La fin des péages routiers ? Sur les autoroutes, la révolution technologique du flux libre

La fin des péages routiers ? Sur les autoroutes, la révolution technologique du flux libre

Rallier la Côte Fleurie d’une traite, sans perdre de temps à sortir sa carte bleue ? Voilà de quoi faire rêver les 8 millions d’automobilistes qui circulent chaque année sur l’axe Paris-Normandie. Le gestionnaire des autoroutes du nord et de l’est de la France, autrement dit Sanef, prépare les 210 kilomètres de l’A14 et de l’A13 à une petite révolution : la suppression des barrières de péage au profit d’un système dit “en flux libre”. Pour l’A14, la bascule aura lieu dans la nuit du 18 au 19 juin. Pour l’A13, le gros morceau, il faudra patienter jusqu’au mois de décembre.

Fini les ralentissements à l’approche des bornes, l’audacieuse marche arrière de celui qui s’est trompé de file, la recherche nerveuse de son portefeuille sous la pression de la voiture de derrière, l’extension – parfois acrobatique – du bras à travers la fenêtre. Arnaud Quémard, le directeur général de Sanef, voit d’autres atouts encore à ce projet, un investissement de 120 millions d’euros validé par l’Etat en 2021 : “La technologie de péage en flux libre permet de fluidifier la circulation, explique-t-il, avec à la clé des économies de carburant – estimées à 9,5 millions de litres par an – et de CO2 – 25 000 tonnes. La suppression des barrières va aussi permettre de rendre 28 hectares à la nature d’ici 2027”. L’équivalent de 40 terrains de football.

Ces 14 chantiers menés de front sont un défi inédit pour Sanef. Les trois quarts du montant investi sont consacrés au réaménagement de la route, qui n’aura plus besoin d’être élargie pour les besoins des barrières. La société teste le système depuis 2019 sur une portion de l’A4, à l’est de Metz. Son concurrent APRR l’expérimente aussi depuis 2022, sur les 88 kilomètres de l’A79, dans l’Allier.

Capteurs intelligents

Concrètement, l’automobiliste file sans entrave, à 130 kilomètres heure, et passe sans y penser sous des portiques équipés de capteurs intelligents capables de détecter le véhicule et sa catégorie – léger, lourd, moto – selon les informations données par la plaque d’immatriculation. Une trentaine d’arches enjamberont les axes de Paris jusqu’à Caen, aller-retour.

On en oublierait presque de payer. Mieux vaut s’en souvenir néanmoins, car la facture peut vite s’alourdir pour les contrevenants. L’usager de la route dispose de 72 heures pour s’en acquitter, avec trois possibilités. S’abonner au télépéage – à condition de fixer le badge sur son pare-brise de façon bien visible plutôt que de le planquer dans sa boîte à gants. La moitié des clients de Sanef ont déjà fait ce choix, et sa filiale spécialisée Bip & Go s’attend à voir ses ventes bénéficier du passage au flux libre.

Deuxième option, se rendre sur le site Sanef.com et régler en ligne, après avoir entré le numéro de sa plaque d’immatriculation. En créant un compte, il est possible d’associer ses coordonnées bancaires et de demander un prélèvement automatique. Troisième voie, pousser la porte d’un buraliste agréé, grâce au partenariat noué avec Nirio, filiale de la Française des Jeux – le seul moyen pour les inconditionnels du cash de se mettre règle. Ils seront 10 000 points de vente en fin d’année à proposer ce service. Pour informer tous ses clients, le concessionnaire a dû mener sa première campagne de publicité, travailler de concert avec les loueurs de véhicules, les collectivités, les Medef locaux, les associations d’automobilistes.

Le prix d’une nuit à Cabourg

Que se passe-t-il en cas d’oubli – fortuit ou volontaire ? Passé soixante-douze heures, “Sanef consulte le fichier national des immatriculations pour récupérer les coordonnées du propriétaire du véhicule, lequel recevra par voie postale, à l’adresse qui figure sur sa carte grise, un avis de paiement”, explique Joselito Bellet, responsable du projet flux libre du gestionnaire. Au prix du péage s’ajoute alors une majoration de 90 euros, ramenée à 10 euros si l’étourderie est réparée dans les deux mois.

“Nous sommes conscients qu’il faut laisser du temps aux clients pour comprendre ce nouveau système. La première fois, nous enverrons un courrier de sensibilisation en accordant un délai sans majoration”, indique Joselito Bellet. Un avertissement sans frais, en somme. “Notre business model ne repose pas sur les recettes perçues sur les majorations, nous préférons que le client procède à son règlement dans les 72 heures”, ajoute-t-il. Au terme des deux mois accordés, l’affaire se complique. “Pour Sanef, le chiffre d’affaires est perdu et nous transmettons le non-paiement du péage au Tribunal de police, qui peut alors le transformer en amende de 375 €”. Le prix d’une nuit dans la suite familiale du Grand Hôtel de Cabourg.

Coup d’œil des experts

De son côté, Sanef n’a pas le droit à l’erreur. L’envoi d’un avis de paiement à un conducteur innocent ou à un tarif erroné, et c’est la crédibilité du système qui est entamée. “Le service automatique est fiable à plus de 99 %”, affirme Joselito Bellet. En cas de doute, par exemple si la plaque est difficilement lisible, un opérateur prend la main. La photo du véhicule correspond-elle aux caractéristiques identifiées par les capteurs ? D’un coup d’œil expert, ces anciens employés des péages reconvertis dans les centres de relation client valideront ou non l’opération.

Pour Arnaud Quémard, ce changement technologique ouvre de nouvelles perspectives. “Quand on passe en flux libre, il devient possible de mettre en œuvre une plus grande diversité de tarifications”. En fonction de ses orientations futures, l’Etat pourrait décider de moduler les prix selon le nombre de personnes dans le véhicule, son poids ou son niveau d’émissions de CO2. A l’échelle de Sanef, l’enjeu est tout aussi important. “Ce projet est fédérateur et démontre la dynamique de l’entreprise. Il nous a déjà permis de garder des talents et d’attirer des gens de très haut niveau technique”, constate le directeur général. A l’approche de la fin des concessions, en 2031, il illustre la capacité d’innovation du groupe. Un argument pour plaider le renouvellement du contrat, le moment venu.