L’Allemagne, le pays aux trois chanceliers : les limites de la “coalition de progrès”

L’Allemagne, le pays aux trois chanceliers : les limites de la “coalition de progrès”

Olaf Scholz n’est pas du genre à enflammer les foules. Ton monolithique, visage marmoréen, il est même plutôt… ennuyeux. Ce 10 mars 2023, pourtant, devant un parterre de journalistes, le chancelier allemand est enjoué. Bientôt, annonce-t-il, le pays connaîtra un nouveau “Wirtschaftswunder” (miracle économique). Comme durant les décennies dorées (1950-1960). Un an plus tard, l’Allemagne est en récession et une pluie de critiques s’abat sur Scholz. Pas de miracle, donc, mais le pire bilan économique depuis les années Schröder. Inflation, crise de l’énergie et du logement, démographie en berne… Les indicateurs clignotent au rouge, même si Berlin, peu endetté, garde une marge de manœuvre financière que beaucoup lui envient.

Encore faudrait-il pouvoir agir. “Les trois partis au pouvoir [NDLR : sociaux-démocrates, verts et libéraux] ne s’entendent sur rien, critique un fin observateur, à Bruxelles. Tout est bloqué et le restera jusqu’aux élections fédérales, en 2025.” Un boulevard pour l’extrême droite (AfD), qui pourrait bientôt devenir le deuxième parti du pays. L’Allemagne est-elle malade ? C’est hélas notre diagnostic et c’est une très mauvaise nouvelle. Car face à une Russie belliqueuse et à l’heure d’un possible retour de Trump, l’Europe a, au contraire, besoin d’une Allemagne forte.

EPISODE 1 – En Allemagne, l’AfD toujours plus extrême et toujours plus… populaire

EPISODE 2 – Guerre en Ukraine : Olaf Scholz, une diplomatie peu lisible qui agace l’Elysée

EPISODE 3 – Trains défaillants, ponts en mauvais état… L’Allemagne, un pays à reconstruire

EPISODE 4 – En Allemagne, la fin d’une époque dans l’histoire du dialogue social

EPISODE 5 – Le modèle économique allemand prend l’eau… Jusqu’à quand ?

EPISODE 6 – Secouée par la guerre en Ukraine, l’armée allemande peine à se transformer

Parfois, il ressent un besoin pressant de rappeler aux Allemands qu’il est le chef du gouvernement. “Le chancelier, c’est moi”, déclarait Olaf Scholz début mars pour imposer son nein à ses deux alliés, les écologistes et les libéraux, sur des livraisons de missiles de croisière Taurus aux Ukrainiens.

Mais le chancelier social-démocrate ne tape jamais du poing sur la table. Tel un instituteur qui a perdu son autorité sur ses élèves, le chancelier a laissé le champ libre à ses ministres pour régler leurs comptes en public. Depuis plus de deux ans, Robert Habeck, le ministre écologiste de l’Economie et du Climat, et Christian Lindner, le ministre libéral des Finances, profitent de cette liberté d’expression pour se tacler par médias interposés.

Trois partis au pouvoir, autant de divisions

Il est vrai que le démarrage de cette “coalition de progrès”, sortie péniblement des urnes en 2019, ne s’est pas fait sous les meilleurs auspices. La guerre en Ukraine a changé la donne en remettant complètement à plat le “contrat de coalition” signé quelques mois plus tôt. Tous les projets de modernisation des infrastructures, mais aussi la transition énergétique, ont été remis en question par l’agression russe.

Réarmement de la Bundeswehr (l’armée allemande), prolongation temporaire du nucléaire, réouverture de centrales au charbon, commande de gaz de schiste aux Américains… autant de sujets qui ont divisé ministres sociaux-démocrates (SPD), écologistes (Die Grünen) et libéraux (FDP). Difficile pour Scholz de mettre d’accord des gens qui ont une conception très différente, voire complètement opposée, de l’Etat.

Quand les Verts veulent la TVA sur le kérosène, des zones à 30 kilomètres-heure dans les villes ou la suppression du “frein à la dette”, les libéraux préconisent une baisse des impôts, le maintien de la vitesse illimitée sur les autoroutes, le retour à la discipline budgétaire, la réouverture des centrales nucléaires et prennent l’Europe en otage pour imposer le maintien du moteur thermique à Bruxelles.

Le libéral Christian Lindner, aux Finances, accuse les “Grünen” d’être le “parti des interdictions”. L’écolo Robert Habeck, à l’économie, peste contre le FDP qui “freine le progrès” et sabote la transition énergétique. “Quand l’un dit oui, l’autre dit non”, résume Frank Baasner, codirecteur du Forum pour l’avenir franco-allemand à Potsdam.

La politique a horreur du vide

Mais les écolos et les libéraux s’entendent à merveille lorsqu’il s’agit de dénoncer les silences de leur chef sur l’Ukraine et la nostalgie russophile d’une partie du SPD qui freine depuis deux ans la livraison d’armes lourdes à Kiev. Et comme le chancelier reste dans sa tour d’ivoire et brille par son absence, les deux ministres jouent des coudes pour être calife à la place du calife dans les JT et autres émissions politiques. “Olaf Scholz est tellement passif que Robert Habeck [NDLR : qui n’a pas abandonné l’idée de devenir chancelier] ne se prive pas d’assurer l’intérim”, remarque Markus Linden, politologue à l’université de Trèves.