Comment l’extrême droite va peser sur les choix du nouveau Parlement européen

Comment l’extrême droite va peser sur les choix du nouveau Parlement européen

A l’échelle de l’Union européenne, pas de séisme à la française : tous partis confondus, la mouvance des droites nationalistes et radicales obtient environ un quart des sièges dans la nouvelle assemblée. Difficile d’être plus précis car les contours du ou des futur(s) groupes parlementaires restent à définir. Ces forces vont s’organiser dans les prochaines semaines au sein du nouveau Parlement européen. A ce stade, les conservateurs réformistes (ECR) comptent 73 élus, Identité et Démocratie (ID) 58 dont 30 du Rassemblement national. Les 15 nouveaux députés allemands de l’Alternative für Deutschland (AfD), les 10 du Fidesz du Hongrois Viktor Orban, ainsi qu’une vingtaine d’autres issus de différentes formations européennes n’ont pas encore de port d’attache.

La nouvelle assemblée du Parlement européen après les élections du 9 juin (résultats provisoires au 10 juin à 16h20).

Mathématiquement, l’extrême droite n’atteindra pas une minorité de blocage sur les futures lois européennes car la “majorité von der Leyen” (droite conservatrice, sociaux-démocrates et libéraux) conserve la majorité absolue des sièges. Néanmoins, comme le centre de gravité du Parlement s’est clairement déplacé vers la droite, y compris à la faveur du bon score des Chrétiens-démocrates (25,65 % des sièges à eux seuls), elle peut espérer peser sur les orientations du bloc dans les prochaines années.

L’accent sera mis sur une Europe “forte et sûre”

“Les chefs d’Etat et de gouvernement vont s’interroger sur la manière de prendre en compte les électeurs plus nombreux qui ont voté pour l’extrême droite. Le 17 juin, lors de leur prochaine rencontre, ils auront une discussion politique” confirme un diplomate. Les idées de l’extrême droite se disséminent en réalité déjà dans l’écosystème européen. Cela se manifeste par exemple dans “l’agenda stratégique”, la feuille de route que les 27 dirigeants fixeront à la Commission européenne pour les cinq prochaines années. Le document doit être définitivement adopté fin juin. Selon une version provisoire qui a fuité ces dernières semaines, l’accent sera mis sur une Europe “forte et sûre” qui protège ses frontières ainsi que sur la compétitivité. Quasiment pas un mot sur la lutte contre le réchauffement climatique – la transition écologique est évoquée uniquement sous le prisme du développement des industries vertes. “La place du Pacte vert dans tout cela est à déterminer” reconnaît la même source diplomatique.

“Le coup de barre à droite pourrait potentiellement affecter les politiques sur le climat, la migration, l’élargissement de l’UE, le budget et l’Etat de droit” énumère de son côté Pawel Zerka, analyste au Conseil européen pour les relations internationales. Sur la migration, les promoteurs de la “solution Rwanda” [NDLR, un accord prévoit d’expulser vers ce pays d’Afrique de l’Est les étrangers arrivés illégalement au Royaume-Uni] vont se sentir légitimés dans leurs revendications. D’ailleurs, pendant la campagne électorale, quinze pays européens, dont l’Italie, l’Autriche ou la Pologne, avaient écrit à la Commission européenne pour qu’elle explore “de nouvelles solutions” incluant le renvoi des demandeurs d’asile vers les pays tiers. Des pistes qui figurent aussi noir sur blanc dans le programme électoral des Chrétiens-démocrates du Parti populaire européen. Côté élargissement, il faudra guetter les répercussions pour l’avancement des discussions avec l’Ukraine, la Moldavie ou les pays des Balkans. Enfin, alors que le Parlement européen a toujours été en pointe sur la défense des libertés et de l’Etat de droit, aiguillonnant des dirigeants nationaux souvent peu pressés de sanctionner l’un des leurs, la nouvelle assemblée pourrait se montrer nettement moins sourcilleuse envers des pays comme la Hongrie.

“La photographie politique du nouveau Parlement ressemble de plus en plus à celle du Conseil européen”, note une source à la droite de l’échiquier. A la table des dirigeants européens, treize chefs de gouvernement viennent de la droite conservatrice, l’Italienne Giorgia Meloni et le Tchèque Petr Fiala sont membres d’ECR, Viktor Orban aimerait se rapprocher d’eux, et l’extrême droite figure dans plusieurs coalitions au nord de l’Europe, y compris bientôt aux Pays-bas. Reste que pour mesurer l’ampleur du coup de barre à droite, il faudra aussi attendre le résultat des législatives françaises. Un gouvernement dirigé par le Rassemblement national constituerait un élément nouveau, susceptible de peser encore davantage sur les équilibres politiques européens.