Le RN au pouvoir ? La grande peur des scientifiques pour la recherche française

Le RN au pouvoir ? La grande peur des scientifiques pour la recherche française

Une vibration, une autre, encore une. Et cette même angoisse qui se répand, de SMS en SMS, de laboratoire en laboratoire. “Doit-on faire nos bagages ?”, demande un chercheur à sa hiérarchie, le soir des élections européennes. “Il faut leur dire que la science n’a pas de frontière !”, envoie frénétiquement un autre, en boucle depuis qu’il a vu la France s’afficher brune sur sa télévision.

A l’approche des législatives, l’inquiétude s’est emparée d’une grande partie de la communauté scientifique française. Brusquement confrontés à l’hypothèse d’un Premier ministre d’extrême droite, bon nombre de chercheurs se demandent ce qu’il adviendra d’eux si Marine Le Pen (et son parti) gouverne. Le Rassemblement national n’a jamais été tendre, ni avec la science, ni avec les étrangers, nombreux dans ces métiers.

La cheffe de file du parti d’extrême droite souhaite trier les habitants du pays selon leur nationalité, au détriment des non-Français. La mesure, dite de “préférence nationale”, doit d’abord être appliquée au logement, mais est vouée à se généraliser. De quoi durement affecter le quotidien des scientifiques. Plus d’un tiers des lauréats aux concours pour l’attribution des postes de chercheurs ne sont pas nés ici et détiennent de simples titres de séjours, selon les statistiques du CNRS.

“Bien sûr qu’on est inquiets, comment ne pas l’être ?”

Le RN, longtemps ouvertement xénophobe, n’a jamais précisé le périmètre de ces réformes. Jordan Bardella, Premier ministre, préféra-t-il les scientifiques “de souche” à ceux de “papier” ? Epargnera-t-il le secteur ? Réservera-t-il aux “nationaux” les bourses, les aides et les concours même, comme pour les HLM ? Limitera-t-il la venue des étudiants, doctorants et postdoctorants étrangers, rouage pourtant essentiel de la production du savoir ?

Autant de questions devenues fiévreuses dans des têtes d’ordinaire si froides. “Bien sûr qu’on est inquiets, comment ne pas l’être ?”, souffle Fabiola Terzi, directrice de l’Institut Necker. Dans son établissement, un des plus performants d’Europe sur les maladies infantiles, 40 % des chefs d’équipe ne sont pas nés en France. “La prise de conscience de ce que représente l’arrivée de l’extrême droite au gouvernement a été brutale”, explique la directrice, affligée.

L’éventualité d’un gouvernement brun, une première depuis 1940, a brusquement réveillé les consciences. “On est obligé de réfléchir à faire avec un exécutif d’extrême droite. On ne peut plus faire l’autruche”, poursuit Fabiola Terzi. Arrivée d’Italie pour son internat il y a une trentaine d’années, elle n’est jamais repartie. “La science a besoin d’idées, pas d’un logo sur une carte d’identité”, regrette-t-elle, en s’imaginant la préférence nationale appliquée à la recherche.

De laboratoire en laboratoire, on se jauge, on s’observe. On scrute ses documents officiels, et ceux de son voisin, comme si les réformes étaient déjà appliquées : “Moi, ça va, je suis européenne”, pense savoir la cheffe d’une institution de recherche, avant d’être prise d’un doute. “Je n’ai pas la tête d’un Suédois, mais je suis le meilleur de ma discipline, ils ne peuvent pas me chasser ?”, tente un autre, originaire du Moyen-Orient.

“Je vous préviens, je reste !”

N’est-il pas préférable de partir ? “On y pense tous. Si j’avais 30 ans, j’aurais fait ma valise. Mais j’ai passé trop de temps en France”, ressasse Samir Hamamah, président de la Fédération française d’étude de la reproduction, d’origine iranienne. “Je vous préviens […] je reste ! La France est mon pays d’adoption”, promet l’épidémiologiste et directeur de l’agence Epi-Phare Mahmoud Zureik, franco-syrien, dans un message lancé sur X (ex-Twitter). Comme un appel à résister.

Relire les manuels d’histoire. Jouer à se faire peur. La dernière fois, les scientifiques n’avaient-ils pas été contraints à l’exil par l’extrême droite ? S’en tenir à ce qui est dit, uniquement ce qui est dit. “Ce qui est sûr, c’est que la science ne se fait pas dans son coin. Nous devons continuer à former et travailler avec les étrangers, au risque de perdre notre leadership”, évoque Yazdan Yazdanpanah, infectiologue franco-iranien, président de l’Agence nationale de la recherche.

Une partie des mesures du Rassemblement national seraient sans doute révoquées par le Conseil constitutionnel. Rien de rassurant lorsque l’on a pour soi uniquement des papiers temporaires. “En nommant des fidèles à des postes stratégiques, en convertissant la fonction publique, le parti pourrait exercer ses pressions, sans annonces. Il suffit de faire traîner les dossiers, ou d’augmenter les contrôles”, s’inquiète le Pr Alain Fischer, immunologiste et président de l’Académie des sciences.

