Elections américaines : Gaza, tombeau de la présidence Biden ?

Elections américaines : Gaza, tombeau de la présidence Biden ?

Comme souvent avec Donald Trump, l’événement est historique : condamné au pénal pour avoir falsifié des documents et tenté de cacher une relation sexuelle avec une star du X, le milliardaire entre une nouvelle fois dans l’Histoire. Certes, par la moins glorieuse des portes. Avec ce verdict, la justice américaine a-t-elle changé le cours de la présidentielle du 5 novembre ? A priori, non. Le candidat républicain perdra sans doute quelques points chez les électeurs indépendants, mais la grande majorité sera passée à autre chose dans quatre mois.

A l’inverse, Joe Biden devra encore gérer les conséquences d’un dossier empoisonné : celui de la guerre dans la bande de Gaza. C’est là, en réalité, que se joue la prochaine élection américaine. En 2020, Biden a vaincu l’inoxydable Trump grâce à la mobilisation des jeunes et des minorités. Mais aujourd’hui, un quart seulement des 18-29 ans soutiennent son action. Un désastre électoral en gestation. “La jeunesse américaine crie sa frustration devant la gestion de sa politique étrangère et devant le manque d’empathie de l’administration Biden, estime Sanam Vakil, spécialiste du Moyen-Orient à l’université Johns Hopkins, dans le Maryland. Et sans prise en considération de cette frustration, il y a de gros risques pour que l’addition se paye en novembre…”

32 % des Américains arabes prêts à voter Trump

Joe Biden n’a pas seulement perdu les jeunes, mais aussi une partie des minorités. Ainsi, seuls 18 % des Américains d’origine arabe se disent prêts à voter pour lui dans les Etats clefs d’après l’American Arab Institute, contre 59 % en 2020. Aujourd’hui, 32 % de ces électeurs voteraient même Trump, alors que sa première mesure en 2016 avait été de mettre en place un “Muslim Ban” pour interdire d’entrée sur le territoire américain toute personne musulmane…

“Cette élection va se jouer à 50/50, et trois ou quatre Etats feront la différence, pronostiquait récemment Ben Rhodes, ancien conseiller spécial de Barack Obama, lors d’un briefing devant la presse. Même si la guerre à Gaza n’est pas le sujet central de la présidentielle, cet événement peut faire basculer les quelques milliers de voix nécessaires pour être à la Maison-Blanche. Si Biden perd dans le Michigan [NDLR : un Etat clef avec une forte communauté musulmane] pour 50 000 électeurs, alors nous saurons ce que lui a coûté son soutien à Israël.”

Depuis huit mois, le président américain tente de jouer la partition classique des relations entre Washington et Jérusalem : soutien absolu en public, fermeté en coulisses. Mais avec Benyamin Netanyahou et ses alliés d’extrême droite, cette stratégie va d’échec en échec, d’humiliations diplomatiques en humiliations diplomatiques. La frange suprémaciste du gouvernement israélien, représentée par les ministres Itamar Ben-Gvir et Bezalel Smotrich, refuse tout accord avec le Hamas avant sa destruction totale, sous peine de faire tomber la coalition au pouvoir. Bloqué, Netanyahou tente de gagner du temps, au prix des milliers de morts à Gaza et de la captivité interminable de 130 otages.

Avec son plan de paix surprise, Biden montre enfin les muscles

En face, l’administration américaine veut imposer son armistice au gouvernement israélien et au Hamas, deux protagonistes qui ont tout intérêt à poursuivre cette guerre. “Biden doit absolument faire bouger les deux camps afin d’apaiser le climat politique en interne, aux Etats-Unis, mais aussi pour empêcher que l’Iran et ses alliés n’exploitent les tensions au Moyen-Orient, soutient Sanam Vakil. En coulisses, l’administration Biden a réussi à ce que la guerre à Gaza ne dégénère pas en conflit régional bien plus vaste. Pour l’instant en tout cas.”

Mais chaque tragédie dans l’enclave palestinienne augmente le risque d’un embrasement du Moyen-Orient. L’offensive israélienne à Rafah, qui a longtemps été une ligne rouge américaine, se poursuit, alors que des centaines de milliers de civils se trouvent encore sur place. D’où la sortie surprise de Biden le 31 mai, annonçant un plan de paix en trois étapes sans même avertir ses alliés israéliens. Premier objectif : un cessez-le-feu de six semaines, un échange massif d’otages israéliens contre des prisonniers palestiniens et l’entrée d’aide humanitaire dans la bande de Gaza. Le Hamas comme Israël répondent “oui” du bout des lèvres, mais Netanyahou joue la montre, estimant le plan de Biden “incomplet”.

Au fond, peu importe le résultat. Après des mois d’impasse, l’octogénaire montre enfin les muscles et place les dirigeants israéliens face à leurs contradictions. “Joe Biden doit au minimum paraître plus fort, selon Ben Rhodes. Les électeurs, qui suivent d’un œil distrait les événements au Moyen-Orient, voient leur président réclamer des changements sans que rien ne se passe. C’est un vrai problème d’image.” Biden doit d’urgence gagner la paix au Proche-Orient, s’il veut l’emporter en novembre dans le Michigan.