“La recherche et l’innovation thérapeutique ne sont pas compatibles avec un repli identitaire”

“La recherche et l’innovation thérapeutique ne sont pas compatibles avec un repli identitaire”

Nous voulons exprimer notre inquiétude concernant la possibilité de conduire une recherche scientifique et médicale ambitieuse dans notre pays en cas de victoire de l’extrême droite aux législatives. En effet, l’absence totale de programme clair du Rassemblement national (RN) sur la science et l’innovation indique le peu d’intérêt des cadres de ce parti pour la recherche, qu’elle soit fondamentale ou clinique, c’est-à-dire orientée vers la découverte de médicaments innovants pour traiter des patients gravement malades.

De plus, les prises de position polémiques et complotistes lors de la pandémie de Covid-19 laissent présager du pire concernant l’ouverture vers une recherche ouverte et fondée sur les preuves. Le repli identitaire prôné par le RN qui place au cœur de son programme la préférence nationale est incompatible avec les nombreux échanges internationaux, la formation d’étudiants étrangers, l’obtention de financements européens ainsi que les partenariats académiques et industriels indispensables pour permettre des avancées scientifiques majeures, notamment dans la prise en charge des cancers graves qui continuent de tuer plus de 150 000 personnes par an en France.

A titre d’exemple, c’est l’obtention de financements publics et privés importants, alloués de façon indépendante de leur applicabilité immédiate, et les échanges entre chercheurs et médecins de différentes nationalités qui ont rendu possible, après plusieurs années de recherche fondamentale, la découverte dans un laboratoire marseillais d’une nouvelle molécule capable de diriger les lymphocytes NK (Natural Killers) contre les cellules cancéreuses.

“La France ne peut pas prendre le risque de s’isoler”

Le laboratoire pharmaceutique ayant acquis la molécule a choisi Marseille parmi d’autres villes et pays européens ou américains pour piloter et réaliser l’étude clinique de première administration chez l’Homme, afin de faire ensuite bénéficier ce traitement à des patients atteints de leucémies graves à travers le monde. Neuf patients de la région PACA parmi la soixantaine de malades au total ont été traités et ont pu, pour certains d’entre eux, obtenir des rémissions complètes. Ces résultats viennent d’être portés à la connaissance des confrères médecins et chercheurs internationaux lors du Congrès européen d’hématologie à Madrid en juin 2024.

Cette aventure est possible uniquement grâce à un pari fait sur les échanges, la créativité, l’indépendance, le savoir-faire et la technicité des centres experts marseillais ainsi que la confiance de nos partenaires internationaux. Malgré des difficultés de plus en plus importantes ces dernières années pour maintenir le cap de la recherche, nous pensons qu’une victoire du RN aboutirait à une baisse des financements pour des projets d’envergure permettant de préserver notre attractivité.

La France ne peut pas prendre le risque de s’isoler et de perdre sa place dans la compétition internationale de la recherche biomédicale. Nous voulons être toujours en mesure de travailler avec nos tutelles et nos partenaires pour obtenir les moyens qui nous permettent de continuer à transformer les résultats de la recherche fondamentale en médicaments innovants pour une meilleure prise en charge des malades.

Ainsi, pour faire entendre la voix des chercheurs et des scientifiques, parmi les acteurs marseillais issus de la culture, de l’art, du social, de l’éducation, de la justice dont l’avenir est également menacé par une politique de repli nationaliste, nous avons créé un collectif “Les Voix de Marseille” indépendant de toute prise de position partisane, qui appelle à lutter contre l’abstention et faire barrage au vote d’extrême droite. Nous entendons faire entendre nos voix aujourd’hui et dans la durée pour dénoncer les risques qui accompagneraient une victoire du RN dans ces élections.

*Sylvain Garciaz, hématologue, Maitre de Conférence des Universités ; Eric Vivier, Professeur d’immunologie, Centre d’immunologie de Marseille Luminy, président du Paris Saclay Cancer Cluster ; Dominique Maraninchi, Professeur de cancérologie, ancien directeur de l’Agence nationale du médicament et des produits de santé.