Le club des admirateurs d’Elisabeth Badinter, par Philippe Val

Le club des admirateurs d’Elisabeth Badinter, par Philippe Val

Le livre de Sophie Sachnine Merci Elisabeth Badinter m’a fait penser à une nouvelle de Borges – ou bien ai-je rêvé cette nouvelle à la manière de Borges ? Il existe un club planétaire dont les membres ne se réunissent jamais. Ils ignorent même qu’ils en font partie, jusqu’au jour où, dans un train, dans un bar, dans un dîner, au hasard d’une conversation, ils découvrent qu’ils sont liés par l’appartenance à la même communauté, celle des élisabethbadinterriens.

L’immense majorité des membres du club ignore tout d’Elisabeth Badinter, hormis ses livres et ses rares et précieuses déclarations publiques. Ils ont aussi en tête son visage, ses yeux et sa voix. Lorsque deux membres du club se découvrent, ils peuvent être d’âge, de sexe, d’origine, et même d’opinions diverses, il s’établit aussitôt entre eux une complicité et une fraternité : sur des choses très profondes – comme la liberté humaine et son prix –, ils savent qu’ils sont d’accord. Il ressort du livre de Sophie Sachnine que pour cette étrange confrérie qui s’ignore, l’existence plus que discrète d’Elisabeth Badinter – son pouvoir fuit le pouvoir, son autorité ne s’exerce sur personne d’autre qu’elle-même – est une motivation de leur combat et de leur courage. Bien qu’elle ne demande jamais rien à personne, les membres de cette société secrète ne peuvent imaginer décevoir Elisabeth Badinter.

Clarté et cohérence

Sophie Sachnine a beaucoup travaillé. Elle a beaucoup lu, beaucoup cherché. Même moi, qui suis un très ancien membre du club, j’ai pu mesurer toutes les prémonitions, la constance, la clarté, la cohérence du travail d’historienne dix-huitièmiste et de philosophe intemporelle de notre présidente. Merci Elisabeth Badinter n’est pas un livre dans l’air du temps, lequel est à la louange, puis au lâchage et au lynchage. C’est un livre de gratitude et d’admiration, très étayé, très argumenté et très documenté.

J’aurais une critique. Les lecteurs de Sophie Sachnine vont devenir membres du club. Et ça me gêne un peu. Chacun d’entre nous voudrait être rare. C’est comme une relation amoureuse. On n’a pas envie d’être une foule. On a peur qu’Elisabeth Badinter ne tombe entre de mauvaises mains.

Merci Elisabeth Badinter, par Sophie Sachnine. L’Observatoire, 288 p., 22 €.