Le nouveau discours de Jordan Bardella plaira peu à Marine Le Pen, par Thibault Muzergues

Le nouveau discours de Jordan Bardella plaira peu à Marine Le Pen, par Thibault Muzergues

Ce 30 juin aura signé la mort du macronisme en tant que courant politique. Certes, on répondra que le président Macron est encore en poste, et que quel que soit le résultat du second tour, il aura un rôle crucial à jouer dans ses trois dernières années de mandat. On pourra également arguer du fait que son groupe parlementaire, a priori composé de 60 à 90 députés (un chiffre à confirmer au soir du second tour), pourrait jouer un rôle clé dans la formation d’une coalition, quelle qu’elle soit. Il n’empêche : la macronie a essuyé un revers majeur, et celui-ci lui devrait être fatal. Dans un hémicycle de 577 députés, ce qui restera du groupe parlementaire macroniste aura du mal à se faire entendre, et plus encore compte tenu de l’impopularité du président, qu’on a clairement senti à la fois lors des élections européennes et durant la campagne des législatives.

Qui plus est, le “parti” macroniste n’en est pas un : bien qu’existant légalement depuis 2016, il n’a jamais été que le véhicule de conquête électorale d’un seul homme, Emmanuel Macron, et ses seules victoires ont littéralement été les siennes. Cela signifie que les candidats de ce parti n’ont pas enregistré de succès aux élections locales et régionales, empêchant ainsi à En Marche (aujourd’hui Renaissance) de prendre racine dans le paysage politique français. Sans représentation à l’échelon local, sans groupe parlementaire majoritaire, sans perspective de distribution des portefeuilles ministériels (ou autres honneurs) par le président de la République, il est probable que le parti d’Emmanuel Macron disparaisse aussi vite qu’il était apparu, laissant un espace qui, loi naturelle aidant, sera vite comblé – en attendant, élus rescapés et anciens ministres devront commencer à chercher une nouvelle maison politique dans la perspective du renouvellement annoncé de 2027.

La pionnière Meloni

Il arrive en fait à la macronie ce qu’elle avait fait subir il y a de cela sept ans au Parti socialiste et aux Républicains : une confrontation avec un changement de paradigme politique radical, à même de faire disparaître des familles politiques entières. En 2017, le clivage traditionnel droite-gauche était mourant, et tant Emmanuel Macron que Marine Le Pen avaient fustigé à leur manière le système “UMPS” (du nom de l’ancien nom des Républicains) pour le substituer par une division entre élites et populistes, division qu’on retrouvait d’ailleurs à la même époque ailleurs en Occident, que ce soit aux États-Unis, au Royaume-Uni, en Hongrie, en Pologne ou encore en Italie, où la Lega de Matteo Salvini s’était alliée avec le Mouvement Cinq Étoiles dans une coalition populiste dans laquelle seule comptait la volonté de renverser un système perçu comme injuste et éloigné des aspirations du peuple.

L’Italie, justement, celle-là même qui a été pionnière dans l’exploration populiste, a expérimenté avec Giorgia Meloni le post-populisme, ce dépassement du populisme qui a pour élément central le retour du clivage droite-gauche. La figure de Meloni a été centrale dans cette transition, elle qui s’est toujours identifié avec la droite et refusé la coopération avec la gauche (populiste ou non). Avec la fin du macronisme, on assiste à un même retour spectaculaire du clivage droite-gauche, défini par cette confrontation désormais quasi directe entre le Nouveau Front populaire – qui a parfois des allures de “Front républicain” lorsque son représentant est issu du parti d’Emmanuel Macron ou de la gauche modérée – face au Rassemblement national, qui peine encore à se faire des alliés au-delà de ses propres rangs.

Fin de la crise populiste ?

La gauche française a compris avant les autres ce changement de paradigme au lendemain des élections européennes, et cela explique le ralliement de toutes ses sensibilités autour de ce concept du Front populaire au parfum d’années 1930 – certes insuffisant pour obtenir une majorité absolue (la droitisation du pays est passée par là), mais suffisamment pour s’imposer comme un des deux pôles de l’échiquier politique. Cela ne veut bien entendu pas dire que la gauche est uniforme – elle est plurielle, comme elle l’a toujours été depuis ce soir d’août 1789 où les députés réformateurs se sont rangés à la gauche du président de l’assemblée constituante pour voter pour un veto suspensif (et non absolu) du roi. De même, la droite aussi est plurielle, et même si elle a encore du mal à se retrouver dans la nouvelle donne politique, Jordan Bardella essaye de clairement de positionner son parti comme le représentant de cette droite, seule face à l’extrême gauche. Il est d’ailleurs fort à parier que ce nouveau discours plaira peu à Marine Le Pen, qui a toujours refusé de se positionner à droite “face à l’UMPS” et préfère largement un duel avec Emmanuel Macron, populistes contre élites. Elle ne le sait peut-être pas encore, mais l’irruption de Jordan Bardella l’a ringardisé sur un échiquier politique qui se définit de plus en plus sur cet axe gauche-droite, et de moins en moins sur celui entre populistes et élites.

Il serait osé de pronostiquer la victoire de l’un ou l’autre camp lors du second tour de ces élections – les variables sont tellement nombreuses, et tout est encore possible, y compris une chambre introuvable avec un gouvernement technique forcément faible, ce qui redonnerait un peu de pouvoir à Emmanuel Macron. En attendant, celui-ci pourra méditer sur le retour du clivage gauche-droite, qui sur le long-terme pourra peut-être mettre fin à la crise populiste que nous vivons depuis 2010.

*Thibault Muzergues est conseiller politique à l’International Republican Institute et l’auteur de Postpopulisme (Ed. de l’Observatoire).