De Niro attaque Trump : on le comprend, mais ça ne sert à rien, par Abnousse Shalmani

De Niro attaque Trump : on le comprend, mais ça ne sert à rien, par Abnousse Shalmani

Robert De Niro est en colère. Il est, là, entouré de deux agents de police présents lors de l’invasion du Capitole le 6 janvier 2021, “de vrais héros” dixit l’acteur – ce qui est vrai -, devant le tribunal de New York où Donald Trump est en procès depuis plusieurs semaines. L’acteur culte des Affranchis, de Casino ou de Taxi Driver n’a jamais caché sa détestation de l’ex et peut-être futur président, ce qui lui avait valu un colis piégé reçu à domicile. Et il est là, De Niro, 80 ans, contre Trump : “Donald Trump ne veut pas seulement détruire cette ville, mais aussi le pays, et, en fin de compte, il pourrait détruire le monde.” C’est un meeting hollywoodien, on ne peut pas lui en vouloir, organisé par l’équipe de campagne de Joe Biden : “Quand Trump s’est présenté en 2016, c’était comme une blague, un bouffon candidat à la présidentielle. Mais nous avons oublié les leçons de l’Histoire, qui nous montrent que d’autres clowns n’ont pas été pris au sérieux jusqu’à ce qu’ils deviennent de féroces dictateurs.” Et il est vrai que le Trump 2024 n’est pas celui de 2016, il est le candidat qui veut “se venger”, faire payer tous ceux qui lui ont “volé” l’élection de 2020 – oui, il “fout les jetons”, dans un pays où les armes à feu sont plus nombreuses que les habitants. Et, à voir les séquences d’insultes, voire de bastons devant le tribunal de New York, on peut légitimement craindre le pire. D’accord. Mais.

Ce n’est pas la première fois que des acteurs s’engagent du côté des démocrates ; en 2016 déjà, pour soutenir Hillary Clinton, Robert Downey Jr., Scarlett Johansson, James Franco, Don Cheadle, Stanley Tucci, Mark Ruffalo, Martin Sheen, Julianne Moore avaient participé à une vidéo pour pousser les Américains à s’inscrire sur les listes électorales, et surtout à ne pas voter Trump, sans prononcer son nom – l’effet “Voldemort”, celui dont on ne prononce pas le nom. Nos courageux acteurs avaient aussi sacrifié à l’humour : les intervenants assuraient alors que si les Américains s’inscrivaient en masse sur les listes électorales, l’acteur Mark Ruffalo jouerait une scène nu dans son prochain film. On lutte comme on peut avec les armes qu’on a. D’accord. Mais.

Dès que j’ai entendu De Niro, j’ai instantanément pensé à Romain Gary. Dans Chien blanc, un de ses chefs-d’œuvre parmi tant d’autres, il raconte une séquence de levée de fonds pour soutenir la cause (légitime) des droits civiques dans la maison d’un producteur à Bel-Air où tout Hollywood était réuni : “Des personnalités qui ont accédé parfois aux sommets de la réussite cachent fréquemment un obscur sentiment d’infériorité parce que rien ne leur suffit ; les egomaniaques ne reçoivent jamais assez de marques extérieures de respect ou d’adoration.”

Collusion des élites

Et ce besoin compulsif d’être adorées des stars hollywoodiennes qui lavent leur conscience en soutenant la bonne cause et en s’engageant dans le combat contre le danger (réel) qu’est Trump donne du grain à moudre aux complotistes pro-Trump, qui voient dans l’entente entre Washington et Hollywood la preuve de la collusion des élites, qui snobent et méprisent les électeurs de la “ceinture de rouille” dont ils sont, ceux qui écoutent de la country et croient encore ou voudraient encore croire au rêve américain.

Justement, la country et le Tennessee, c’est de là que vient Taylor Swift, devenue la star incontestée de la pop. Et, à constater la haine des républicains et l’espérance des démocrates de l’entendre se déclarer en faveur de Joe Biden, on se dit que oui, elle pourrait influencer à elle seule 18 % des voix – comme l’estime un sondage de Newsweek. Avec ses 283 millions d’abonnés d’Instagram et 100 millions d’auditeurs mensuels sur Spotify, l’artiste la plus riche du monde musical est devenue une influenceuse politique en racontant ses chagrins d’amour en paillettes et show hollywoodien tout en paraissant pourtant sincère et authentique.

Et peut-être que c’est ce qui manque le plus aux politiques aujourd’hui : une authenticité, une proximité, un langage en commun avec leurs électeurs. Et aussi difficile que ce soit à entendre et à accepter, c’est là que Donald Trump marque des points : le millionnaire new-yorkais star de téléréalité, donc au sommet de la pyramide de l’artificialité, est parvenu à sonner vrai et à parler le langage commun à des millions d’Américains qui se sentent loin, si loin, de Hollywood.

Abnousse Shalmani, engagée contre l’obsession identitaire, est écrivain et journaliste