L’abandon de Biden n’est plus exclu après son débat catastrophique contre Trump

L’abandon de Biden n’est plus exclu après son débat catastrophique contre Trump

On le sait depuis 1960 et l’affrontement télévisé entre le fringant John Fitzgerald Kennedy et le pâle et mal rasé Richard Nixon : dans les débats sur petit écran, la forme compte autant que le fond. L’impression qui se dégage des orateurs, leurs attitudes, leurs mimiques, leurs poses sont des éléments plus puissants que leurs paroles. Sur ces critères, le débat Trump-Biden, du jeudi 27 juin, a confirmé les craintes du camp démocrate. Il s’est révélé catastrophique pour le locataire de la Maison-Blanche.

Face à Donald Trump, il est apparu fragile, hésitant, confus, parfois bégayant. Son adversaire et prédécesseur républicain paraissait affûté, vif, maître de son discours et même “présidentiel”, voire solennel, en dépit d’une cinquantaine de mensonges et contrevérités assénés au fil d’un duel d’une heure trente où les noms d’oiseaux ont volé. “Il a la moralité d’un chat de gouttière !” a tancé Joe Biden après avoir évoqué la relation du républicain avec une star du porno [NDLR : Stormy Daniels] alors que sa femme [Melania] était enceinte”. Le 30 mai dernier, le jury pénal de Manhattan avait déclaré à l’unanimité Donald Trump coupable de 34 délits de falsifications de documents comptables pour cacher le paiement de 130 000 dollars à la star de films X juste avant la présidentielle de novembre 2016.

Un “cauchemar pour les démocrates”

“La prestation de Biden est un cauchemar pour les démocrates”, a réagi le média en ligne The Hill. “Car s’il y a bien une chose que les démocrates voulaient voir du côté du président Biden, c’était la force. Ils espéraient qu’il crucifie l’ancien président Trump sur la question de l’insurrection du Capitole le 6 janvier 2021, et sur l’avortement, sur ses affaires judiciaires. Au lieu de cela, c’est Biden qui a été mis K.-O.”

Dès le début, Joe Biden s’est emmêlé dans une phrase en confondant le “Medicare” [NDLR : l’assurance santé] qu’il dit “avoir terrassé”… et le Covid-19. Reprenant la parole après cette gaffe, Donald Trump s’est contenté de dire tranquillement : “Je ne sais vraiment pas ce qu’il a dit à la fin de cette phrase. Je ne pense pas non plus qu’il sache ce qu’il a dit.”

Habile tout au long du débat, Donald Trump s’est abstenu d’attaquer trop grossièrement Joe Biden sur son état physique et son âge. C’était inutile et cela aurait été mal vu par les téléspectateurs. On ne tire pas sur une ambulance, pour reprendre les mots de Françoise Giroud, la cofondatrice de L’Express. D’autant que les images parlaient d’elles-mêmes : les plans de coupe sur Joe Biden lorsqu’il ne parlait pas étaient dévastateurs pour lui. Tantôt le président de 81 ans avait l’air hagard, tantôt il avait la tête baissée dans ses notes. La posture de Donald Trump, elle, faisait penser à un gladiateur.

“Ne nous comportons pas comme des enfants”

Ce dernier est pourtant à peine moins âgé – il n’a que trois ans de moins. Mais le contraste était indéniable. Le républicain avait l’air concentré, en forme physique, vif. Interrogé sur son âge, le président Biden a répondu à côté. Trump, sur la même question, s’est vanté d’avoir un swing de golf impeccable avant que Biden, fanfaron, ne lui dise qu’il le battrait sur un “green” à n’importe quel moment – ce qui semblait peu crédible. La séquence s’est terminée – c’est le monde à l’envers ! – par une leçon de sagesse de Trump au président Biden : “Allons, ne nous comportons pas comme des enfants !” (“Let’s not act like children”, dans le texte). A la limite du ridicule, ce curieux moment a irrésistiblement fait penser à l’échange entre François Mitterrand et Jacques Chirac en 1988, parlant du prix des boîtes de pâtés pour chiens. Ainsi vont les débats présidentiels…

A l’heure de conclure, Joe Biden, butant encore sur les mots, a évoqué les impôts et les gardes d’enfants alors que Trump, prenant de la hauteur, dans une tirade mieux structurée, a parlé des défis plus globaux tels que les guerres à Gaza et en Ukraine, l’image des Etats-Unis dans le monde et – comme Biden – des impôts. Aussitôt après la retransmission du débat, la Maison-Blanche s’est sentie obligée d’expliquer que la faiblesse de Biden s’expliquait par un rhume… La vice-présidente Kamala Harris a reconnu que le président avait eu un “démarrage lent” mais qu’il avait “terminé fort”. Ce qui n’est pas exact. L’ancien conseiller de Barack Obama, David Axelrod, a été plus cassant : “Il semblait un peu désorienté. Il est devenu plus fort au fur et à mesure que le débat avançait. Mais, je pense que la panique s’est installée chez les démocrates.” Et de prédire : “Des discussions vont s’ouvrir sur la question de savoir si Biden doit continuer ou jeter l’éponge.”

Joe Biden et Donald Trump lors de leur débat à Atlanta (Géorgie), le 27 juin 2024

Les deux candidats avaient énormément à perdre jeudi soir. Et c’est clairement Biden qui a perdu le plus. Pourtant, c’est lui qui avait réclamé cette confrontation afin de couper court au débat persistant et délétère sur son état physique. Comme d’aucuns l’avaient pressenti, le résultat obtenu est l’inverse de celui espéré. La question de son remplacement ne peut plus être éludée. Le cas de figure est même prévu par le 25e amendement de la Constitution. En cas d’incapacité mentale ou physique du chef de l’Etat, les 15 membres du “cabinet de la Maison-Blanche”, c’est-à-dire le gouvernement, peuvent voter à huis clos pour mettre fin à ses fonctions.

“Personne ne peut obliger Joe Biden à renoncer à être candidat”, note toutefois Françoise Coste, historienne et auteure de Reagan (éd. Perrin), une biographie du président qui fut l’inventeur du slogan “Make America Great Again”. “Il faut qu’il le décide de son propre chef.” Certes, nous n’en sommes pas là, mais la pression médiatique et les pressions internes au Parti démocrate pourraient l’inciter à agir dans ce sens. En fait, la personne la mieux placée pour convaincre Joe Biden de céder sa place est son épouse Jill. “Il est cependant probable qu’elle pense à la santé de son mari en se disant qu’un abandon de la vie politique lui retirerait sa raison de vivre, accélérerait son vieillissement et, peut-être, la date de sa mort.”

En cas de désistement de Biden, il faut faire vite car la convention du Parti démocrate mi-août est l’ultime date à laquelle un tel rebondissement est encore possible. “Ce ne sont pas les talents qui manquent chez les démocrates, il y a une kyrielle de gouverneurs compétents prêts à se lancer”, explique le politologue Whit Ayres. Parmi eux : le gouverneur de Californie Gavin Newsom, 56 ans ; Josh Shapiro (Pennsylvanie), 51 ans ; Gretchen Whitmer (Michigan, la seule femme), 52 ans ; Jared Polis (Colorado), 49 ans, ou Andy Beshear (Kentucky), 46 ans. Resterait alors quatre mois pour constituer un nouveau ticket présidentiel et mener une campagne éclair qui aurait de bonnes chances de déstabiliser Trump. Un scénario fou mais pas totalement exclu. Selon un sondage de CNN, 67 % des Américains contre 33 % estiment que Trump a dominé le débat avec Biden, qui aurait 86 ans à la fin de son éventuel second mandat.