Immunité de Donald Trump : l’inquiétude de Joe Biden

Immunité de Donald Trump : l’inquiétude de Joe Biden

La Cour suprême américaine à majorité conservatrice a étendu, lundi 1er juillet, l’immunité pénale du président, une victoire pour Donald Trump dont le procès fédéral est une nouvelle fois retardé, tandis que son adversaire Joe Biden a dénoncé un “dangereux précédent”.

En décidant le 28 février de se saisir de cette question, puis en fixant les débats près de trois mois plus tard, la plus haute juridiction des Etats-Unis avait déjà considérablement différé le procès fédéral de l’ex-président républicain pour tentative d’inverser illégalement les résultats de l’élection de 2020 remportée par Joe Biden.

Par une majorité de six voix contre trois – les juges conservateurs contre les progressistes – la Cour considère que “le président ne jouit d’aucune immunité pour ses actes non officiels” mais qu’il “a droit au moins à une présomption d’immunité pour ses actes officiels”. Au nom de la majorité, le président de la Cour, John Roberts, motive cette décision par des “principes constants de séparation des pouvoirs”. La Cour renvoie donc le dossier au tribunal de première instance pour déterminer quels actes sont potentiellement immunisés de poursuites pénales. A charge pour l’accusation de démontrer qu’ils ne le sont pas lorsqu’ils ont été accomplis dans l’exercice de ses fonctions.

“Un dangereux précédent”

Donald Trump s’est félicité d’une “décision historique”, assurant qu’elle invalidait l’essentiel des charges dans les quatre procédures pénales contre lui. Lors d’une allocution télévisée, Joe Biden a lui dénoncé une décision qui crée un “dangereux précédent”, car les pouvoirs de président “ne seront plus limités par la loi”.

Par cette jurisprudence, Donald Trump sera “enhardi à faire ce qu’il veut, quand il veut” en cas de victoire à la présidentielle de novembre, a estimé son adversaire démocrate.

Pour le sénateur démocrate Richard Blumenthal, la Cour a tout simplement accordé “un permis d’autoritarisme” aux présidents. “Mon estomac se retourne de peur et de colère à l’idée que notre démocratie puisse être à ce point mise en danger par une Cour hors de contrôle”, dont les membres conservateurs seront perçus “à juste titre […] comme des politiciens en robe de magistrat”, a-t-il écrit.

L’élue démocrate Pramila Jayapal a également jugé qu’il s’agissait d’une décision “choquante” et “désastreuse, qui pourrait avoir de graves conséquences sur notre démocratie”. La Cour “affaiblit considérablement” la possibilité de faire rendre des comptes à un président s’il “essaie d’utiliser son poste dans un but criminel”, a-t-elle estimé.

Sa collègue Alexandria Ocasio-Cortez a indiqué sur X qu’elle entendait lancer une procédure de destitution contre certains des juges pour tenter d’obtenir le départ de ces magistrats nommés à vie. Une initiative qui n’a toutefois aucune chance d’aboutir.

The Supreme Court has become consumed by a corruption crisis beyond its control.

Today’s ruling represents an assault on American democracy. It is up to Congress to defend our nation from this authoritarian capture.

I intend on filing articles of impeachment upon our return.

— Alexandria Ocasio-Cortez (@AOC) July 1, 2024

Un “Roi”

Au-delà du cas de Donald Trump, cette décision “redéfinit l’institution de la présidence” en transformant son titulaire en “roi au-dessus des lois dans chaque usage de son pouvoir officiel”, écrit la juge Sonia Sotomayor, dans son avis de désaccord auquel se joignent ses deux collègues progressistes. “Quand le président le fait, ça veut dire que ce n’est pas illégal”, ironise sur X John Dean, conseiller juridique de la Maison-Blanche au moment du scandale du Watergate en 1974, citant la ligne de défense du président de l’époque Richard Nixon. “Confirmé par la Cour suprême des Etats-Unis en 2024”, conclut-il.

Selon Steven Schwinn, professeur de droit constitutionnel à l’Université de l’Illinois à Chicago, “dans la mesure où Donald Trump essayait de faire traîner le dossier jusqu’à après l’élection, il a totalement réussi”. La décision “va gravement entraver les poursuites contre un ex-président puisque ses actions officielles et non officielles sont si souvent entremêlées”, s’inquiète-t-il.

Faute de véritable procès avant le vote, “il pourrait y avoir des audiences détaillées sur les faits incriminés dans l’acte d’accusation pour déterminer sur lesquels joue l’immunité, ce qui permettra de rappeler à la population tous les actes de Trump et les événements du 6 janvier” 2021, souligne néanmoins l’ex-procureur fédéral et professeur de droit pénal Randall Eliason.

L’ensemble de la procédure en vue de ce procès, initialement prévu à partir du 4 mars, était déjà suspendue depuis quatre mois.

“Pour la postérité”

Lors des débats, si les juges s’étaient montrés généralement sceptiques face à l’immunité absolue revendiquée par Donald Trump, plusieurs avaient insisté sur les répercussions à long terme de leur décision. “Nous rédigeons une règle pour la postérité”, avait ainsi observé le conservateur Neil Gorsuch, en référence au caractère inédit de la question.

Visé par quatre procédures pénales, Donald Trump fait feu de tout bois pour passer en jugement le plus tard possible, en tout cas après le scrutin présidentiel. Reconnu coupable le 30 mai par la justice de New York de “falsification comptable aggravée pour dissimuler un complot visant à pervertir l’élection de 2016”, il connaîtra le 11 juillet sa peine.

Mais selon plusieurs médias américains, les avocats de Donald Trump ont envoyé lundi une lettre au juge dans cette affaire, pour revenir sur la condamnation et repousser le prononcé de la peine à la lumière de la décision de la Cour suprême. Cette première condamnation pénale, inédite pour un ancien président américain, sera selon toute probabilité la seule avant le vote.

A force de recours, les avocats de Donald Trump sont parvenus à repousser jusqu’à nouvel ordre les autres procès, au niveau fédéral pour rétention de documents classifiés après son départ de la Maison-Blanche et devant la justice de l’Etat clé de Géorgie (sud-est) pour ingérence électorale en 2020. S’il était de nouveau élu, il pourrait, une fois investi en janvier 2025, ordonner l’arrêt des poursuites fédérales à son encontre.