Edouard Philippe – François Hollande : ces partants pour 2027 qui réfléchissent chacun à un “ticket”

Edouard Philippe – François Hollande : ces partants pour 2027 qui réfléchissent chacun à un “ticket”

“Ils se sont autoneutralisés.” Le constat froid de Michel Rocard (dans son livre d’entretiens avec Georges-Marc Bénamou, Si la gauche savait) sur le ticket constitué par Gaston Defferre et Pierre Mendès France et leurs 5,01 % à la présidentielle de 1969 passerait à n’importe quel candidat l’envie de réitérer l’expérience. Tellement contraire à l’esprit de la Ve République… La France n’est pas les Etats-Unis, le Premier ministre n’est pas un vice-président ! Alors, le tandem Marine Le Pen-Jordan Bardella, d’ores et déjà annoncé par la candidate du Rassemblement national, risibles amours ou union prometteuse de changement ?

Il en est un, au moins, auquel n’a pas échappé ce que ce ticket avait de singulier. En bon fana de “poloche”, Edouard Philippe observe. Ne dit-on pas qu’en politique, souvent, de la maîtrise du temps dépend le succès ? Marine Le Pen et Jordan Bardella, c’est d’abord un moment. Désigner son Premier ministre plus de trois ans avant l’élection présidentielle, du jamais-vu.

“Jusqu’à présent on gardait cette nouvelle pour plus tard et pour élargir son camp, pour rassembler ; ça montre la force tranquille du RN qui peut l’annoncer sans que ça provoque le moindre remous en interne”, observe Christophe Béchu, ministre de la Transition écologique et secrétaire général d’Horizons. Aussitôt tempéré par l’eurodéputé et ami du Havrais Gilles Boyer : “La situation de Marine Le Pen est différente de la nôtre car on lui a souvent fait le procès de ne pas avoir d’équipe, de ne pas savoir avec qui gouverner… Donc si quelqu’un a besoin de présenter un ticket, c’est bien elle.”

Une femme-un homme, Le Pen-Bardella c’est aussi une complémentarité. Et deux générations rassemblées ; la première, 55 ans, partage avec les militants sa joie d’être nouvelle grand-mère, tandis que le second, 28 ans, philosophe, dans une vidéo TikTok, sur le bienfait des bonbons pour son organisme (la vidéo a été vue près de 3,6 millions de fois). Deux électorats, donc. Audacieux, songe l’ancien chef du gouvernement. Alors, “il touille”, selon un camarade de jeu. Jusqu’à surprendre ses interlocuteurs ces dernières semaines en déclarant qu’à deux, peut-être, on est plus forts pour affronter 2027 et ses chausse-trappes.

Des points communs avec Bernard Cazeneuve

L’ancien Edouard Philippe jette des coups d’œil à droite. Cajole Valérie Pécresse et sourit à Gérard Larcher. Edouard Philippe jette des coups d’œil à gauche. Préférerait-il les roses ? Dès son arrivée à Matignon, il prend soin de photographier la belle roseraie voulue par Mitterrand à Souzy-la-Briche, lieu de villégiature essonnien pour hôte de Matignon fatigué, et d’adresser le cliché par SMS à son restaurateur. Félicitations pour les couleurs des fleurs, ce rose pâle… et ce blanc si pur. Le fier destinataire ? Bernard Cazeneuve, un socialiste avec lequel il se trouve tant de points communs. Un sens du sérieux et un sens de l’humour, mais aussi des visions de la société et des valeurs pas si éloignées. La droite, ou ce qu’il en restera après les élections européennes, sera en partie acquise à la cause philippienne, croit-on dans l’entourage du fondateur d’Horizons. Sa marge de progression se situe à gauche, chez cette gauche raisonnable, en quête de liberté autant que d’autorité, qui n’a pas renié la valeur travail et que Cazeneuve entend incarner. Un jour de la fin 2023, entendant ce dernier vanter les mérites d’Edouard Philippe, L’Express avait posé à l’ancien maire de Cherbourg la question de son ralliement. “Et pourquoi ne serait-ce pas Edouard qui se rangerait derrière moi ?”, avait-il répliqué, à peine courroucé.

Fin 2023, les deux hommes partagent l’affiche, pas électorale mais médiatique. Les voici en Une de la Tribune Dimanche, ensemble, pour un texte écrit à quatre mains, un appel au calme et à l’unité “en ces temps obscurs”. “Un jour de mai 2017, dans la cour de Matignon, côte à côte, nous avons dit que nous étions un homme de droite pour l’un et un homme de gauche pour l’autre, écrivent-ils. Ce clivage était un repère dans l’alternance et il le demeure.”

Ce clivage peut-il justifier qu’à présent ils se réunissent ? Après tout, Edouard Philippe affirme vouloir fédérer “de la droite conservatrice à la gauche mitterrandienne”. Autant tenter l’aventure avec un représentant de la gauche qu’il apprécie. L’idée, a compris l’un de ses visiteurs, ne lui est pas étrangère. Pire, “elle lui plaît”, confirme un autre. Immédiatement, Gilles Boyer modère : “Quand on constitue un ticket, on fait quinze déçus, il faut aussi penser à ça. Le choix d’un Premier ministre ce n’est pas les prémices d’une campagne, c’est la résultante d’une élection. A chaque scrutin sa vérité…” En attendant, aucun scrutin n’effacera les faits : les deux hommes, avant de construire un avenir commun, ont surtout un passé identique. Tous deux ont endossé les responsabilités de Premier ministre : baroque d’imaginer que l’un puisse accepter de seconder l’autre, baroque d’imaginer que l’un puisse accepter de retrouver des fonctions déjà occupées. Et quand on sait, parole d’Edouard Philippe, que “Tout ne remonte pas à Matignon, non, juste les emmerdes”…

Un tandem Hollande – Glucksmann

Mais en politique comme en architecture, la liberté des formes a ses partisans. Ainsi François Hollande ne s’interdit-il plus de songer, à son tour, qu’”une candidature solitaire, comme c’était le cas jusqu’à présent, n’est plus de mise aujourd’hui”, explicite-t-on dans son entourage. Voilà que l’ancien président de la République qui a écrit et claironné que la fonction de Premier ministre mériterait d’être supprimée afin que “le président de la République soit le seul chef de l’exécutif”, regarde aussi avec intérêt la possibilité d’un duo. Il jouerait même déjà avec l’idée de proposer un tandem à… Raphaël Glucksmann, tenant d’une gauche anti-mélenchoniste, capable de séduire un électorat qui lui a tourné le dos. C’est sans doute faire fi un peu vite des ambitions de la tête de liste aux européennes en cas de score honorable le 9 juin.

Quel que soit l’attelage, si ticket il y a, que devient la liberté du chef de l’Etat de changer le locataire de Matignon au gré des crises et de son quinquennat ? Modifier l’une des deux têtes pour lesquelles les Français auraient votées ? Promesses non tenues, contrat rompu ! crieraient sans doute ces derniers. Soudain, l’illégitimité guette.