Immigration illégale : pourquoi les mesures promises par le RN sont inapplicables

Immigration illégale : pourquoi les mesures promises par le RN sont inapplicables

Fin avril 2024, Marine Le Pen se déplace à Mayotte, quatre jours après le lancement de l’opération place nette visant à lutter contre l’insécurité et l’immigration irrégulière. Face aux habitants, elle promet de “tordre le cou” à l’immigration venue des Comores. L’année précédente déjà, sur le plateau de BFMTV, Jordan Bardella proposait de “suspendre les transferts de fonds privés vers les Comores […] et l’aide au développement aux Comores tant qu’ils refusent de reprendre leurs ressortissants”.

En France, le taux de réalisation des obligations de quitter le territoire français (OQTF) est d’environ 10 % en 2022. Ces propositions du RN ont pour objectif de faire fléchir les pays, dont le Maroc et l’Algérie notamment, qui refusent d’accueillir leurs ressortissants étrangers, expulsés du territoire français. Sont-elles applicables ?

“Risque juridique sérieux”

“Juridiquement, suspendre les aides au développement ne pose pas de problème”, indique Benjamin Morel, maître de conférences en droit public et constitutionnaliste. Celles-ci sont votées dans le budget chaque année. Elles représentent près de 15 milliards d’euros en 2022, et sont gérées par le Quai d’Orsay et Bercy.

Le gel des transferts de fonds privés vers les pays étrangers, lui, pourrait entrer en violation avec le droit de l’Union européenne. L’article 63 du Traité de Lisbonne interdit “toutes les restrictions aux mouvements de capitaux et aux paiements entre les Etats membres ainsi qu’entre les Etats membres et les pays tiers.”

Quelques exceptions persistent, comme des motifs “liés à l’ordre public ou à la sécurité publique”, mais surtout “des sanctions financières afin de prévenir et de combattre le terrorisme ou sur la base de décisions adoptées dans le cadre de la politique étrangère et de sécurité commune”. Ce qui a permis de geler les transferts de capitaux russes à la suite de l’invasion en Ukraine.

Flux informels

“Il y a un risque juridique sérieux, ajoute le constitutionnaliste. Cela pourrait relever d’une atteinte à la vie privée et familiale et poser problème au Conseil constitutionnel et à la Cour européenne des droits de l’homme.” D’autant que la mesure pourrait se révéler insuffisante. La moitié des flux circuleraient de manière informelle selon la Banque mondiale, les rendant plus difficiles à tracer pour les autorités.

“La question qui se pose est celle de l’application de la loi française, pense Benjamin Morel. Comment peut-on obliger les Etats à rapatrier leurs ressortissants ?” Fin 2021, la France avait divisé par deux le nombre de visas accordés aux ressortissants marocains. La tentative de pression – parfois aussi évoquée du côté du RN – avait entraîné une brouille diplomatique avec Rabat. Avant que le gouvernement français ne rétropédale, deux ans plus tard, en levant l’ensemble des restrictions.

Accélérer les expulsions en France

Dans une proposition de loi, déposée fin 2022, le parti d’extrême droite propose aussi d’accélérer l’expulsion à la suite d’une OQTF en abaissant le délai de départ volontaire à quarante-huit heures.

La mesure est inapplicable en l’état puisqu’elle rentrerait en violation du droit de l’Union européenne. Ce dernier prévoit que “lorsqu’un Etat prend une mesure d’éloignement, le ressortissant a un délai de départ volontaire de sept à trente jours”, explique Marie-Laure Basilien, professeure de droit public à l’Université Lyon 3. En France, ce délai est de trente jours, sauf quand l’OQTF est délivrée sans délai de départ volontaire, en cas de “trouble à l’ordre public, de refus de délivrance d’un titre de séjour ou en cas de demande estimée infondée”, donne-t-elle en exemple.

Une personne en situation irrégulière “doit avoir le temps d’introduire un recours – ce qui est reconnu par les instruments internationaux et européens de protection des droits humains – contre la mesure d’éloignement, notamment s’il y a un risque de refoulement”, complète la professeure de droit public.

Le RN souhaite aussi que les OQTF soient élargies aux mineurs. “On n’a pas le droit de les renvoyer seuls, c’est une violation essentielle de protection des droits de l’enfant”, assure Marie-Laure Basilien, ainsi qu’en dispose la Convention internationale des droits de l’enfant. Seul le président de la République, garant des traités internationaux, peut dénoncer une telle convention. “Toutefois, il peut être éloigné avec ses parents s’ils sont tous les deux expulsés”, précise la loi française.