Le “NCIS” français : les secrets et stupéfiants outils de la gendarmerie scientifique

Le “NCIS” français : les secrets et stupéfiants outils de la gendarmerie scientifique

L’identification des 11 corps brûlés lors de l’incendie du gîte de Wintzenheim (Alsace), en 2023, c’est eux. L’enquête qui a déterminé que la voiture Tesla, qui avait “accéléré subitement” et fait 21 blessés et un mort à Paris en 2021, n’avait pas eu de défaillance technique, mais bien humaine, c’est encore eux. Tout comme l’identification du corps du petit Emile, disparu en juillet 2023 et retrouvé neuf mois plus tard, dont les ossements sont toujours analysés afin d’élucider les circonstances de sa mort. Les limiers du Pôle judiciaire de gendarmerie nationale (PJGN), qui regroupe l’Institut de recherche criminelle de la gendarmerie nationale et le Service central de renseignement criminel, sont probablement ceux qui incarnent le mieux l’équivalent français des Experts ou de NCIS, les célèbres séries américaines mettant en scène des enquêteurs scientifiques.

Leurs locaux, répartis sur 27 000m² en face du tribunal administratif de Cergy-Pontoise, au nord-ouest de Paris, ne payent pas de mine – si ce n’est ces gendarmes quadrillant la zone et filtrant consciencieusement les entrées. La Grande Muette étant peu bavarde, les portes s’ouvrent rarement aux journalistes. L’intérieur vaut pourtant le coup d’œil. Dans les étages les plus hauts, des laboratoires où des scientifiques analysent l’ADN de milliers d’échantillons de suspects dans des “salles blanches” dotées de pressions atmosphériques différentes afin d’éviter les contaminations.

Dans les étages inférieurs, une salle d’autopsie, une armurerie qui affiche une impressionnante collection de 15 000 armes en tout genre, et de nombreuses pièces où s’entremêlent ordinateurs aux écrans ultra-larges et matériels high-tech dernier cri. Ici s’affairent 530 personnes, dont 240 scientifiques et 250 enquêteurs experts en “science forensique”, un domaine qui regroupe l’ensemble des techniques mises en œuvre pour établir la preuve d’un délit ou d’un crime et en identifier l’auteur.

L’armurerie de la PJGN permet aux enquêteurs d’avoir toujours une arme comparable à celle utilisée lors d’une fusillade afin de pouvoir effectuer des tests de mise en situation et des comparatifs.

Des mouches élevées dans des incubateurs

L’un des départements les plus étonnant du PJGN est sans doute le laboratoire “faune, flore, forensique”. “Il s’agit du seul endroit du PJGN où l’on travaille avec le vivant”, plaisante le capitaine Mickaël Vivier. Lui et ses sept collaborateurs sont spécialistes des insectes, et notamment des drosophiles. Car les mouches permettent d’estimer l’heure du décès, en particulier si la personne est morte il y a plus de trois jours – avant, la médecine légale est plus précise – et moins d’un an. Un fait rendu possible par l’observation du développement des larves nécrophages pondues sur les cadavres. L’opération est loin d’être simple. “La date de ponte diffère en fonction du lieu : ce n’est pas la même chose si le cadavre se trouve dans une forêt remplie d’insectes ou dans une pièce confinée”, indique l’enquêteur.

Et le casse-tête ne s’arrête pas là. Chaque espèce de mouche se comporte globalement de la même manière : elle pond des larves qui se nourrissent avant de se cacher – dans le sol ou sous les meubles – pour se transformer en pupe – une sorte de cocon – puis prendre leur forme adulte. “Mais il existe des centaines d’espèces qui ont des cycles différents en fonction de la température ambiante”, poursuit le capitaine Vivier. Pour estimer un délai post-mortem, les enquêteurs doivent donc connaître la météo précise du lieu à la date estimée du décès. Ils doivent, ensuite, identifier les mouches. Se pose un nouveau problème : certaines espèces diffèrent si peu que leur identification visuelle est quasi-impossible.

Il est donc nécessaire de collecter les insectes sur place, les mettre en élevage à la PJGN et d’observer leur évolution afin de déterminer de laquelle il s’agit. Pour y parvenir, les larves sont placées dans des incubateurs qui ressemblent à des réfrigérateurs, mais qui maintiennent une température de 24 °C, dans des boîtes où se trouvent des bouts de viande et d’où émanent des odeurs particulièrement nauséabondes, mais dont le capitaine Vivier semble s’être habitué. “En dernier recours, nous pouvons aussi faire du séquençage génétique de mouche… Mais c’est beaucoup plus cher, et donc uniquement en cas d’urgence”, précise-t-il.

