Félicité Herzog : “Rachida Dati se comporte comme une barbouze”

Félicité Herzog : “Rachida Dati se comporte comme une barbouze”

Elle occupe aujourd’hui la tête de la branche stratégie d’un des plus grands groupes tricolores, Vivendi. Après avoir fait ses armes chez JP Morgan et dans la banque d’affaires Lazard frères, Félicité Herzog a couronné sa carrière de postes de direction chez Publicis, Areva, et Vivendi. Avec un curriculum vitae aussi fourni et trois enfants, pas le temps pour la politique. Pourtant, à cinquante-six ans, là voici prête à capitaliser sur une tradition familiale. Notamment inspirée par son père, maire, député et ministre du général de Gaulle pendant près d’une décennie, qu’elle raconte dans son premier roman, Un héros, paru en 2012.

“Je ne crois pas au déterminisme familial”, jure la fille de Maurice Herzog. Pourtant, dimanche dernier alors qu’il ne reste que quelques heures avant la clôture des dépôts de candidature, Félicité Herzog est bien là, à la préfecture, son ordinateur sur les genoux, en train d’écrire son programme. C’est peu dire qu’il faut se dépêcher : la campagne démarre officiellement le lendemain et tout doit être prêt avant minuit pour envoyer la propagande électorale chez l’imprimeur. Fin de journée, candidature déposée. Ça y est, la pro des fusions-acquisitions entre officiellement dans la campagne des législatives, et donc en politique. Mais quelle mouche a bien pu piquer cette femme élégante à la silhouette élancée ? “Emmanuel Macron et sa dissolution”, tout simplement. Rencontre avec une figure de la société civile qui, face à l’urgence, a décidé promptement de s’engager.

L’Express : Vous avez un curriculum vitæ impressionnant. Vous avez enchaîné les posts à haute responsabilité dans les plus grosses entreprises. La banque Lazard, JP Morgan, Publicis, Areva… Vous êtes aujourd’hui directrice de la stratégie et de l’innovation chez Vivendi. Honnêtement, pourquoi aller s’embourber dans ces élections ?

Félicité Herzog : Je n’avais pas du tout vu venir la dissolution qui m’a extrêmement choquée. Mais qui m’a également fait prendre conscience qu’il était peut-être temps de s’engager. C’est très confortable d’être dans une grande entreprise, mais ne rien faire m’aurait été impossible. Je n’avais jamais vu autant d’acrimonie dans la société française. Je connais Emmanuel Macron depuis 18 ans, je l’ai rencontré pour la première fois lorsqu’il était rapporteur à la commission Attali dont mon mari faisait également partie. On l’a d’ailleurs soutenu en 2017. Mais depuis, son mode de gouvernance a beaucoup changé. Le point de rupture se situe lorsqu’il a perdu sa majorité absolue en 2022 : il semble à ce moment-là s’être complètement isolé. Et ce que j’entends dans le milieu des affaires, c’est qu’Emmanuel Macron n’écoute plus personne. Le fait qu’il dissolve au moment même où le RN est extrêmement élevé est irresponsable. Toutes les dissolutions sont des échecs, ça ne fonctionne pas. Les précédentes avaient vocation à résoudre un problème. Celle-ci en crée un. Par ailleurs, plutôt que de mettre son sosie à Matignon, Emmanuel Macron aurait mieux dû y installer des poids lourds. Quelqu’un qui le complète, qui connaisse bien la politique locale. Un Gérard Larcher par exemple. Mais Macron ne supporte pas l’idée que quelqu’un puisse lui faire de l’ombre. Avant même que Gabriel Attal n’ait eu le temps de faire son discours de politique générale, il avait convoqué une grande conférence de presse où il a mis son premier ministre assis, aux côtés des autres ministres, alors que lui était debout, surélevé. Toute une symbolique.

Quand est-ce que vous avez pris la décision de partir en campagne ?

Tout s’est passé à vitesse folle, en quarante-huit heures. Pour tout vous avouer, j’ai pris ma décision le samedi matin, soit la veille du dépôt des listes. Bien sûr, la semaine qui a précédé a été marquée par de longues conversations avec François Baroin, qui est celui que j’ai appelé au lendemain de la dissolution pour l’informer que je souhaitais m’engager. Mais également avec mes proches. J’ai notamment demandé à mère si ça ne m’embêterait pas la famille que je sois candidate. Du haut de ses 98 ans et demi, elle m’a encouragée, en me disant “vas-y ne lâche rien”. Il a fallu également que je gère le côté professionnel. J’ai donc pris un congé électoral, car il existe une disposition qui permet de prendre 20 jours de congé pour des élections.

Comment constituer une équipe de campagne si rapidement lorsqu’on n’a aucune expérience politique ?