Les conséquences seraient grandes. “Depuis le Brexit, on me contrôle à chaque frontière. On me demande ce que je viens faire en France. Cela fait vingt ans que je sers le pays. Le nationalisme, ce n’est pas qu’une posture. Ses effets sont concrets”, témoigne Chris Bowler, biologiste moléculaire, coordinateur du projet Tara Oceans, d’origine britannique. Lui a été naturalisé français après le départ du Royaume-Uni de l’Union européenne. Si la France de Marine Le Pen ferme ses frontières, combien de scientifiques étrangers verront leurs demandes refusées ?

Le rayonnement de la France en péril

Préoccupée elle aussi, l’Académie des sciences a fini par sortir de sa réserve, demandant au “respect des valeurs essentielles” à la démocratie. Le 18 juin 2024, quatre-vingt-quatre ans après l’appel du général de Gaulle, celle-ci prévient, solennelle : “La recherche scientifique repose sur la richesse intellectuelle de ses acteurs, liée à leur diversité d’esprit et de cultures […] Le repli sur soi, prôné par certains, nuirait gravement à la recherche scientifique […] et au rayonnement de notre pays”.

Quelques jours plus tôt, l’association des directeurs d’établissement France-Université faisait elle aussi part de ses craintes, dans des termes similaires. Et quelques 800 figures de la science et patrons de grandes instances (CNRS, l’INSERM, Institut Pasteur…) ont appelé dimanche 23 juin à ne laisser “aucun obscurantisme nous envahir“. A chaque fois, la liberté des scientifiques en matière de circulation, comme dans la réalisation de leurs travaux, sont au cœur de ces appels. Tout comme la préservation de la démocratie.

Un sujet en particulier cristallise les inquiétude : que ferait le RN a propos des 100 000 étudiants internationaux accueillis chaque année dans le pays ? “Ils représentent un tiers des immigrants légaux, et le contingent le plus facile à restreindre, selon une étude du démographe François Héran”, relève Alain Fischer. Ces jeunes, en plus de fertiliser notre recherche, permettent ensuite de tisser des liens précieux avec d’autres pays, et contribuent à l’influence de la France.

Pour beaucoup, le simple fait de voir l’Hexagone tomber à l’extrême droite suffirait à plomber la machine à produire des connaissances. “Même si le Rassemblement national ne met pas de barrières légales, le basculement serait si important que bon nombre de savants, souvent courtisés par de nombreux pays, refuseraient de venir et préféreraient l’appel d’autres nations”, poursuit le Pr Alain Fischer. A l’Institut Imagine, qu’il a cofondé, l’immunologiste croise chaque jour des collègues de 35 à 40 nationalités. Que deviendrait cette richesse ?

Partout où ils passent, les partis d’extrême droite abîment la science. Le RN a pendant très longtemps remis en question le réchauffement climatique ou le Covid-19. Bon nombre de ses représentants sont ouvertement antivaccins ou veulent supprimer les instances internationales. Du Giec à l’OMS, ces lieux de coopération scientifique sont systématiquement accusés d’être le repère d'”idéologues bien-pensants”. Ces organisations, bien qu’imparfaites et criticables, ne font pourtant rien d’autre que s’appuyer sur les consensus établis.

C’est précisément ce qu’il s’est passé aux Etats-Unis, avec Donald Trump. En coupant dans les budgets des sciences qu’il n’aimait pas, le président américain a endomagé sa souveraineté et fait fuir ses cerveaux. La France en a récupéré une partie, par l’intermédiaire du programme “Make our planet great again” voulu par Emmanuel Macron. Mais suivant les résultats des élections des deux côtés de l’Atlantique, la dynamique pourrait s’inverser.

Dans de nombreux domaines, certaines techniques, certaines connaissances ne sont maîtrisées que par une poignée de personnes. C’est notamment le cas de l’intelligence artificielle ou de l’informatique quantique. Des secteurs capables de bouleverser le destin d’un pays. “Pour être souverain dans ces domaines, il faut attirer des talents”, résume Jamal Atif, chercheur à Dauphine. Lui aussi craint un gouvernement RN. Mais fustige aussi la radicalité du gouvernement Macron sur l’immigration.

Au moment des débats sur la loi immigration, la ministre de la recherche, Sylvie Retailleau, avait proposé sa démission à Emmanuel Macron, pour s’opposer au durcissement des conditions d’entrée sur le territoire. En plus de quotas, l’idée d’une caution s’était glissée durant la navette parlementaire. La somme devait être prélevée en cas d’expulsion. “La catastrophe a déjà failli arriver”, souligne Jamal Atif. La mesure a finalement été rejetée par le Conseil constitutionnel.

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