Les inspecteurs faune et flore travaillent aussi sur l’identification moléculaire des animaux, notamment dans le cadre d’enquêtes sur le trafic d’animaux protégés, ou encore d’accidents de la route, afin de déterminer, par exemple, si un automobiliste a percuté un animal sauvage ou un bovin appartenant à l’éleveur. “Ce qui change la donne en matière de responsabilité et d’assurance”, souligne le capitaine. Le département “faune, flore, forensique” a notamment travaillé sur l’affaire des sévices sur les chevaux qui avait secoué la France à la fin de l’été 2020, quand des centaines de cas d’équidés mutilés ou tués avaient été signalés partout sur le territoire, entraînant émoi dans la population et craintes des éleveurs. Alors qu’une responsabilité humaine était soulevée sur les réseaux sociaux et par certains médias, les conclusions de leur travail avaient permis de déterminer qu’il s’agissait soit d’accidents, soit d’attaques d’animaux sauvages.

Les algues diatomées, “indics” de la noyade

Mais le domaine d’expertise le plus surprenant et sûrement le plus méconnu de ce département est sans doute celui de la diatomée. Cette algue microscopique, qui se trouve dans les eaux douces ou de mer, est l’une de leurs meilleurs alliés, car elle permet d’effectuer des diagnostics de noyade. “Lorsqu’une personne se noie, elle coule, se débat, puis tente de respirer par automatisme. Elle avale donc de l’eau et des diatomées s’il y en a, qui remplissent les poumons, explique le capitaine. Or, lors d’une noyade, le cœur ne s’arrête pas immédiatement, il produit encore quelques battements, ce qui propulse le sang, donc l’algue, partout dans le corps”. En d’autres termes, si les enquêteurs retrouvent des diatomées dans la bouche d’une victime, mais pas dans ses organes, cela indique que la personne n’est pas morte par noyade. Une hydrocution – qui peut provoquer un arrêt cardiaque brutal – peut s’envisager. A moins que la personne ne se soit retrouvée dans l’eau après son décès.

Cette expertise peut s’avérer précieuse, comme ce jour où une femme s’est rendue, trempée, à la gendarmerie. Elle affirmait que son mari l’avait menacée avec un fusil alors qu’elle se trouvait près d’un lac, lui ordonnant de se noyer. La victime présumée affirmait qu’elle avait progressé pas à pas dans le lac, à mesure que son mari la menaçait. Finalement, l’irruption d’une voiture avait provoqué la fuite du mari. Ce dernier, interrogé par les gendarmes, avait alors affirmé que sa femme était perturbée et avait pris une douche habillée avant de déposer plainte. “Les gendarmes avaient eu l’excellent réflexe de demander à la femme de se déshabiller afin de nous envoyer ses affaires et notre analyse a montré la présence de diatomée par strate – plus importante au niveau des pieds, un peu moins au niveau des jambes, etc. – ce qui confirmait son récit. Celui du mari, lui, a été invalidé par l’analyse de l’eau courante du domicile, qui concluait à une absence de diatomée”, détaille le gendarme.

Un corps retrouvé en mer, près de La Rochelle et envoyé à la PJGN illustre lui aussi toute l’importance de ces minuscules organismes. Lors de la première analyse, des diatomées ont été retrouvées dans la bouche… Mais elles étaient de deux espèces : d’eau douce et d’eau salée. Les investigations plus poussées ont montré que seules les diatomées d’eau douce se trouvaient dans les poumons et les organes, ce qui suggérait que la victime s’était noyée dans le fleuve en amont, avant de dériver vers la mer, permettant ainsi aux enquêteurs sur place de remonter la piste.

L’électromagnétisme pour trouver les corps enfouis

Après avoir traversé un dédale de couloirs et de portes sécurisés afin d’atteindre le sous-sol, nous est présentée une curieuse boîte rouge attachée à ce qui ressemble à une tondeuse à gazon. Voici un géoradar. Cet instrument permet de sonder le sol en envoyant des ondes électromagnétiques. Ces dernières voyagent jusqu’à environ trois mètres de profondeur et rebondissent sur les surfaces qu’elles rencontrent, chacune ayant une signature propre liée au changement de leur conductivité électrique, ce qui entraîne une modification de la propagation des ondes. Une fois récupérées par le géoradar, les ondes sont numérisées et retranscrites sur une image en deux dimensions qui révèle la structure du sous-sol. L’œil expert des analystes peut alors détecter des anomalies. “Ici, nous avons des ondes typiques d’une dalle en béton armé ; les changements qui apparaissent ensuite suggèrent que le coffrage a été altéré, ce qui pourrait indiquer qu’elle a été percée puis rebouchée, afin de dissimuler des armes, des stupéfiants, ou des restes humains, ce que confirment les anomalies en forme de rond que nous voyons plus bas”, précise le lieutenant-colonel Christophe Lambert, chef du département “signal, image, parole”, devant l’une de ces numérisations.