(Rire). Et bien on fait tout du début à la fin. C’est vraiment la start-up par excellence. J’ai commencé par recruter un conseil en communication qui connaît très bien le journalisme politique, parce que je ne connais que le journalisme littéraire. J’ai été aidée par l’équipe de François Baroin pour le graphisme et l’imprimerie. Mais j’ai fait mon programme toute seule en trois heures à la préfecture parce qu’il fallait être prêt le lundi 17 juin à 14 heures. J’ai trouvé un suppléant, un avocat qui est un ancien membre du conseil de l’ordre. Pour la petite anecdote : j’ai demandé au photographe qui a fait mes photos de mariage de rejoindre l’équipe. J’ai aussi embauché la community manager qui s’occupe des réseaux sociaux de mon dermatologue… Bref, tout est fait maison, mais rémunéré avec les comptes de campagne bien sûr (rires). Le plus gros problème a été d’imprimer les tracts. On a fini à deux heures du matin la mise en page dimanche. L’imprimeur nous a envoyé les exemplaires le mardi matin, tout juste à temps pour que la commission de propagande électorale approuve les documents.

Pourquoi avoir rejoint Les Républicains (LR) ?

J’ai une familiarité historique avec ce parti. Mon père a été neuf ans ministre du général de Gaulle. Il était proche de Chirac. Ça joue un rôle en termes d’imprégnation des valeurs. Mais je ne le fais pas simplement par déterminisme familial. Je pense également que les Républicains – sans le RN, car jamais je n’aurais rejoint ce parti si il y avait eu un accord – est justement la digue contre le RN. Comme le PS a longtemps été une digue contre l’extrême gauche. Les Républicains ont une carte à jouer. C’est un parti constitué de gens de qualités, qui ont certes fait des erreurs, mais qui restent compétents. Je me sens proche d’un programme qui soit républicain, qui remette tous les sujets régaliens au centre : la santé, l’éducation, la sécurité, le logement. Négliger ces sujets envoie les gens vers les extrêmes.

Les LR semblent divisés entre deux droites : une plus libérale, et une autre plus populaire, chiraquienne. Dans laquelle vous retrouvez-vous le plus ?

Je me situe sur une droite façon UDF : libérale, progressiste, mais avec des principes républicains de droite. Et surtout, décentralisatrice. Je n’aime pas la droite très jacobine. La France est beaucoup trop parisienne.

Pourquoi ne pas avoir rejoint Horizons, le parti d’Edouard Philippe, qui correspond à cette ligne, et dont l’avenir semble plus prometteur que celui des Républicains qui ont fait montre d’un spectacle peu glorieux après la dissolution…

Je croisais souvent Edouard Philippe lorsque je travaillais chez Areva, et c’est quelqu’un pour qui j’ai beaucoup d’admiration. Il a été un très bon premier ministre, même s’il a fait quelques petites bourdes, comme les 80 km/h (rires). Le problème est qu’il fait encore partie de la majorité présidentielle. Et je crois que le macronisme, qui au début nous a tous fait rêver, a échoué.

Votre père, Maurice Herzog était un ancien gaulliste, trouvez-vous que les républicains rendent honneur à celui dont ils revendiquent l’héritage ?

Très honnêtement, si l’ensemble du parti avait suivi Eric Ciotti dans son ralliement au Rassemblement national, jamais je ne les rejoins. Mais il y a des personnalités de très grande qualité chez Les Républicains. François Xavier, Valérie Pécresse, Bruno Retailleau que je ne connaissais pas vraiment, qui est très travailleur et agréable, même si plus à droite que moi. Le vrai sujet est que ce parti s’est fait complètement bousiller par Emmanuel Macron. Ces élections sont l’occasion de recréer quelque chose. Pour l’instant, les LR traversent une passe difficile, mais je pense que leur positionnement est bon. Ils tiennent une droite républicaine, nuancée, pro business, libérale mais décentralisatrice, attachée à l’Etat providence. C’est la seule droite dans laquelle je me retrouve.

Pourquoi avoir choisi la deuxième circonscription de Paris ? Ce n’est pas la plus simple. En 2022, Les Républicains sont arrivés troisième avec un écart de près de 10 points avec la Nupes. Cette année, la droite a beaucoup de candidats : un divers droite, et deux macronistes en raison de la dissidence de Gilles le Gendre (député sortant) et de l’investiture officielle d’un proche de Rachida Dati…

Je suis ici chez moi. J’habite dans le 7e arrondissement depuis dix ans, et j’y ai vécu quand j’étais étudiante à Sciences Po Paris. J’ai donc tout naturellement voulu me présenter ici, avec le soutien de mon ami François Baroin, pour porter la voix de la droite républicaine dans cette circonscription. Dans cette campagne, Rachida Dati essaie d’imposer sa loi à la fois chez Renaissance et chez les LR en faisant régner la terreur, en menaçant et en intimidant. Mais elle ne s’attendait pas du tout à ce que Gilles Legendre continue la course, et encore moins à ce que j’apparaisse. Dati se comporte comme une barbouze : coups de fils aux proches, agressions sur les marchés, affiches arrachées de nuit, pressions sur les journalistes. Elle a même dit à un de mes proches au téléphone : “Je ne l’épargnerai pas”. Elle terrorise les gens, elle est sans limite. Elle est furibonde parce qu’elle pensait avoir une maîtrise totale sur cette circonscription. Malheureusement pour elle, je n’ai peur de rien ni de personne. Je ne baisserai pas la tête et ne me laisserai pas intimider. Et ce comportement me conforte dans l’idée que nos responsables politiques doivent être exemplaires et appeler à la pacification des rapports sociaux. C’est en tout cas la raison pour laquelle je me suis engagée en moins de trois semaines. Dimanche soir, nous allons créer la surprise !

