Le RN et la privatisation de l’audiovisuel public : “L’un des obstacles ? Les très bonnes audiences…”

Le RN et la privatisation de l’audiovisuel public : “L’un des obstacles ? Les très bonnes audiences…”

La privatisation de France Télévisions et de Radio France ? “Une marge de manœuvre [budgétaire] de 3 milliards d’euros”, affirmait Sébastien Chenu, porte-parole du RN, au lendemain des européennes. Les titres boursiers des chaînes privées dégringolent… “Un objectif”, rétropédale quelques jours plus tard Jordan Bardella, président du parti d’extrême droite. Et puis une mesure à nouveau “d’actualité”, redit le patron du RN. Des atermoiements qui, pour Martine Lombard, traduisent l’impréparation du parti face à un chantier extrêmement complexe, et dangereux pour le pluralisme des médias.

L’Express : Jordan Bardella a parlé de la privatisation de l’audiovisuel public comme d’un “objectif” alors qu’elle figurait dans le programme du RN en 2022. S’il s’agit d’un rétropédalage, que traduit-il ?

Martine Lombard : Selon moi, il s’agit davantage d’une prise de conscience des difficultés de l’opération que d’un rétropédalage. Les équipes du Rassemblement national ont dû saisir l’énormité des obstacles à franchir pour privatiser France Télévisions et Radio France. La mesure figurait bien dans le programme présidentiel de Marine Le Pen en 2022, mais apparemment sans étude précise de sa faisabilité technique et juridique.

De quelles marges de manœuvre dispose un nouveau gouvernement pour réaliser cette privatisation ?

Leur capital est détenu directement par l’Etat, leur privatisation ne serait donc possible que par l’adoption d’une loi très complexe, pour tenter de lever trois barrières. La première est technique : grâce à la loi relative à la liberté de communication de 1986, France Télévisions et Radio France disposent d’une priorité d’attribution des fréquences, sans limitation de durée, pour l’exercice de leurs missions de service public. Les chaînes seraient donc exposées à perdre leurs fréquences d’émission en cas de privatisation. Je ne suis pas certaine que le RN ait saisi qu’il s’apprêtait à céder, une fois privatisées, des coquilles vides. Sauf à modifier la loi en vigueur… si la Constitution le permet.

C’est le second obstacle, qui soulève deux questions. L’audiovisuel public gère-t-il un “service public constitutionnel”, que la loi ne pourrait alors pas supprimer ? La jurisprudence n’a encore jamais dit ce que cette notion recouvre positivement ; ce peut en être l’occasion. Même si ce n’est pas le cas, la loi va-t-elle vraiment supprimer leur caractère de “service public national” ? Or, ce doit être un préalable à toute privatisation selon les sages. À ce jour, ils n’ont jamais fait obstacle à une privatisation, mais les cas de GDF ou Aéroport de Paris étaient plus simples. Il s’agirait, cette fois, d’une heure de vérité pour le Conseil constitutionnel.

L’ultime obstacle tient paradoxalement aux très bonnes audiences de Radio France et de France Télévision qui, respectivement, dépassent les 20 % et les 30 % de part – au-delà des plafonds maximas fixés par la loi. Vu les fortes réserves de l’Autorité de la concurrence sur la fusion de TF1 et M6, je n’imagine pas qu’un grand bloc concentrant de telles parts d’audiences soit attribué à un opérateur privé. Il faudrait alors démanteler ces deux sociétés et procéder à une vente à la découpe.

Si le RN parvenait à franchir ces obstacles, de quelles marges de manœuvre disposerait Emmanuel Macron pour empêcher ce projet d’aboutir ?

Il aurait peu de moyens. Sauf si Jordan Bardella, en éventuel locataire de Matignon, commettait l’erreur de vouloir privatiser par ordonnances – le chef de l’Etat pourrait refuser de les signer. Mais si la loi est adoptée par les parlementaires, Emmanuel Macron pourrait seulement, comme pourraient le faire 60 parlementaires, saisir le Conseil constitutionnel avant sa promulgation, pour sanctionner les dispositions lui paraissant contraires à la Constitution. Son pouvoir réel serait celui de la parole, pour alerter les Français du danger d’une telle loi…

Le RN peut-il craindre les marchés financiers ? En témoigne la chute des titres de M6 et TF1 en Bourse après les européennes…

Si Bardella semble sur la réserve, les marchés financiers ont déjà pris cette annonce au sérieux. Et l’ont interprétée comme un desserrement futur des contraintes publicitaires pour France Télévisions et Radio France, qui doivent conserver à ce jour des plages horaires sans publicité. Cette perspective peut agacer certains propriétaires de chaînes privées et n’être pas très opportune en période électorale.

La mesure concerne, officiellement, le pouvoir d’achat des Français. Mais quelles seraient les conséquences sur le pluralisme des médias ?

Le RN assure que la privatisation de l’audiovisuel public permettrait d’économiser 3 milliards d’euros de financement annuel. La mise en vente de ces chaînes publiques serait surtout une double opportunité majeure. Pour accroître l’influence de Vincent Bolloré – qui devrait céder des chaînes car il a déjà atteint le plafond légal sur la TNT. Et en tant qu’arme politique bien plus radicale que ce qui, actuellement, se fait en Italie vis-à-vis de la RAI : Giorgia Meloni se borne à y procéder à des nominations là où la solution du RN serait de les supprimer purement et simplement. Il ne faut pas être dupe : au-delà de l’argument économique, cela permettrait de faire taire définitivement des chaînes publiques critiques.