C’est notamment grâce à cet outil que le PJGN a pu retrouver le corps d’Aurélie Vaquier, assassinée en 2021 à Bédarieux avant d’être enterrée dans un coffrage en béton. Et aussi grâce à lui qu’il est possible de détecter des pollutions industrielles discrètement enterrées, comme des déchets amiantés, ou encore des planches de billets dissimulées derrière des murs. L’outil a néanmoins ses limites. Il est notamment peu efficace dans les milieux boisés ou au-dessus des terres argileuses, raison pour laquelle le département “signal, image et parole” utilise des chiens en compléments, ou encore des drones qui peuvent scanner de larges portions de territoire et produire des imageries multispectrales. Les résultats sont ensuite interprétés par des intelligences artificielles capables de repérer des anomalies dans la végétation. “On sait par exemple que les plantes poussent différemment au-dessus des corps, qui peuvent faire office d’engrais”, illustre le gendarme. Si le drone repère ce genre d’anomalie, cela peut orienter les fouilles.

Entre Dexter et l’archéologie

Une fois qu’une anomalie a été détectée, encore faut-il creuser pour s’assurer qu’il y a quelque chose d’intéressant. C’est alors au tour des équipes du département “anthropologie-hématomorphologie” d’entrer en scène. La plupart du temps, ils n’ont pas besoin d’aller trop loin. “En moyenne, un corps est enterré dans 60 à 80 cm de profondeur”, indique leur cheffe, la capitaine Gaëlle Placé. Et en cas d’urgence, le laboratoire peut différencier avec certitude des os humains d’os d’animaux en deux heures seulement.

La capitaine Gaëlle Placé présente une reconstitution 3D d’une scène de crime sanglante effectuée grâce au “laserscan”.

C’est également ce département qui s’occupe des scènes de crimes sanglantes et de la reconstitution des zones de violence dans un lieu. Lorsque ces enquêteurs arrivent sur place, ils photographient l’ensemble des éléments, placent des étiquettes sur les traces suspectes et des flèches directionnelles, comme dans la série Dexter. Ils tentent ensuite de déterminer si ces projections ont été causées par un objet contondant ou tranchant, si elles proviennent d’une artère ou une artériole, ou encore si plusieurs traces se superposent. “On sait par exemple reconnaître les projections provoquées par un objet long et à surface lisse, typique d’une batte de baseball”, détaille la capitaine. Son équipe utilise aussi un laser scanner qui permet une reconstitution numérique 3D de la scène. Posé sur un trépied, l’appareil photographie et numérise les lieux à 360°. Le nuage de points généré est reconstitué numériquement, ce qui permet à l’enquêteur de se déplacer sur la scène comme dans un jeu vidéo.

“L’achat d’acide nitrique, c’est toujours le début de grandes aventures”

Quelques volées de marches et de couloirs plus loin se trouve le laboratoire du département “environnement, incendie et explosif”. C’est ici que sont envoyés les signalements lorsqu’une personne achète des composants pouvant potentiellement permettre de confectionner des bombes artisanales. “L’achat d’acide nitrique, par exemple, c’est toujours le début de grandes aventures”, indique le chef d’escadron Pierre-Adrien Pelegrin, en blouse blanche impeccable dotée d’une poche dont dépassent quelques stylos. C’est son service qui a pu sonner l’alerte dans l’affaire du survivaliste de Carnac (Gard) qui avait installé une cinquantaine d’engins explosifs dans son domicile dont le désarmement avait nécessité quatre jours.

Ce spectromètres de masse portable, vient d’identifier, en quelques secondes, un échantillon d’acide nitrique posé dans une fiole sur le haut de l’appareil.

Ce laboratoire, qui regroupe une trentaine de membres, est aussi capable d’analyser des milliers de composants suspects grâce à des spectromètres de masse. Celui que le chef d’escadron Pelegrin tient dans la main est un dispositif portable de la marque japonaise Rigaku qui vaut plusieurs dizaines de milliers d’euros. Un appareil aussi précis qu’utile. Il suffit de poser sur son socle un échantillon d’une poudre ou d’un liquide pour qu’il en détermine la composition moléculaire en quelques minutes. “13 000 espèces chimiques sont enregistrées”, précise le gendarme. De quoi permettre d’identifier presque n’importe quel composé partout où ils se trouvent. Une expertise qui, là encore, permet de faire avancer les enquêtes avec plus de célérité et que la PJGN promet encore d’améliorer, notamment grâce à des partenariats avec le CNRS, l’institut Curie et des universités françaises et québécoises. De quoi renforcer les futures générations “d’Experts” français.