Vous qui avez travaillé dans la finance qui est un monde très dur, vous attendiez-vous à ce degré de violence en politique ?

Le monde des affaires peut en effet être extrêmement violent. Quand il y a des centaines de millions en jeu, voire des milliards, ça peut être d’une violence épouvantable. J’ai participé à des bagarres boursières monumentales. Pour ce qui est de la politique, je l’ai vraiment découverte cette semaine en faisant campagne. Je sais bien que ce n’est pas un monde de bisounours. Mais la grande différence avec le monde de la finance c’est que tout peut être très vite rendu public en politique.

Vous êtes à la pointe des questions de l’intégration et de la généralisation de l’IA dans la société. Cet enjeu a-t-il selon vous été délaissé ces dernières années ? Qu’est-ce qui pourrait être fait qui ne l’a pas été sous la législature précédente ?

Quand j’ai mis dans mon programme qu’il fallait faire entrer l’IA à l’école, tout le monde m’a dit “mais non c’est horrible, il faut garder le papier et le stylo”. Sauf que l’un n’exclut pas l’autre. L’IA va aider les jeunes, ceux qui n’ont par exemple pas d’aides à la maison. Mais on a pris énormément de retard : et ça, ce n’est pas que Macron, c’est également l’Europe, bien que Thierry Breton travaille activement sur le sujet. On n’a pas réussi à constituer de grand acteur dans l’IA. Bien sûr il faut avoir les LLM, ces fameux modèles qui permettent de répondre à des promptes, mais il y a aussi la question de l’hébergement sur le cloud. Considérant le nombre de très bons scientifiques que l’on a sur le territoire, Emmanuel Macron s’est réveillé un peu tard. Certes, il fait des commissions et des comités, mais il ne suit rien derrière. Il fait ça uniquement pour la com’. Et en attendant, rien n’avance.

Votre carrière professionnelle vous a conduit à vivre dans différents endroits du monde. Aux Etats-Unis, en Angleterre, en Russie également. Avez-vous un modèle économique et sociétal étranger qui vous inspire tout particulièrement ?

C’est difficile à dire parce qu’un pays est comme une personne : il concentre en lui-même de multiples facettes. Je ne peux pas dire qu’il y ait un pays qui soit la panacée. Mais il y a vrai problème en typiquement français : notre pays a du mal à s’adapter à la modernité. Et pourtant on a des gens très bien formés que l’on ne sait pas exploiter, et qui finissent par être recrutés par des grands acteurs de la technologie en Amérique du Nord. À cela, s’ajoute un problème de gouvernance politique et de société. La France croit qu’elle est une île, et a toujours un train de retard. Les gens qui disent vouloir voter pour les extrêmes qui veulent tout verrouiller et instaurer des mesures protectionnistes ne se rendent pas compte que la moitié de la dette publique française est détenue par des investisseurs étrangers et que nous sommes complètement dépendants de l’international. On ne peut pas faire autrement que de commercer avec les autres. Ce sont nos partenaires. Je pense que le protectionnisme nous conduirait tout droit vers une récession. Il faut en revanche protéger une forme de souveraineté sur des secteurs essentiels. D’autant que l’Amérique du Nord et l’Asie ne se gênent pas pour le faire.

Une partie de la gauche remet en question l’usage du nucléaire. En ayant travaillé chez Areva, cette idée ne vous semble-t-elle pas délirante ?

J’étais chez Areva à l’époque de la renaissance du nucléaire et les écolos tapaient dur. Pourtant, conserver ce capital français qui nous vient de l’après-guerre me paraît essentiel. On a une chance folle d’être en capacité de produire du nucléaire civil et militaire. D’autant que l’abandonner serait une ineptie sur le plan écologique dans la mesure où il s’agit de la seule énergie décarbonée. La question des déchets sera réglée par le progrès scientifique et technique. En outre, il s’agit d’une énergie que l’on peut exporter en plus. Ce qui ne nous empêche pas de développer le photovoltaïque, de faire un peu d’éolien en mer, pas dans les campagnes par contre, parce que ça ruine les paysages français. En attendant, Il faut avoir une politique claire. Les va-et-viens de ces dernières années ont considérablement altéré les capacités de production et d’ingénierie. Les arrêts font perdre en capacités humaines : les ingénieurs vont dans la finance, les ouvriers partent dans une autre industrie.