“Envoyer un message clair à Poutine” : les six propositions d’Anders Fogh Rasmussen pour aider l’Ukraine

“Envoyer un message clair à Poutine” : les six propositions d’Anders Fogh Rasmussen pour aider l’Ukraine

De passage à Paris au lendemain de la dissolution de l’Assemblée nationale, Anders Fogh Rasmussen n’est pas dépaysé, en plein chaos politique. Premier ministre du Danemark pendant sept ans (2001-2009), l’économiste de formation a connu son lot de coalitions houleuses, y compris avec la droite dure, avant de devenir secrétaire général de l’Otan pendant cinq ans (2009-2014).

Désormais, Rasmussen consacre son énergie et son réseau à aider l’Ukraine, travaillant étroitement avec le bureau de Volodymyr Zelensky à Kiev. Avec l’aide du chef de cabinet du président ukrainien, Andriy Yermak, il a réuni plusieurs figures politiques occidentales, comme Boris Johnson ou Hillary Clinton, afin de livrer à l’Occident une feuille de route de soutien à l’Ukraine. “En janvier, Zelensky nous a demandé de rassembler ce groupe international pour que Kiev s’intègre dans l’architecture de sécurité Euro-Atlantique et pour renforcer la défense de l’Ukraine, raconte Rasmussen. Ce sont d’anciens présidents, d’anciens Premiers ministres, d’anciens ministres des Affaires étrangères… Nous avons tous l’avantage d’une liberté de parole totale.”

Avant la Conférence pour la paix en Ukraine, qui s’ouvre ce samedi 15 juin en Suisse, et un mois avant un sommet de l’Otan décisif à Washington, l’ancien patron de l’alliance occidentale nous détaille son plan de soutien à l’Ukraine. Avec des propositions parfois radicales.

La levée des restrictions sur les armes

Anders Fogh Rasmussen : “L’Occident doit lever toutes ses réserves, toutes ses restrictions sur les livraisons d’armes et sur l’utilisation de ses armes par l’Ukraine. Les Ukrainiens doivent obtenir l’autorisation d’utiliser ces armes pour éliminer des cibles sur le territoire russe. Ils doivent, aussi, recevoir tout ce dont ils ont besoin face à cette agression : des missiles à longue portée, des chars d’assaut, des avions de chasse. A cet égard, je salue la décision du président Macron de transférer des Mirage 2000-5 à l’Ukraine et d’entraîner ses pilotes. C’est de la plus haute importance.”

Un bouclier antimissiles depuis le territoire de l’Otan

“Comme nous avons aidé Israël à abattre les drones et les missiles de l’Iran, nous devons aider l’Ukraine à abattre les drones et les missiles de la Russie. Nous pouvons le faire en livrant davantage de systèmes anti-missiles, comme le Patriot [américain]. Mais nous pouvons encore renforcer la défense de l’Ukraine en déployant des systèmes anti-missiles le long de sa frontière mais sur le territoire de l’Otan. Ce serait la création d’un bouclier humanitaire pour protéger non seulement les populations civiles et les infrastructures, mais aussi pour protéger l’industrie de la défense ukrainienne et nos propres centres de livraison sur le sol ukrainien. Cette proposition est débattue en ce moment même par certains Etats membres de l’Otan, notamment par la Pologne et la Roumanie [NDLR : des pays frontaliers de l’Ukraine].”

Inviter l’Ukraine à rejoindre l’Otan

“Il s’agit là d’envoyer un message clair à Vladimir Poutine et aussi au peuple ukrainien : il est temps d’engager le processus d’adhésion de l’Ukraine à l’Otan. Nous recommandons à l’Otan de proposer une invitation formelle à l’Ukraine pour commencer les discussions d’adhésion, et ce dès le sommet de l’Otan de juillet à Washington. Cela ne signifie pas que l’Ukraine rejoindra l’Alliance du jour au lendemain.

Mais il est de la plus haute importance de formaliser cette invitation : beaucoup disent que l’on ne peut pas inviter un pays en guerre à rejoindre l’Otan. Or c’est un argument extrêmement dangereux, car de facto il donne à Poutine une raison de continuer la guerre et de bloquer ainsi toute entrée de l’Ukraine dans l’Otan. En formalisant cette invitation, nous cassons cet argument, nous changeons son calcul et nous enlevons cette raison de continuer la guerre. L’Otan a besoin de l’Ukraine, elle a besoin de ce rempart contre une Russie agressive. En maintenant des zones grises, nous maintenons des zones de danger et nous invitons presque Poutine à attaquer.”

Ne rien exclure

“Sur ce principe, je rejoins le président Macron : pour que votre dissuasion soit crédible, vous ne devez jamais exclure aucune option. N’excluez pas de déployer des troupes pour aider les Ukrainiens, même si votre président n’a aucune intention de le faire pour le moment. Pour que votre dissuasion soit crédible, vous devez laisser votre adversaire dans le flou sur vos intentions. C’est exactement ce que Macron a fait.”

Mobiliser les milliards russes gelés

“Nous avons environ 300 milliards de dollars d’avoirs russes gelés. Nous devrions tout utiliser pour aider l’Ukraine. Washington soutient cette proposition ambitieuse mais les Européens s’inquiètent des conséquences non désirées et négatives d’une telle décision, notamment des représailles de la Russie et d’autres pays.

Mais ces peurs sont démesurées : si le G7 reste uni sur cette question, il serait très difficile pour la Russie, la Chine ou l’Arabie saoudite de lancer des représailles en retirant leurs avoirs de nos pays pour les déplacer ailleurs, dans d’autres monnaies. Est-ce que vous investiriez vos réserves de devises en roubles, en yuan ou autres ? Les monnaies fortes sur le marché mondial sont les monnaies du G7. Donc si le G7 se coordonne, les représailles seraient minimes.”

Que l’Europe se réveille enfin

“L’offensive russe vers Kharkiv semble avoir été stoppée et je suis donc plus optimiste aujourd’hui qu’il y a quelques semaines. Les livraisons américaines ont fait la différence, avec de nouvelles armes qui ont aidé les Ukrainiens sur le terrain. Mais il est évident que les Ukrainiens ont payé le prix fort à cause des six mois de retard dans l’aide américaine et de notre échec, à nous Européens, d’être à la hauteur de nos objectifs. Pour résumer, nous n’avons livré que la moitié de ce que nous avions promis.

Il est embarrassant que la Corée du Nord réussisse à livrer autant de munitions à la Russie en un mois que l’Europe le fait en un an. Nous devons accélérer et mettre nos économies sur le pied de guerre. Cela nécessite un profond changement d’état d’esprit et des engagements sur le long terme de nos gouvernements avec les industries de la défense, afin d’accroître leurs capacités.”