si vous ne voulez pas choisir entre RN et la Nupes 2, votez pour nous’.” Troisième dans les sondages, le camp présidentiel risque en effet de se retrouver absent du second tour dans nombre de circonscriptions, voire placé troisième d’une triangulaire et sommé de se désister.

“Combat de valeurs”

Le jeudi 20 juin, on passe aux travaux pratiques. Le Premier ministre Gabriel Attal présente son programme pour “le jour d’après” les législatives. Il renvoie dos à dos ses adversaires, camp du “reniement national” et de la “compromission”. Dissèque les projets de ses rivaux autant qu’il vante le sien.

De cet exposé, on retient davantage les banderilles contre la gauche et le RN que sa promesse de baisser les charges au-dessus du Smic ou d’expérimenter la semaine de quatre jours. Tant pis, ce n’était d’ailleurs pas le but. “On est sur un combat de valeurs, appuie un ministre. On se fiche de savoir si on va baisser de deux centimes les taxes sur le gazole.” “C’est une campagne en défensif”, admet un cadre Renaissance.

La macronie a intériorisé son propre déclassement dans l’opinion. Elle a pour seul atout ses adversaires. Leur radicalité est son assurance-vie. La peur pour seul levier ? Jamais, crie-t-on en Macronie. L’autoproclamé camp de la raison ne saurait s’abaisser à de basses manœuvres.

Autour du chef de l’Etat, on revendique une stratégie en deux temps. “Il faut donc aller sur l’émotionnel pour que les gens fassent ensuite le lien vers le rationnel. Nous voulons démontrer l’enjeu du vote utile.” Ainsi, l’exécutif livre une mise en garde aux Français tentés par la gauche : en éliminant la majorité au premier tour, les électeurs sociaux-démocrates auraient toutes les chances d’installer Jordan Bardella à Matignon. Gare à l’ivresse du 30 juin, prélude à une gueule de bois le 7 juillet. Chaque duel Nouveau Front populaire-RN a toutes les chances de bénéficier au second.

“Macron a conscience qu’il est une partie du problème”

“Le meilleur moyen de faire barrage à l’extrême droite, c’est nous”, a assuré jeudi Gabriel Attal, sondage à l’appui. 41 % des Français préfèrent le RN à l’alliance des gauches d’après une enquête menée par Opinion Way, quand 34 % font le choix inverse. “En cas de duel RN/Front populaire, tous les modérés me disent qu’ils ne sauront pas quoi faire. Au mieux, ils s’abstiendront. A nous de les convaincre de l’enjeu existentiel du vote”, confie Robin Reda, candidat Renaissance dans l’Essonne.

“Beaucoup de gens ont plus peur du RN que de LFI”, appuie Ludovic Mendes, en lice en Moselle. Attaques au Napalm contre le Nouveau Front populaire, d’un côté. Clin d’œil appuyé à ses partisans de l’autre. La stratégie filtre avec la schizophrénie – elle peut crisper des Français de gauche – mais le camp présidentiel n’a pas d’autres munitions. Il n’a guère de chance de convaincre l’électorat RN, à la sociologie si éloignée de la sienne. La gauche modérée est son unique salut.

Et le chef de l’Etat, son pire ennemi ? Vous voyez bien que vous voyez mal. Emmanuel Macron serait omniprésent dans la campagne ? Au contraire… L’Elysée en est à compter, et à vanter le faible nombre d’heures de présence : “Deux heures lors d’un déjeuner avec la presse quotidienne régionale mardi, deux heures sur l’île de Sein jeudi, et c’est tout ! Quatre heures dans une semaine…” Ce n’est plus Jupiter, c’est l’homme invisible. Et modeste aussi, prêt à la contrition. “Il a parfaitement conscience qu’il est une partie du problème”, jure un proche. “Il doit laisser faire la campagne”, abonde un ministre. Rester en retrait et se dissocier du bloc central, sa créature.

Faire contre mauvaise fortune bon cœur : il prendra donc pour lui “l’émotion négative”, autrement dit la colère qui gronde. Ainsi cette dissolution ne ferait pas que “tuer la majorité présidentielle”, comme l’a lâché Edouard Philippe, elle tuerait aussi le Macron tel qu’il s’est présenté aux Français depuis le premier jour. Voire… Dans l’état actuel du pays, il suffit d’un mot pour braquer. “Immigrationniste” : évidemment il a choisi mercredi un terme choc à dessein, pour ouvrir les yeux sur le programme du Nouveau Front populaire.

La semaine prochaine, il continuera d’envoyer des signaux pour tenter de flécher ce fameux “vote utile” vers Gabriel Attal. Celui qui, pour des raisons mystérieuses, non seulement n’a pas été consulté le jour J sur la dissolution, mais surtout n’a pas été associé à la réflexion qui a précédé. Celui dont Emmanuel Macron est désormais obligé d’accepter ce qu’il a refusé à tous ses prédécesseurs : un Premier ministre qui dépende plus de la confiance des électeurs que du choix du président.