Jean-François Lamour et les JO de Moscou en 1980 : “Les Jeux les plus tristes auxquels j’ai participé”

Jean-François Lamour et les JO de Moscou en 1980 : “Les Jeux les plus tristes auxquels j’ai participé”

Il faut s’imaginer ce que représente pour un sportif de haut niveau une préparation pour les Jeux olympiques. Il y a évidemment l’engagement physique, l’épuisement, les sacrifices et les concessions à une vie normale. Et puis, il y a cette charge mentale, le poids de l’événement et de l’histoire qui imperceptiblement pèsent de plus en plus lourd au fil des semaines.

En 1980, j’ai 24 ans et je n’oublierai jamais ce printemps, interminable, les longues heures d’entraînement, la frustration grandissante, l’attente intenable. J’ai déjà remporté trois fois les championnats de France de sabre et je ne sais toujours pas si je pourrai participer à mes premiers Jeux. Non pas à cause de mes performances, même si à l’époque je ne pointe pas parmi les premiers de la classe mondiale. Mais parce que la géopolitique et la guerre se sont une nouvelle fois invitées aux Jeux.

En décembre 1979, l’URSS a envahi l’Afghanistan et en rétorsion, une grande partie du clan occidental, Etats-Unis en tête suivis par l’Allemagne de l’Ouest, ont décidé de boycotter les Jeux de Moscou. Une voix toujours à part, la France hésite. Et le président Valéry Giscard d’Estaing tergiverse. Les semaines s’étirent, insupportables. Comme le sont les séances d’entraînement sans savoir si je pourrai finalement m’envoler pour la capitale soviétique. Au sein de la Fédération française d’escrime, l’air est irrespirable, deux camps s’opposent et le directeur technique balaie d’un revers de la main mes inquiétudes et mon angoisse. A un journaliste qui m’interroge sur cette situation ubuesque, je rétorque, agacé, qu’on ne peut pas jouer avec 4 ans de la vie d’un sportif. Une déclaration qui me vaut une convocation à l’Elysée où un conseiller de Giscard m’explique sévèrement que je n’avais rien à dire, qu’importe la décision du président. Un mois à peine avant le début des compétitions, l’Elysée tranche enfin : la France participera bien aux Jeux de Moscou.

De toutes les olympiades auxquelles j’ai participé, elles seront de loin les plus tristes. Un ciel bas et gris, des athlètes parqués dans un village olympique austère où tout contact avec la population et la jeunesse étaient interdits. Ces Jeux seront à l’image de la déliquescence du régime soviétique. Nous n’avons pas défilé. Comme à chaque olympiade, l’escrime française a brillé dans les compétitions mais lors des cérémonies de remise des médailles, le drapeau français n’a jamais été hissé ; la Marseillaise jamais entonnée. Et moi, pour mes premiers Jeux, je n’ai remporté aucun titre.

* Jean-François Lamour est double champion olympique au sabre (1984 et 1988) et porte-drapeau de la délégation française en 1992. Il fut également ministre des Sports de 2002 à 2007 ?