Des doutes, des pressions et beaucoup de flou : ce “ni-ni” qui embarrasse la Macronie

Des doutes, des pressions et beaucoup de flou : ce “ni-ni” qui embarrasse la Macronie

Une tribune peut parfois en cacher une autre, à écouter ses signataires. Prenez le texte publié le 25 juin dernier dans les colonnes du Monde. On pensait le message clair : des cadres socialistes, écologistes et communistes, ainsi que quelques figures de l’aile gauche macroniste appelaient collectivement à “éviter les triangulaires au second tour”, en retirant le candidat le moins bien placé au profit du “candidat des forces démocratiques restant face au Rassemblement national“. Et ce, “qu’elles appartiennent au Nouveau Front populaire, à la majorité sortante ou à la droite républicaine”. Mais permettez à ce proche d’Agnès Pannier-Runacher, ministre qui a également apposé son cachet au texte, d’ajouter une nuance : “C’est hors LFI, bien sûr.” “HEIN ? !”, s’étrangle Sandrine Rousseau. “C’est un scandale total, si c’est ça. Dans l’esprit, c’était tout sauf le RN”, poursuit la députée sortante, signataire elle aussi. Le premier interlocuteur tempère : “C’est surtout un message envoyé à la gauche raisonnable.”

Anticiper le second tour avant le premier : voilà quelques jours qu’une partie de la classe politique cherche la parade face à la probable arrivée en masse de nouveaux députés d’extrême droite. Un risque accentué par l’hypothétique multiplication de triangulaires, au soir du 30 juin prochain. Car un récent sondage, publié par l’institut Odoxa, en prévoit une grosse centaine – 170 dans la fourchette haute, un nombre historique – contre seulement 8 en 2022. Le bloc central d’Emmanuel Macron, en bon troisième à lire les études d’opinion, derrière le Nouveau Front populaire et le Rassemblement national, pourrait logiquement être enjoint par les gauches de retirer son candidat à leur profit.

“C’est vraiment un cas de conscience, c’est très dur”

Marine Tondelier, patronne des écologistes, a donc sonné le tocsin. “A chaque fois qu’un candidat écologiste, membre du Front populaire, arrivera en troisième position, il se retirera au profit du candidat qui respecte les valeurs de la République pour battre l’extrême droite”, a-t-elle affirmé auprès de l’AFP. Avant de mettre la pression à la majorité sortante, sollicitant “une rencontre en urgence” avec les principaux chefs à plume de la coalition présidentielle, et réitérant que les écologistes “feront tout” pour éviter l’arrivée du RN au pouvoir. “Et vous ?”, a-t-elle questionné dans une lettre ouverte publiée ce mercredi sur X.

Officiellement, Emmanuel Macron n’a encore rien tranché. Après avoir dénoncé les programmes des “deux extrêmes”, le RN et la France insoumise, suspects, ose-t-il même, de mener la France à la “guerre civile”, le locataire de l’Élysée cherche lui aussi la parade. “Il ne faut pas s’enfermer et étudier les choses au cas par cas. Au soir du premier tour, on dira ‘ni RN, ni LFI’, prédit un stratège du chef de l’État. Si on a un socialiste modéré, il faudra prendre la décision de se retirer lorsque l’on n’a aucune chance de gagner.”

Mais en Macronie, voilà un camaïeu de positions, concernant les marches à suivre en cas de second tour infructueux et autres triangulaires défavorables. Ici, Olivia Grégoire, ministre déléguée chargée des Entreprises, qui jure “voter blanc” lors d’un duel entre le RN et l’alliance des gauches – mais qui nuance en assurant pouvoir voter “pour un socialiste modéré”. Là Jean-Yves Le Drian qui affirme un jour “ne jamais voter pour un candidat LFI” et le lendemain offre son soutien à un candidat du Nouveau Front populaire, et pas des moindres : son ancien ami, le président François Hollande. Ou encore, Stéphane Travert, député de l’aile gauche, sortant de la Manche, qui n’aurait “aucun problème” à voter ou à se retirer au profit de sa concurrente communiste, et qui pourrait faire de même s’il s’agissait d’un écologiste ou d’un socialiste. Hors de question, en revanche, de voter pour un Insoumis si le cas de figure se présentait. “Ils ne sont pas dans le champ républicain”, dit-il.

“Dimanche soir, on va les acculer”

Certains ont une vision extensive de ce même champ républicain. À l’instar de Clément Beaune, “prêt à voter pour un candidat LFI face au RN”. “J’ai dit que ne mettais jamais de signe égal entre l’extrême gauche, même La France Insoumise, et l’extrême droite du RN ou de Reconquête !”, a-t-il affirmé au micro de France info. “Il faut toujours voter pour le parti qui affronte le RN. Quitte à se désister s’il y a un risque de victoire de l’extrême droite”, détaille le même dans les colonnes de la Tribune Dimanche.

D’autres, à la différence des trois précédents, sont directement concernés par cette éventualité. Très probable, dans la 1ère circonscription de Moselle, où le député Renaissance Belkhir Belhaddad s’était déjà qualifié de peu au second tour en 2022, entre les candidats LFI et RN, avant de l’emporter largement. “Les Insoumis ne sont pas racistes et fachos, avec un projet de préférence nationale. Ils n’en demeurent pas moins un parti dangereux. Mais c’est vraiment un cas de conscience, c’est très dur”, soupire-t-il auprès de L’Express. “Si le cas de figure se présente, je déciderai dimanche soir avec les miens. Mais mon combat, depuis tout jeune, a toujours été le Rassemblement national : c’est peut-être un début de réponse…” À l’automne dernier, en marge d’un déplacement à Hayange, l’élu avait été insulté, traité de “racaille” par le député RN Laurent Jacobelli. Ce dernier avait été mis en examen.

À gauche, on veille au grain. Les stratèges du Parti socialiste ont sorti la calculette pour mieux faire pression sur la Macronie dès dimanche soir : dans leurs projections, la maison rose anticipe une centaine de duels entre le Nouveau Front populaire et le RN, dont 60 % concerneraient des candidats socialistes. Alors Pierre Jouvet, eurodéputé fraîchement élu, l’annonce : “Dimanche, on va les acculer : on va se retirer partout, y compris dans des duels RN-LR (pas ciottistes, NDLR).” “Si la majorité présidentielle continue son ni-ni, on perdra ces duels. C’est cela qui fera la différence entre une majorité relative et une majorité absolue du RN dans l’hémicycle. C’est la Macronie qui sera alors responsable”, abonde une huile de la maison rose.

Stéphane Troussel, président du conseil départemental de Seine-Saint-Denis insiste : “Si les macronistes ne se retirent pas, ils auront la défaite et le déshonneur.” Reste cette donnée non négligeable. Que vaudra, dimanche au soir, la parole démonétisée d’un président de la République, lâché au fil des jours par ses troupes ? Le temps pressera : le dépôt des candidatures pour le second tour est fixé à 18h le mardi 2 juillet. Un macroniste bien implanté résume : “Les consignes sur le territoire où j’habite et suis élu, c’est moi qui les donne.”