Législatives : “La laïcité, l’enfant pauvre de cette campagne historique”

Législatives : “La laïcité, l’enfant pauvre de cette campagne historique”

A l’heure où les cartes se trouvent totalement rebattues, à l’heure où tous les scénarios semblent soudain envisageables, à l’heure où toutes les forces politiques se recomposent et se réécrivent, on pourrait penser que la question de la laïcité a naturellement repris toute sa place dans le débat public comme un marqueur politique majeur, ce qu’elle fut toujours jusqu’ici, entre les différents projets de société proposés par les partis en lice. Or, il n’en est rien du tout ! La laïcité est au contraire l’enfant pauvre de cette campagne législative historique. Nommément du moins.

Car il est pourtant clair que les enjeux liés à la laïcité sous-tendent la plupart des thématiques données comme chères aux Français lors des dernières élections européennes : qui parle de sécurité ne peut s’abstenir de penser aux récents crimes et rixes sanglantes d’adolescents liés aux questions d’orthopraxie religieuse (Shaïna, puis Samara, Shemseddine…) ; qui dénonce avec raison la montée de l’islamisme en France le fait bien souvent en dévoyant le principe de laïcité, grimée en rempart contre les immigrés, quand celle-ci nous enjoint au contraire de considérer dans l’étranger sa part de raison universelle, de libre arbitre et d’humanité, de le regarder comme un semblable et non comme le produit d’un groupe ethnique ou religieux ; qui parle de redressement de l’école ne peut manquer de songer à Samuel Paty et à Dominique Bernard, assassinés pour avoir incarné l’école laïque et les libertés dont elle est la promesse ; qui pointe encore l’acmé antisémite que connaît notre pays depuis le 7 octobre ne peut oublier que seule la laïcité s’efforce de casser les réflexes et les violences communautaires, d’empêcher que des élèves de treize ans meurtrissent et violent une autre de douze parce qu’avant de la voir comme leur camarade, leur égale, ils la regardent comme juive.

Nous payons aujourd’hui très cher l’abandon de ce qui faisait le ciment de notre société. Les leaders identitaires de droite comme de gauche l’ont très bien compris, et s’engouffrent dans les brèches apparues d’autant plus aisément qu’aucun parti n’a vraiment pris le pari d’incarner la laïcité en faisant de sa défense un combat central de son programme, en l’avançant comme la condition sine qua non de la concorde nationale et de l’avenir de notre école.

“Réconcilier les Français avec la promesse républicaine”

Il y eut bien la semaine dernière cette annonce incantatoire, sans contenu, sans contexte et sans agenda d’un “grand débat sur la laïcité”, lancée comme un dé sur le tapis par le président de la République dans le but de dénoncer – avec raison – la lâcheté de la gauche sur cette question ; mais là encore, invoquer la laïcité comme simple repoussoir, de manière circonstancielle, sans annonces ni ambition politique concrètes à la clé, est-ce la servir ou s’en servir ?

Si la majorité présidentielle veut vraiment mobiliser les républicains universalistes, qui sont un vivier électoral d’orphelins politiques immense, il est donc temps qu’elle place la laïcité au cœur de son projet de société, et en tout premier lieu, à l’école ! Car c’est là de fait que se cristallisent les tensions les plus fortes qui abîment la République. Car c’est là que s’apprend la liberté individuelle, l’altérité, la citoyenneté, l’émancipation par le savoir, et que c’est pour tout cela qu’elle est la cible favorite des islamistes et des semeurs de chaos. Car c’est là seulement qu’on peut échapper à ses déterminismes et choisir son destin, si tant est qu’on ait pu y recevoir un enseignement complet, départi des tabous que tentent de lui imposer les religieux.

Notre Premier ministre affirme que, dans cette élection, “le pays joue sa peau” : qu’à cela ne tienne M. Attal ! Nous vous demandons donc, ainsi qu’à tous les responsables politiques présents ou futurs qui se veulent héritiers des Lumières et attachés à leur transmission, de sortir enfin la laïcité et son école des querelles politiciennes qui la rongent en faisant de la laïcité à l’école une cause nationale de la République. De sorte que la nation tout entière se tienne officiellement derrière ses enseignants dans la lutte contre l’obscurantisme qu’ils mènent tous les jours dans leurs classes. De sorte que, sortie de l’arène politique, la question de l’adjectif qu’il conviendrait ou non d’apposer à la laïcité ne fasse plus débat, mais que, unis face à l’urgence, face au péril où se trouve l’école républicaine – celui du musellement par l’intimidation, celui des attaques terroristes de ses enseignants –, les Français fassent front commun.

Allons, soyons réellement ambitieux, et réclamons même un véritable ministère ! Un secrétariat d’Etat inédit dévolu à la laïcité en milieu scolaire serait une preuve enfin tangible et forte d’un engagement en faveur de cette cause et d’une prise de conscience de son caractère vital pour l’avenir de notre école, c’est-à-dire de notre nation.

Car une chose est sûre : à quelque parti, à quelque chapelle qu’on appartienne, on ne peut manquer sans être malhonnête de reconnaître que seule l’école laïque permettra de réconcilier les Français avec la promesse républicaine.