“Emmanuel Macron contraint de se taire” : les législatives vues par la presse étrangère

“Emmanuel Macron contraint de se taire” : les législatives vues par la presse étrangère

Elle était aussi attendue que crainte. L’arrivée en tête du Rassemblement national (RN) au premier tour des élections législatives avait été anticipée par la quasi-totalité des sondages réalisés depuis l’annonce de la dissolution de l’Assemblée, le 9 juin dernier. Ainsi, comme le soulignait La Tribune de Genève dimanche soir, “la question n’était pas de savoir si l’extrême droite allait arriver en tête de ce premier tour des législatives françaises, mais avec quel score”.

Et celui-ci est pour le moins humiliant pour le camp macroniste : près de 33 % des électeurs s’étant déplacés ont glissé dans l’urne un bulletin RN. C’est quasiment dix points de plus que pour la majorité présidentielle qui dépasse tout juste les 20 % de suffrages exprimés. Un score qui a de quoi donner des frissons aux députés sortants de la majorité.

L’énigme ou le casse-tête des triangulaires

Et pour cause : les résultats du premier tour l’ont confirmé et plongent donc le pays dans un flou politico-institutionnel sans précédent. Le RN obtiendra-t-il suffisamment de sièges pour entrer à Matignon ? Une majorité parviendra-t-elle à se dégager le 7 juillet prochain ? La macronie honorera-t-elle sa promesse de retirer ses candidats au profit des mieux placés face à l’extrême droite ? La presse anglo-saxonne comprend l’énorme incertitude qui pèse sur l’Hexagone en raison “du nombre de triangulaires” : 301 possibles, contre seulement 8 aux législatives de 2022.

Un nombre qui pourrait toutefois largement diminuer en cas de désistements promis par l’alliance de gauche et la majorité présidentielle, note le Corriere della Sera. “Avec près de la moitié des circonscriptions de l’Assemblée susceptibles de devenir des compétitions à trois, la possibilité d’un “front républicain” anti-RN existe clairement – mais l’étendue de la coopération entre les partis sera cruciale, tout comme la volonté des électeurs de voter de manière tactique”, relève The Guardian.

Demander à ses candidats de déclarer forfait ? Du déjà-vu en 2007 et en 2012. Reste qu’il s’agit d’un “ultime geste de désespoir”, estime Corriere della Sera, qui reconnaît toutefois que la stratégie pourrait “empêcher Jordan Bardella d’obtenir une majorité absolue”. Et ainsi d’appliquer une politique “raciste” qui prône “la préférence nationale entre les citoyens”, fustige Le Soir, mettant en garde contre “un sacre populaire qui crucifie la classe politique”.

Au soir de ce premier tour des élections législatives anticipées, on peut le dire, la Macronie a perdu sa boussole.

L’analyse d’@OlivierPerou ⤵️ pic.twitter.com/ENKp2NmWFL

— L’Express (@LEXPRESS) June 30, 2024

Un potentiel futur premier ministre “vide”

Car derrière cette figure lisse, ce Jordan Bardella “toujours bien habillée” selon la formule d’El País, se cache un “vide phénoménal”, étrille Régis Jauffrey dans les colonnes du Corriere della Sera : “Il n’a pas fait d’études supérieures, il n’étudie pas les dossiers, il ne connaît pas les chiffres. Pour chaque question, il a trouvé une réponse qui ressemble à une baguette magique.” Plus abrasif encore, le quotidien transalpin dépeint un néophyte de la politique “n’a jusqu’à présent même pas administré un immeuble et n’a pas montré grand-chose de plus qu’une belle apparence, un physique bien entraîné et un beau parleur”.

Et pourtant, le jeune loup de Marine Le Pen n’a jamais été aussi populaire. Selon El País, le RN doit ses percées électorales en grande partie à celui qui pourrait bien devenir, à 28 ans, le plus jeune Premier ministre de l’histoire française. “Il a donné l’impulsion définitive à ce processus de normalisation d’un parti jusqu’alors rejeté par de larges secteurs de la population et de l’establishment français”, précise le quotidien espagnol. Outre-Rhin, Bild estime toutefois qu’en ayant rompu avec l’AfD, Marine Le Pen était parvenue à renforcer sa carrure de cheffe de file de la droite dure en Europe, et ainsi à rompre le cordon sanitaire qui apparaît aujourd’hui plus que jamais suranné.

La responsabilité d’Emmanuel Macron

Reste que la responsabilité d’une éventuelle arrivée au pouvoir de l’extrême droite incombe avant tout au président de la République. Un Emmanuel Macron décrit comme “affaibli et isolé” par La Stampa. D’abord, parce qu’il a choisi de dissoudre l’Assemblée nationale alors même que le RN venait de réaliser sa meilleure performance électorale aux européennes, rappelle le Wall Street Journal. Raison pour laquelle, bien qu’il assure ne pas démissionner, les observateurs internationaux restent sur leur qui-vive : “On s’est rendu compte récemment que Macron est aussi imprévisible que Donald Trump”, assume Régis Jauffrey dans le Corriere della Sera.

Dans les ambassades et les chancelleries, on se gratte la tête pour expliquer ce qu’il s’est passé dans celle d’Emmanuel Macron au moment d’annoncer des législatives anticipées. “Macron a pris cette décision seul, il devra en prendre seul la responsabilité. Mais lui semble voir la situation différemment, comme s’il vivait actuellement dans un univers parallèle”, cingle l’hebdomadaire allemand Der Spiegel, dont la dernière couverture explore “la chute de la France”.

Ensuite parce qu’il n’a pas su enrayer le “pessimisme irrationnel”, relevé par El Confidencial. Immigration, pouvoir d’achat, fiscalité excessive, réglementation… Sept ans après s’être hissé au pouvoir, “Emmanuel Macron a échoué”, conclut le quotidien espagnol. Enfin, parce qu’il “a perdu le contact avec l’électorat cible du Rassemblement national”, décryptent nos confrères du New York Times. The Spectator étrille notamment un chef d’Etat mué par “l’arrogance et le mépris de ses concitoyens, de la base au sommet”.

Le spectre du blocage institutionnel

Avec cette dissolution, Emmanuel Macron ne fait pas uniquement courir le risque d’une arrivée de l’extrême droite : il fait également planer sur le pays l’ombre du blocage institutionnel. “Dans une telle impasse, les experts craignent un blocage politique qui pourrait durer un an. Ce n’est qu’alors que le président pourra à nouveau convoquer de nouvelles élections”, mettent en garde nos confrères du Di Welt.

Le britannique The Spectator dénombre quant à lui quatre grands perdants de ce “coup de poker” : la stabilité de la Ve République, l’Union européenne, la stature de la France à l’international, mais “surtout et avant tout”, Emmanuel Macron lui-même. Et d’anticiper : “Il sera l’héritier politique négatif d’hommes comme le vaniteux président Maréchal Mac Mahon qui, en essayant de se faire entendre, a été contraint de se taire”.